Depuis le dimanche 9 juin. il y a moins d’un mois, nous avons subi une série de chocs et de surprises. Elles ont ébranlé certaines de mes convictions.
Le premier choc ne fut pas le score du RN aux élections européennes, parfaitement conforme aux prévisions, mais l’annonce par le Président de la République de la dissolution de l’Assemblée Nationale. Je ne vais pas m’appesantir sur les ressorts probables de cette décision qui d’emblée m’a paru funeste comme elle l’a paru au commun des mortels. Nul doute que les historiens et les psychanalystes en feront un objet d’études.
Le deuxième choc, ce fut la création dès le lendemain du Nouveau Front populaire entre LFI, le PS, les écologistes, les communistes et même le NPA, le groupuscule des extrêmes. Des gens qui s’insultaient copieusement et dont les positions sont parfaitement hétéroclites pouvaient faire un programme d’union auquel peu d’entre eux devaient croire qu’il pût aboutir à autre chose qu’un séisme économique, alors que les macroniens et les Républicains qui n’ont pas suivi Eric Ciotti n’arrivaient même pas à passer un simple accord électoral, ce qui les a mis en loques pour le second tour, où ils seront souvent absents alors qu’ils représentent 40% de l’électorat.
Des résultats du premier tour, je retiens deux images, et c’est mon troisième choc: Place de la République couverte de drapeaux palestiniens et algériens et Jean Luc Mélenchon appelant au barrage républicain contre le Rassemblement National. A ses côtés une jeune femme en keffieh, Rima Hassan, qui venait d’accuser l’armée israélienne d’entrainer des chiens pour violer les prisonniers palestiniens. Pour Mélenchon, cette diffamation lui convient, ce qui compte c’est que Rima Hassan est très populaire chez les Insoumis, malgré ou plutôt à cause de ses mensonges. L’homme qui, à propos de la phrase ignoble qualifiant la mort de policiers de vote en moins pour le RN, a dit qu’on avait bien le droit de rigoler, vit dans un monde sans vérité où les mots n’importent que s’ils peuvent rapprocher du pouvoir. Ce pouvoir, chacun comprend que dans le Nouveau Front Populaire, c’est lui qui l’exerce, quoi qu’en disent ses ternes comparses, et que l’antisémitisme ne gêne en rien ses nombreux et jeunes partisans, puisqu’il porte le nom d’antisionisme et que le sionisme, chaque insoumis le sait, c’est le nazisme.
C’est ensuite que j’ai subi mon quatrième choc.
A Roubaix, trois candidats sont qualifiés au second tour.
Le LFI, c’est David Guiraud. Il est célèbre depuis ses propos particulièrement abjects envers les Israéliens prononcés à Tunis en novembre. Il y a ajouté plus tard des allusions aux “dragons célestes”, personnages de mangas qui servent de nom de code pour parler des Juifs. Il tire sa connaissance du conflit israélo-arabe de sa fréquentation assidue de Dieudonné et Soral, deux personnages chez qui la haine des Juifs sert de passerelle entre l’extrême droite et l’extrême gauche.
Son adversaire RN est un garçon de 21 ans, Ethan Leys, qui, en raison du harcèlement et des menaces de mort qu’il reçoit, et pour lesquels il dépose plainte, se terre et fait une campagne a minima.
Il y a un troisième candidat qualifié, Tarik Mekki, du parti présidentiel, mais il se retire de la triangulaire en faveur de David Guiraud et explique que ce dernier incarne des valeurs plus proches des siennes que celles portées par le candidat du Rassemblement National. Sans commentaires…
On dit que Tarik Mekki n’est qu’un candidat “soutenu” par Ensemble mais qu’il n’est membre d’aucun des partis de la coalition. Mais on aurait au moins aimé une critique des dirigeants de cette coalition. Rien… M. Stéphane Séjourné, délégué général d’”Ensemble” et futur ex-Ministre des Affaires Etrangères, est particulièrement silencieux sur le sujet, tout à son bonheur d’être bien placé dans la circonscription sans risque qu’il s’est généreusement octroyée pour ces élections.
Une soixantaine de candidats “Ensemble” se sont désistés pour le FNP, et parmi eux à plusieurs reprises pour un candidat LFI, ce qui facilite par réciprocité le sauvetage de candidats tels que Gérald Darmanin ou Elisabeth Borne. Certains diront que c’est de la bonne politique.
Raymond Aron a rappelé que la politique est amorale, et souvent immorale. Des personnalités d’”Ensemble” ont heureusement protesté contre ces désistements en faveur du LFI. Pour moi, c’est une forfaiture. Soutenir David Guiraud ou Louis Boyard, qui a refusé la moindre critique du Hamas après le 7 octobre, signifie que l’on considère la lutte contre l’antisémitisme comme un thème complètement secondaire. Les Juifs ont connu cela tout au long de leur histoire.
Devant le danger représenté par “LFI”, le temps était peut-être venu de regarder différemment le “Rassemblement National”. Toute ma vie, j’ai tenu le parti de Jean Marie Le Pen en abomination, mais il fallait cependant admettre que le discours de Marine Le Pen diffère depuis plusieurs années de celui de son père. Dans un récent article du “Figaro”, elle s’exprime de façon impeccable sur la collaboration, l’antisémitisme et la Shoah. Les paroles des dirigeants du RN après les événements du 7 octobre ont montré une empathie pour Israël qu’on aurait aimé trouver ailleurs. Petit accroc quand Bardella estime que Jean Marie Le Pen n’est pas antisémite. Il se corrige vite, trop vite peut-être pour qu’on croie en la solidité de ses convictions. Je me suis rappelé “La Main du Diable”, le livre de Jonathan Hayoun et Judith Cohen Solal, sorti il y a cinq ans, qui concluait que le discours contre l’antisémitisme n’était qu’une façade.
Il y avait aussi le long compagnonnage de Marine le Pen avec les pires gudards du Front National, Loustau et Chatillon, les préposés à la castagne et à l’agit prop, les parrains, d’ailleurs, de Soral et Dieudonné.
Mais on nous assurait que ces personnages avaient perdu leur influence.
Certains Juifs, en colère contre l’impuissance envers l’emprise islamiste sur notre société et la haine d’Israël qu’elle véhicule, ont voté pour le RN dès le premier tour. En ce qui me concerne, j’ai toujours pensé au contraire que malgré les agacements, les frustrations et les colères, c’est dans les partis traditionnels que se trouvent les valeurs humanistes qui représentent les espoirs les plus solides pour Israël et les Juifs.
Mais l’arrivée de LFI au pouvoir impliquerait que ceux-ci fassent leurs valises, sauf à devenir des dhimmis, interdits d’expression sous l’effet de cette cancel culture que des esprits dérangés prennent pour le summum de la démocratie.
C’est pourquoi la mise en équivalence des deux extrémismes de droite et de gauche m’a paru dépassée: entre un candidat LFI et un candidat RN, je choisirais aujourd’hui le RN et je ne voterais pas blanc car c’est voter pour le futur vainqueur et rien d’autre.
Mais, et c’est là mon cinquième choc, je sais aujourd’hui que je serais peut-être naïf. L’enquête du journaliste Pierre Stéphane Fort sur la face cachée de Jordan Bardella et sur l’influence déterminante de Frédéric Chatillon sur son parcours politique, enquête qu’a présentée Caroline Fourest dans “Franc Tireur”, suggère que les fondamentaux n’ont malheureusement pas changé.
Que peut-on en conclure ? Dans un milieu catholique, que les Juifs ne doivent pas donner au “Rassemblement National” le Bon D’ sans confession. En milieu juif, je dirais qu’il faudra se fier aux actes plutôt qu’aux paroles.
Charles Pasqua disait, avec le cynisme goguenard dont il était coutumier, que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Mais il arrive aussi que les paroles obligent et qu’on adapte ses actes aux paroles qu’on a prononcées parfois avec légèreté. En dehors de certains obsessionnels manipulateurs, les individus n’aiment pas se révéler incohérents ou hypocrites dans notre culture dont la dissimulation (certains diront la taqiya..) ne fait pas encore partie. L’hypocrisie, dit La Rochefoucauld, est l’hommage que le vice rend à la vertu. A force d’être hypocrite on finit parfois par devenir vertueux. Le “Rassemblement National” prétend désormais être un rempart contre l’antisémitisme. S’il vient au pouvoir, nous observerons ses actions et nous ne l’estimerons pas à l’aune de nos préjugés.
© Richard Prasquier