«Cessons de faire d’Israël un éternel coupable»: Manuel Valls répond à Dominique de Villepin
Par Manuel Valls
TRIBUNE – Pour l’ancien premier ministre, Dominique de Villepin a tort lorsqu’il déclare qu’« il faut arrêter (l’)engrenage de la force et de la vengeance ». Ses propos font porter la responsabilité du conflit à l’État attaqué, alors qu’Israël devrait être soutenu pleinement dans sa riposte, estime-t-il.
« Cette guerre menée par Israël accélère la polarisation du monde, l’antagonisme entre l’Occident et le reste du monde. » Elle montre « l’incapacité (d’Israël) à tirer les leçons de l’histoire. » Pour Dominique de Villepin, puisqu’il s’agit de lui, Israël est le grand responsable. Mécanique implacable qui fait de la réaction de l’agressé, la cause de tous les maux. Pire encore, la victime l’aurait, au fond, quand même bien cherché ! Ah, si la honte avait un visage…
Que la critique d’Israël est aisée, assis bien au chaud derrière nos bureaux ou sur les plateaux de télévision, malgré un mois de novembre rafraîchi et la perspective de « graves tempêtes » qui menacent nos côtes ! Avant qu’une autre actualité chasse celle omniprésente, exigeons d’Israël et de son odieux gouvernement de la tempérance, de la mesure, de la retenue… De l’exemplarité, peut-être ? En tout cas, exigeons du pays, qui n’attend que notre avis, une réponse « ciblée et proportionnée » qui, ainsi seulement, sera légitime. Comment le peuple juif, qui a pourtant connu la Shoah, peut-il se comporter de manière aussi « monstrueuse » envers les civils palestiniens, des femmes, des vieillards et des enfants ? Certes, Israël est une démocratie, mais avant tout une démocratie athénienne…
Voilà ce que nous pensons. Et nous ne sommes pas les seuls. Nous sommes en communion d’affliction avec les grandes consciences diplomatiques de ce monde. Comme le flamboyant Dominique de Villepin, voix de la France si habitée. Oui, voilà ce que nous disons en France, bien loin de toute idée de ce que représentent réellement la guerre et ses horreurs. Voilà ce que nous disons aux 300.000 à 500.000 Israéliens qui ont dû quitter leur domicile dans le sud et le nord du pays et qui devront revenir chez eux en sachant que les organisations qui les vouent à la mort et qui ont commis le pire ne cachent pas leur volonté de réitérer leurs exactions.
Quand Dominique de Villepin défend le droit légitime d’Israël à se défendre, tout en soulignant que nous avons franchi la limite de la politique de vengeance… est-il sérieux ?
Manuel Valls
Voilà pourquoi je ne comprends pas le président de la République quand il appelle à un étrange cessez-le-feu – qui avantagerait de fait aujourd’hui le Hamas. Je ne comprends pas plus ses propos tenus lors de son entretien à la BBC mettant en cause directement Israël (« j’exhorte Israël à cesser les bombardements tuant des bébés, des femmes et des personnes âgées à Gaza »), alors qu’il avait trouvé le ton juste au lendemain du 7 octobre ou à Jérusalem lors de son déplacement. Un cessez-le-feu n’aurait de sens qu’avec la libération de tous les otages. Les pauses et les couloirs humanitaires mis en œuvre permettent déjà d’aider la population gazaouie transformée en bouclier humain par le Hamas. Sa déclaration est inappropriée alors que, réunis en Arabie saoudite, les membres de la Ligue arabe et les pays musulmans ont rejeté l’argument de « légitime défense » de l’État d’Israël. Emmanuel Macron, dans sa lettre aux Français de ce samedi, ne rappelle-t-il pas justement que « l’attaque terroriste du 7 octobre a entraîné une réponse armée d’Israël » ? Israël, dit-il, « a le droit de se défendre. Il n’y a pas de “oui mais” : mettre hors d’état de nuire le Hamas est une nécessité ». Oui, vraiment, la France ne peut pas manquer à Israël.
Je me garderai, pour ma part, de donner de quelconques leçons aux Israéliens qui, depuis soixante-dix ans, vivent avec la menace des pays voisins et aujourd’hui de l’Iran, parrain du Hamas et du Hezbollah, sous les roquettes et les attaques terroristes, et dont la protection dépend des seules forces de leur jeunesse, de Tsahal et de la technologie.
Dans le bruit et le fracas de la réprobation internationale, dans la colère « spontanée » de la « rue arabe » et dans les alertes des élites diplomatiques françaises éclairées, comme l’a prouvé la récente affaire de Sophie Pommier, j’attends encore une chose, que je n’ai pour l’instant pas entendue : est-il venu à l’idée de quiconque de demander au Hamas de faire preuve de tempérance et de contenir sa violence ? Quand Dominique de Villepin défend le droit légitime d’Israël à se défendre, tout en soulignant que nous avons franchi la limite de la politique de vengeance et que la seule réponse crédible face au terrorisme est la justice… est-il sérieux ?
Sans le Hamas, Israël ne serait pas en guerre permanente
Israël, depuis le retrait de ses forces militaires à Gaza, vit avec un voisin à sa porte sud dont le seul objectif est l’élimination pure et simple de l’État hébreu. La réalité est que les accords d’Oslo, et les volontés de paix affichées dans la région, ont été réduits à néant par l’arrivée au pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza. La réalité est que, sans le Hamas, la déclaration de Berlin du 24 mars 1999 exprimant « sa conviction que la création d’un État palestinien démocratique, viable et pacifique (…) serait la meilleure garantie de la sécurité d’Israël » aurait peut-être été prophétique.
La vérité, celle qu’il ne faut pas avoir peur de dire, est que, sans le Hamas, Israël ne serait pas en guerre permanente pour sa défense et celles de ses citoyens face au flux ininterrompu de roquettes envoyées sur le territoire israélien. Sans le Hamas, il n’y aurait pas eu de 7 octobre – 40 de nos compatriotes y ont trouvé la mort -, il n’y aurait pas non plus d’otages – dont 9 Français -, ni plus de victimes du côté israélien comme du côté palestinien.
Nous voulons tous arrêter les violences et les massacres, avec, en première ligne, les Israéliens qui pleurent d’envoyer leurs enfants au combat. Et, pour cela, Israël n’a pas besoin de faux amis, seulement de personnes capables de défendre la vérité. Alors, disons les choses clairement: je n’ai pas de sympathie particulière pour le gouvernement de Benyamin Netanyahou et ses ministres ultras, pas plus qu’une grande partie de la population israélienne qui voyait leur pays avant ce 7 octobre tragique s’enliser dans une impasse politique depuis trop longtemps. À la fin de la guerre, ils choisiront eux seuls, démocratiquement, de tourner cette page douloureuse.
Le 7 octobre fut la pire attaque qu’Israël ait eu à connaître dans son histoire : un pogrom sur son territoire. La barbarie qui s’est exprimée et l’inhumanité des actes nous ont donné, à tous, une leçon sur la nature des ennemis, les islamistes, le terrorisme djihadiste, que les Israéliens ont à combattre. Nos ennemis sont les mêmes. C’est pourquoi il faut défendre inconditionnellement le droit d’Israël à se défendre. C’est même un devoir de réponse d’un État démocratique et protecteur envers ses citoyens. N’en déplaise à certains, la France elle-même a eu à faire ce choix au lendemain des attaques de novembre 2015.
La paix passera d’abord par l’élimination du Hamas, puis par le rétablissement de la légitimité de l’Autorité palestinienne à Gaza et en Cisjordanie, à condition que celle-ci change, que ses responsables si discrédités soient renouvelés, et qu’Israël s’engage totalement pour la paix, avec le soutien de la communauté internationale et en poursuivant les accords d’Abraham. Et pendant qu’Israël combat ses démons et qu’elle se bat comme les Ukrainiens, aussi pour nous, pour la défense de nos valeurs, nous devons être d’un soutien irréprochable. La politique du « milieu de route » longtemps prônée par l’Union européenne et la France a montré ses limites. Il ne nous reste plus qu’à faire front commun face à l’obscurantisme et la haine.