Bagdad va-t-elle se libérer de l’emprise de l’Iran (1)?

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Après la chute d’Assad, l’Irak pourrait se libérer de l’emprise de l’Iran

Les Etats-Unis ont fait pression sur Bagdad pour qu’elle désarme les milices pro-iraniennes, et peu après, ces dernières ont annoncé : « Nous allons cesser d’attaquer Israël. » Le Yémen est-il désormais le seul avant-poste de Téhéran dans le conflit régional, et quelles sont les options de Téhéran concernant son influence en Irak ?

Par Elie Klutstein/Makor Rishon

La chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie a surpris les dirigeants de l’Axe de la Résistance iranienne, qui ont perdu une partie importante de l’anneau de feu qu’ils avaient construit autour d’Israël. L’influence et même le contrôle sur différentes parties de la Syrie, qui avaient permis à l’Iran d’accéder au Liban et au plateau du Golan, sont aujourd’hui partiellement coupés. Cependant, la réalité au Moyen-Orient dépasse souvent l’imagination, et il semble que les dirigeants de la République islamique soient désormais confrontés à un autre casse-tête : la crainte de voir leur emprise sur l’Irak continuer à faiblir.

Bagdad est au centre de l’attention régionale depuis quelques semaines, car elle se trouve à la croisée des chemins : va-t-elle se libérer de l’emprise de l’Iran et utiliser la nouvelle situation pour développer sa souveraineté et son indépendance, ou va-t-elle faire le contraire, c’est-à-dire exploiter le besoin de l’Iran de s’assurer une plus grande complicité avec elle ? Pour l’heure, en attendant de savoir quelle voie choisira le leadership irakien, les deux prétendants à sa loyauté s’efforcent de se positionner plus favorablement pour influencer la prise de décision de Bagdad.

Il y a une semaine et demie, le secrétaire d’État américain sortant Antony Blinken s’est rendu à Bagdad et a eu une discussion approfondie avec le Premier ministre irakien Mohammed Shia al-Sudani. Selon de hauts responsables américains au courant de la teneur de la conversation, Blinken a expliqué au Premier ministre que l’Iran se trouvait actuellement à son point le plus bas et que cela constituait une opportunité pour l’Irak de réduire l’influence de la République islamique dans le pays.

Un haut responsable a déclaré que lors de la discussion, Blinken avait également demandé à al-Sudani d’empêcher le transfert d’armes iraniennes vers la Syrie via le territoire irakien et avait promis de travailler avec les dirigeants de Bagdad pour empêcher le réarmement de l’État islamique et de ses combattants dans le pays. En outre, il a été rapporté que Blinken avait exhorté le gouvernement irakien à fermer les bureaux de l’avant-poste des Houthis dans le pays. Enfin, afin de lutter contre l’influence de Téhéran en Irak, le secrétaire d’État a demandé à Bagdad d’agir pour désarmer les milices pro-iraniennes en Irak.

Ces milices se sont fait connaître l’an dernier pour avoir lancé des drones contre Israël dans le cadre des opérations de l’« Axe de la résistance » contre nous pendant la guerre. Mais avant cela, elles avaient déjà mené des attaques terroristes contre les forces américaines stationnées en Irak, blessant des soldats américains. Ainsi, lorsqu’on a demandé au porte-parole du Département d’État si les États-Unis s’efforçaient de démanteler les milices, il a expliqué que cette décision n’était pas motivée par la lutte d’influence avec l’Iran, mais plutôt par le fait que les milices représentent une menace pour les troupes américaines. Cette distinction est importante car, selon lui, le désir des États-Unis de démanteler les milices n’est pas nouveau, car Washington a toujours agi contre ceux qui l’attaquent, et ses actions actuelles ne sont donc pas liées aux circonstances uniques qui ont émergé au Moyen-Orient.

Il semblerait que cette fois-ci les Etats-Unis cherchent à promouvoir une initiative non conventionnelle. On a notamment appris que les Américains avaient rencontré à deux reprises l’ayatollah Ali al-Sistani, la plus haute autorité chiite en Irak et peut-être dans le monde, pour l’exhorter à émettre un décret religieux exigeant le désarmement des milices. L’ayatollah, âgé, a refusé la demande américaine et, selon des informations en Iran, il a également refusé récemment de rencontrer un représentant du secrétaire général de l’ONU qui souhaitait discuter de la même question.

Les Américains semblent donc concentrer la plupart de leurs pressions sur les dirigeants irakiens, en accordant une attention particulière à cette question. Les inquiétudes américaines sont renforcées par le fait que le gouvernement de Bagdad a exigé que la coalition internationale, dirigée par les États-Unis dans la lutte contre l’EI, se retire du pays d’ici la fin de l’année prochaine. Les Américains ne sont certes pas pressés de quitter l’Irak, où environ 2 500 soldats sont actuellement stationnés, laissant la place à d’autres acteurs. Mais ils craignent surtout que l’Iran et ses milices n’exploitent le vide qui se créera dans le pays pour consolider leur contrôle. Depuis l’Irak, les Iraniens pourraient également déstabiliser une fois de plus le nouveau régime en Syrie et tenter d’y accroître leur influence. Parmi les autres préoccupations, on craint que les milices qui ont fui la Syrie après la chute d’Assad rejoignent des groupes armés en Irak et poursuivent leurs activités depuis ce pays.

Une accalmie temporaire

Les Irakiens sont conscients de la pression exercée sur eux pour modifier l’équilibre des forces dans le pays. Ibrahim al-Sumidie, conseiller du Premier ministre al-Soudani, a déclaré la semaine dernière après la visite de Blinken : « Pour être honnête, nous devons réévaluer la situation actuelle. » Selon lui, l’Irak ne peut plus rester lié à « l’Axe de la Résistance », comme il l’a dit, après la chute du Hezbollah au Liban et d’Assad en Syrie. Al-Sumidie a ajouté que contrairement au passé, « si nous ne nous y conformons pas, cela nous sera imposé ». Il a conclu en notant que des pourparlers sur le désarmement des milices ont commencé avec certaines d’entre elles, notamment les Brigades du Hezbollah irakien et les membres des Forces de mobilisation populaire (« al-Hashd al-Shaabi »), et que ces pourparlers sont à un stade avancé.

Un autre conseiller de haut rang d’al-Sudani, Hussein Alawi, a également confirmé la demande occidentale de Bagdad, affirmant que le désarmement des milices est « une clé pour la sécurité nationale de l’Irak ». Ces déclarations peuvent être interprétées comme plus qu’une simple demande américaine : elles équivalent à une menace, assortie de la précision que le non-respect de cette demande entraînera une mise en application.

Baha al-Araji, un autre proche du Premier ministre et ancien vice-Premier ministre à Bagdad, estime pour sa part que les craintes d’un changement de la situation politique et sécuritaire en Irak sont infondées. Il affirme également que l’existence de milices armées est le résultat de « l’occupation », ce qui explique également leur présence continue.

Milices terroristes pro-iraniennes en Irak. Photo : AP

Malgré ces démentis, cette semaine, il semble que les pressions américaines aient porté leurs fruits : lundi, on a appris qu’au moins certaines milices avaient conclu un accord avec le gouvernement irakien pour cesser de tirer sur Israël. Un chef de la milice pro-iranienne al-Nujaba a confirmé qu’à la demande du gouvernement et après les événements en Syrie, il existait un consensus pour éviter d’entraîner l’Irak dans un scénario pire que l’éviction d’Assad, qui pourrait plonger le pays dans le chaos et la terreur. Un porte-parole d’une autre milice, Kata’ib al-Fartusi, a lié les attaques contre Israël à l’activité du Hezbollah au Liban, affirmant qu’une fois qu’un cessez-le-feu avait été conclu avec l’organisation dans l’État du Cèdre, l’activité des milices en Irak avait cessé.

Cependant, avant la publication du rapport, il semblait que les Irakiens avaient déjà cessé leurs attaques, probablement à peu près au même moment que le cessez-le-feu au Liban. Selon les informations disponibles, les milices irakiennes n’ont pas revendiqué la responsabilité des tirs de drones vers Israël depuis plus d’un mois, soit depuis le 24 novembre. Le cessez-le-feu au Liban est entré en vigueur deux jours plus tard, le 26 novembre.

Malgré la déclaration de cessez-le-feu, il convient d’accorder une attention particulière aux déclarations d’al-Fartusi, représentant des Brigades Sayyid al-Shuhada. Dimanche, la veille de la confirmation que son organisation avait cessé de tirer sur Israël, il a déclaré que les milices « n’ont pas abandonné et n’abandonneront pas » le principe d’unification des fronts contre Israël, qui prévoit des attaques coordonnées depuis différentes directions, notamment le Yémen, l’Irak, la Syrie, le Liban et ailleurs – même si, en raison d’une combinaison de circonstances internes et externes, les milices suspendent temporairement leurs activités. Selon lui, ce principe est « une question de doctrine et n’a aucun rapport avec les pertes ou les défaites ».

Cette déclaration souligne la vision du monde qui anime de nombreux membres des milices. Ils ne se battent pas uniquement pour des intérêts, mais sont motivés par une idéologie et une vision globale de l’opposition à Israël, à l’Occident et à la libéralisation. Cette vision partagée avec l’Iran et son plan stratégique signifie que même si les milices cessent temporairement leurs attaques contre Israël, il est difficile d’affirmer qu’elles sont susceptibles de renoncer entièrement à leurs armes ou de réduire volontairement leur influence en Irak. On ne peut pas non plus supposer qu’elles participeront à un effort global visant à chasser les intérêts de l’Iran d’Irak tout en permettant simultanément une influence américaine accrue et en abandonnant leur « résistance » contre Israël.

A suivre …

JForum avec ILH

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