Au « Monde », ce traitement d’Israël qui ne passe plus

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«Les gens ont peur, c’est l’omerta» : au Monde, un malaise grandissant sur le traitement d’Israël dans le journal

ENQUÊTE – Le cas de Benjamin Barthe, rédacteur en chef adjoint du service international marié à une activiste palestinienne, enflamme la rédaction. Alors que le quotidien fête ses 80 ans, plusieurs journalistes dénoncent un climat délétère.

Par Eugénie Bastié

Dans les locaux encore flambant neufs du journal Le Monde, immeuble-pont jouxtant la gare d’Austerlitz, on ne vit qu’en open space. Même les directeurs n’ont pas de bureaux fermés. Transparence et horizontalité obligent, quand on se proclame le « journal de référence ». Ce qui flatte le sentiment d’égalité ne favorise pas pour autant le dialogue et l’échange. Et dans cette rédaction ouverte et prestigieuse qui fête tout juste ses 80 ans, les non-dits s’accumulent. « C’est un journal où les gens sont persuadés de ne pas avoir de corps, qui se prétend neutre. Donc quand ça explose, c’est dix fois plus violent » analyse un cadre de la rédaction. « Les gens ont peur, c’est l’omerta » témoigne une autre journaliste. Depuis un an, une colère sourde existe aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du journal quant à la façon dont celui-ci traite le conflit entre Israël et le Hamas. La loi du silence règne au sein de la rédaction: preuve en est, tous les journalistes que nous avons contactés pour cette enquête ont préféré conserver l’anonymat.

Une frange de la rédaction prend ouvertement le parti des Palestiniens. Ce qui n’est pas nouveau dans un journal propalestinien depuis toujours. Ce qui est plus problématique est l’indulgence manifestée envers les bourreaux du Hamas et la haine affichée de l’État hébreu. Au cœur de ces bureaux aseptisés de verre et d’acier, dans le service société du journal un mur entier surmonté d’un autocollant « stop génocide » est consacré à Gaza. Ceux qui ont fabriqué ce patchwork ont mêlé coupures de presse sur le massacre en cours, photos d’enfants mutilés, une chronologie titrée « ne laissez personne vous dire que ça a commencé le 7 octobre 2023 », avec la litanie des crimes imputés à Israël. Des caricatures affichées frisent l’antisémitisme ou le complotisme : une femme pleurant son enfant mort dans ses bras devant une forêt de micros avec cette légende « Mais condamnez-vous le Hamas ? » suggérant un unanimisme médiatique imposé, une statue de liberté vêtue d’un drapeau israélien taché de sang tenant à bout de bras un enfant palestinien mort, une autre caricature représentant une main tenant un produit avec l’étiquette « Nettoyage ethnique » vaporisant du sang sur une carte de la Palestine avec cette mention « ça n’a jamais été un conflit, ça toujours été un génocide ».

L’émotion envers ce qui se passe à Gaza est tout à fait légitime. Mais a-t-elle sa place au cœur d’une rédaction ? Qui plus est quand elle est exprimée dans des termes violents et complotistes ? «En aucun cas cet engagement individuel n’est celui du service Société ou de la rédaction dans son ensemble», nous répond la direction du journal.

« J’avoue que chaque fois que je passe devant, ça me trouble. C’est trash. » raconte une journaliste au Figaro. « Afficher une opinion aussi tranchée sur un conflit d’une telle complexité, au cœur de la rédaction d’un journal qui prétend avoir la religion des faits, ça pose question. Est-ce qu’on tolérerait ça sur un autre conflit ? » ajoute-t-elle, affirmant qu’elle serait tout aussi choquée qu’on affiche les images des otages israéliens. Ce « mur de Gaza » qui choque une partie de la rédaction n’est qu’un aperçu des divisions qui minent le journal depuis l’attaque du Hamas.

Afficher une opinion aussi tranchée sur un conflit d’une telle complexité, au cœur de la rédaction d’un journal qui prétend avoir la religion des faits, ça pose question. Est-ce qu’on tolérerait ça sur un autre conflit ? Une journaliste du Monde

Plusieurs personnes évoquent une réunion de prévision du jeudi, où sont présents une trentaine de cadres du journal au cours de laquelle il aurait été dit : « On a un problème avec la communauté juive, ils sont hostiles ». « Étant donné la précaution langagière à l’égard des minorités généralement utilisée dans ce journal, c’est assez étonnant » souffle une journaliste.

Le 9 octobre, deux jours seulement après l’attaque, une grande plume du journal s’adresse à une journaliste juive de la rédaction en lui lançant :« C’est mal parti pour ton Alyah » (NDLR: terme désignant l’acte d’immigration en Terre d’Israël par un Juif). Ambiance, alors que sur les murs des couloirs des affichettes proclament : « Ne laissons pas passer les remarques discriminatoires. »

La couverture partiale du conflit tourne parfois à la polémique. Le 7 octobre 2024, jour anniversaire des attaques, une «une» du Monde circule sur les réseaux sociaux : « Édition spéciale, Gaza écrasée par un an de guerre et de chaos ». Le journal qui sort le soir avait publié son édition sur l’anniversaire de l’attaque la veille. Mais ce journal du daté 8 octobre, sorti le lundi, fait le bilan de l’offensive lancée par l’État israélien contre le Hamas.

Ce sous-titre: « Un an après le début de l’offensive lancée par les Israéliens en représailles aux attaques terroristes du Hamas » est factuellement contestable. Le premier raid dans la bande de Gaza a lieu le 13 octobre, avant qu’une véritable offensive terrestre se déclenche le 24 octobre. Pourquoi avoir absolument voulu rappeler les horreurs de la guerre à Gaza le jour même de l’anniversaire des atrocités commise par le Hamas ? De nombreuses personnalités témoignent leur indignation. Maladresse ? Mauvaise foi ? Expression d’un tropisme pro palestinien ? Après cette « une », le journal connaît une vague de désabonnements dont il est difficile de connaître l’ampleur, mais suffisamment importante pour alerter en interne. C’est que cet incident n’est pas le premier.

A suivre…

JForum avec www.lefigaro.fr

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