Armement : la France, supermarché de l’Arabie saoudite

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François Hollande a autorisé la vente à Riyad de 455 millions d’euros d’armes, dont une grande partie pourrait être destinée à la guerre au Yémen.

Une autorisation administrative portant sur une vente considérable d’armements à l’Arabie saoudite a agité le microcosme local ces dernières semaines. D’un côté, le ministère des Affaires étrangères et Matignon y étaient réticents, arguant que ces matériels étaient destinés à la guerre au Yémen. De l’autre, le ministère de la Défense estimait que l’allié saoudien devait être soutenu sans restriction. Il a finalement obtenu gain de cause.

Quand la France annonce 20 milliards d’euros de prise de commandes d’armements pour l’année 2016, elle se flatte de monter sur le podium mondial des marchands d’armes. Elle est alors assez diserte sur ses clients respectables, comme l’Australie ou l’Inde, dont les intentions ne sont guère contestées. Il en va, en revanche, différemment des « transferts », c’est le terme consacré, à destination de pays critiqués pour leur utilisation de ces armements.

Résolution 2216

C’est le cas de l’Arabie saoudite, dont de nombreuses organisations internationales et non gouvernementales contestent le rôle dans la guerre qui se déroule actuellement au Yémen. Depuis mars 2015, une coalition militaire de pays arabes sunnites, soutenue par les États-Unis et conduite par l’Arabie saoudite, est engagée dans une guerre contre les rebelles houtis appuyés par l’Iran. L’ONU estime qu’aucune des parties prenantes du conflit ne respecte les lois de la guerre en conduisant des attaques contre les populations civiles, sans épargner les écoles et les hôpitaux. Plusieurs organisations, dont Amnesty International, dénoncent les livraisons d’armes dans cette région du monde et accusent les États-Unis et le Royaume-Uni, et dans une moindre mesure la France, de fournir des armes à la coalition. Mais ces grands exportateurs d’armes agissent sous le couvert de la résolution 2216 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui prévoit un embargo sur les armes destinées aux houtis, mais pas sur celles de la coalition.

Le « Saudi-French Military Contract »

Rappelons qu’en France les exportations d’armements sont interdites. Pour qu’elles se produisent, une dérogation est nécessaire. Elle est accordée, ou pas, par le Premier ministre Bernard Cazeneuve après une étude au cas par cas conduite par une instance spécialisée, la CIEEMG (Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre), que préside le SGDSN (secrétaire général de la défense et la sécurité nationale), le conseiller à la Cour des comptes Louis Gautier.
En janvier 2017, une réunion de la CIEEMG doit évoquer – selon nos informations – une nouvelle vente d’armes à l’Arabie saoudite. Elle concerne une suite au contrat Donas de vente d’armes françaises au Liban, financées par l’Arabie saoudite. Ce pays a finalement récupéré ce contrat à son seul profit, pour un montant de 3 milliards d’euros, dont les modalités sont définies par trois avenants. Aujourd’hui, ce contrat Donas a changé de nom pour devenir SFMC (Saudi-French Military Contract). Et les Saoudiens demandent une rallonge, un quatrième avenant qui pourrait s’élever à terme à une somme estimée à entre 1,2 et 1,4 milliard d’euros.

Grandes manoeuvres

Pour l’heure, une première série de demandes saoudiennes a été présentée à Paris, pour une somme évaluée par certaines de nos sources à 455 millions d’euros. Et, parmi ces demandes, celles posant problème aux Français concernent pour l’essentiel deux entreprises, Nexter et Thales TDA Armements. Rien que de très classique, s’agissant de la nature des commandes, à savoir pour Nexter des munitions d’artillerie de 155 mm. La France a vendu à l’Arabie des quantités de matériels capables de tirer ces munitions, dont les très modernes Caesar, dont près de 200 exemplaires sont en cours d’acquisition, et le plus ancien, AMX 30 AUF1, est en cours de remplacement, entre autres. Et, pour TDA, des obus de mortier de 120 mm, qui équipent les Piranha de l’armée saoudienne.

Ce qui a, en revanche, étonné la CIEEMG, ce sont les quantités réclamées par le client, très supérieures au train-train des commandes de routine. Il n’en a pas fallu davantage pour que Matignon lève un sourcil et fasse bloquer le processus. C’est alors que de grandes manœuvres ont commencé entre trois partenaires, puis quatre, qui ont chacun défendu son point de vue. Choqué par l’utilisation probable de ces munitions par le corps expéditionnaire saoudien au Yémen, le Quai d’Orsay renâcle fermement. Deuxième acteur : le ministère des Finances, dont l’attitude ne surprend pas, dès lors qu’il ne va pas protester contre des ventes qui rapportent si gros. Troisième négociateur : la Défense. On connaît le point de vue de Jean-Yves Le Drian : l’Arabie saoudite est un allié dans la guerre contre le terrorisme. On ne lui refuse rien, ou presque. Le Premier ministre, dans ce cas précis, avait initialement pris le parti des opposants à la vente.

Arbitrage de l’Élysée

Ces derniers avaient pris soin de découper le contrat en tranches. Les fournitures à la garde nationale (SANG, pour Saudi Arabia National Guard) ont été considérées comme conformes aux engagements de la France en matière de ventes d’armes. Le gouvernement français estime que la garde nationale n’intervient pas hors des frontières saoudiennes. Les ventes ne font donc pas débat. D’autres armements sont également concernés, qui ne sont pas directement utilisables au Yémen en raison des délais de mise en œuvre. Mais, pour les munitions destinées au Yémen, Paris a d’abord dit non. Puis, fin février et alors que nous commencions à interroger des personnes connaissant ce contrat, les choses ont évolué. Bernard Cazeneuve, qui suivait cette affaire de très près, a sollicité l’arbitrage de l’Élysée.

Réponse de François Hollande : on autorise. Faut-il s’en étonner ? Pas vraiment… Depuis le début de la guerre, Paris appuie Riyad de toutes ses forces, y compris dans les domaines les plus sensibles comme la guerre électronique et le renseignement. Les affaires continuent donc, et la balle est désormais dans le camp des Saoudiens, puisque Paris accepte de leur vendre la plupart des armes qu’ils demandent. Les Saoudiens doivent désormais confirmer leur commande et financer ce nouvel achat. Ils sollicitent toutes les banques mondiales pour obtenir un prêt, alors même que leurs réserves leur permettent de financer comptant leur commande, et que les prix du pétrole sont remontés.

Quant aux ONG qui réclament le respect du traité sur le commerce des armes, ratifié par la France en avril 2014, elles font valoir que le texte prévoit qu’un État signataire « ne doit autoriser aucun transfert d’armes classiques (…) s’il a connaissance, lors de l’autorisation, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels il est partie ». Ce texte n’est visiblement pas tombé dans l’oreille de François Hollande. Qu’en sera-t-il du prochain hôte de l’Élysée ?

© Gaïa pour www.Dreuz.info

Source : Lepoint

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