Par Daniel Haïk
Il faut avouer que la compétence des juges de la Cour suprême, désormais saisis sur la validité de cette loi même qui réduit leur pouvoir, est problématique.
Et si Netanyahou était un digne disciple de Machiavel ? C’est la question que l’on peut légitimement se poser ce mardi, au lendemain du vote par la Knesset de la loi annulant la clause de raisonnabilité. En effet, sa décision d’aller jusqu’au bout de la démarche législative controversée risque bien de placer la présidente de la Cour Supreme devant un dilemme cornélien. Après le dépôt, très vite après le vote, de plusieurs recours contre ce texte par les opposants à la réforme, la Cour va être saisie du dossier et devoir statuer sur la validité de la loi.
Le texte voté en 3e lecture est, en effet, un amendement à la loi fondamentale sur le pouvoir judiciaire et, en tant que tel, dispose d’un statut semblable en tous points à une loi fondamentale. Or si, au fil des ans, la Cour suprême est de facto devenue de plus en plus activiste, à l’instar de son mythique président Aaron Barak, elle a toujours veillé a ne pas invalider des lois fondamentales ou des amendements à de telles lois.
Que va-t-il se passer dans le cas précis ? Trois options majeures
- Repousser les recours: la Cour suprême respecte sa propre tradition et décide de ne pas invalider la loi. Elle repoussera alors les requêtes des opposants à la réforme et se retrouvera en porte à faux avec ceux qui, depuis 30 semaines, la défendent bec et ongles et veillent à préserver son prestige de “gardienne de la démocratie”. En agissant de la sorte, Esther Hayout et ses juges feront le jeu du gouvernement Netanyahou et, plus grave encore, risquent de couper l’herbe sous les pieds du mouvement de protestation anti-réforme.
- Accepter les recours et invalider la loi: dans ce cas, la Cour ne se contenterait pas de bafouer sa tradition juridique. Elle rajouterait, dans un contexte particulièrement tendu, de l’eau au moulin des partisans les plus farouches de la réforme, ceux qui prétendent que la Cour suprême s’accapare un pouvoir qu’elle n’a pas et porte atteinte à la séparation des pouvoirs entre le législatif et le judiciaire. Cela offrirait au ministre de la Justice, Yariv Levin, un argumentaire solide pour poursuive sa réforme judiciaire.
- Annuler la loi pour des raison techniques: Les juges de la Cour suprême peuvent se pencher sur l’intégralité de la procédure législative depuis le dépôt de la loi par Yariv Levin et Simha Rotman, jusqu’au vote en 3e lecture, en passant par les dizaines d’heures de débats en commission des lois, et 28 000 amendements, dont certains fictifs, déposés par l’opposition afin de ralentir la procédure. Ce serait la une manière contournée de donner raison aux opposants à la réforme sans s’engager sur un argumentaire polémique.
- Au-delà de ces trois options, il faut bien avouer que l’ingérence des juges de la Cour suprême, dans une procédure visant à invalider une loi réduisant le pouvoir judiciaire de ces mêmes juges, est problématique. Elle place Esther Hayout et ses collègues face à un très sérieux conflit d’intérêt.
Alors non, Benjamin Netanyahou n’a pas orchestré toute cette procédure pour placer la Cour suprême en difficulté. Mais il ne fait aucun doute que les juges vont devoir statuer avec doigté s’ils ne veulent pas rajouter de l’huile sur le feu.
Le juriste, Me Philippe Koskas, qui connait parfaitement les méandres de la Cour suprême, considère que les juges ne prendront pas le risque de casser la loi sur l’annulation de la clause de raisonnabilité. Motif, selon lui: “Ils disposent dans leur arsenal judiciaire d’autres instruments que la loi met à leur disposition pour compenser la disparition de la clause de raisonnabilité”. Il s’agit entre autres de la “proportionnalité” ou la “réduction au silence” (Ashtek en hébreu), d’ailleurs utilisée pour invalider la nomination d’Arié Dérhy, leader de Shas, au sein du gouvernement Netanyahou, début janvier. Ce serait, selon Me Koskas, une manière pour la Cour de “botter en touche” dans l’attente de projets de loi plus cardinaux que les juges ne pourraient “raisonnablement” pas tolérer, comme la composition “politisée” de la commission de nomination des juges.
Toutefois, on peut s’interroger sur ce dernier point… Si les juges disposent effectivement d’autres instruments pour compenser la disparition de la clause de raisonnabilité, comment tant de gens sérieux peuvent-ils encore prétendre que l’adoption de cette loi par la Knesset laisse grande ouverte la voie à une dictature israélienne ? A méditer.
© Daniel Haïk