SONDAGE. Une enquête réalisée par Ipsos pour le Crif révèle un « retournement historique » dans les catégories de Français qui expriment des opinions antijuives.
Par Géraldine Woessner
Les Juifs sont traqués dans les rues d’Amsterdam (Pays-Bas), molestés en France (où les actes antisémites ont flambé de 192 % au premier semestre 2024)… L’antisémitisme progresse et change de visage. « Il y a un bouleversement dans les catégories de Français qui expriment des opinions antijuives », observe Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos, qui a réalisé pour le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) une enquête analysant le regard des Français sur l’antisémitisme, que Le Point dévoile.
Plusieurs enseignements sont tirés. Premièrement: les opinions antijuives sont en nette progression. Pour le mesurer, l’institut évalue l’adhésion à 16 stéréotypes antisémites. « Lorsqu’un individu adhère à de nombreux items, c’est le signe d’une pensée structurée », analyse le sondeur. Or 46 % des Français adhèrent aujourd’hui à plus de 6 préjugés antijuifs, contre 37 % en 2020. « Presque un quart des sondés pensent que les Juifs ne sont pas vraiment des Français comme les autres, en hausse de plus de 6 points ! »
L’antisémitisme des jeunes et le rôle déterminant des réseaux sociaux
Deuxièmement : la haine des Juifs a pris ces dernières années un inquiétant coup de jeune. Seulement 53 % des 18-24 ans pensent que la majorité des Juifs est bien intégrée dans la population, contre 84 % des Français. Et 17 % des moins de 35 ans jugent que leur départ de la France serait… une bonne chose !
Dans la population générale, 12 % se réjouissent de voir les Juifs quitter le territoire national, alors qu’ils n’étaient que 6 %, en 2020, à exprimer une opinion aussi radicale. « C’est très violent, et contraire à la tendance historique, observe le président du Crif, Yonathan Arfi. La jeunesse est plus perméable aux thèses antisémites, islamistes et complotistes, qui envahissent les réseaux sociaux. »
LFI rejoint l’extrême droite sur le leadership des préjugés antisémites
Le phénomène est puissant chez les sympathisants de La France insoumise (LFI), dont 20 % jugent souhaitable le départ des Juifs – contre 15 % chez ceux du Rassemblement national.
« C’est un bouleversement complet de la cartographie politique », relève Brice Teinturier, qui décrit un « retournement historique » : LFI dispute désormais à l’extrême droite le leadership des préjugés antisémites. « Un tiers des sympathisants Insoumis adhère à 9 stéréotypes antijuifs ou plus. » Au total, 55 % des fidèles de LFI cochent au moins 6 cases dans l’inventaire de l’antisémitisme ordinaire.
Plus troublant encore : un quart d’entre eux confessent leur « sympathie » pour le Hamas, et 40 % refusent de qualifier l’organisation de « terroriste ». « LFI a redonné à l’antisémitisme une caution politique », tranche Yonathan Arfi. Un Français sur deux suspecte désormais ses concitoyens juifs de « double allégeance ». « On observe cette porosité toxique entre la critique d’Israël et l’ostracisation des Juifs de France, analyse-t-il. La cause palestinienne devient un permis de haïr. »
La rue, documente le ministère de l’Intérieur, suit le mouvement. « L’hystérisation du débat sur Gaza a fait sauter les derniers verrous, constate Yonathan Arfi. Des élus font de la cause palestinienne un fonds de commerce électoral. » Une « instrumentalisation criminelle », contre laquelle le président du Crif appelle à lutter : « Il faut une réponse systémique. » Le gouvernement promet une riposte pour 2025…