Ami Moyal : l’homme qui décode les écoutes

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Interview exclusive, par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps

Nous publions à nouveau un article de 2014 qui vient d’entrer dans l’actualité après ces derniers évènements.

Le professeur Ami Moyal (notre photo) m’a reçu dans son bureau de l’Université d’Afeka, au nord de Tel-Aviv. Il a gardé la simplicité de ses origines modestes puisque ses parents ont émigré du Maroc dans les années 1950 pour s’installer au sud du pays, à Ashdod, avec toutes les difficultés d’intégration que les communautés séfarades d’Afrique du Nord ont connues. Docteur en informatique de l’université de Ben Gourion, il a derrière lui une expérience d’une vingtaine d’années dans l’industrie mais il a été pris très vite par le virus de la recherche, de l’enseignement et du transfert de ses connaissances. Le maniement des langues n’est pas un secret pour lui puisqu’il a longtemps utilisé le français pour communiquer avec ses grands-mères mais il avoue à présent manquer de pratique, surtout lorsqu’il s’agit d’exposer le détail de ses travaux.

Il a créé une startup au sein de l’université avec une structure réduite à une vingtaine d’ingénieurs de haut niveau, poussés par la passion de la recherche fondamentale. Les grands pays ont vite compris l’intérêt qu’ils pouvaient tirer des résultats de ses recherches, au départ très théoriques. Il reste très discret sur ses clients israéliens et américains pour des raisons de confidentialité et de sécurité mais, entre les lignes, on a vite compris que les applications intéressaient surtout les organismes sécuritaires de type NSA qui fondent leurs objectifs sur les écoutes. Un gros client français dont il souhaite garder l’anonymat utilise déjà ses techniques. Grâce à lui, Il espère entrer de plain pied dans le marché européen car ses applications vont au-delà des applications militaires.

Son groupe d’experts a combiné les connaissances universitaires et l’expérience de l’industrie pour inventer des solutions innovantes dans tout ce qui touche à l’analyse de la parole et du texte. Son équipe comprend des spécialistes de haut niveau du traitement du signal, des ingénieurs logiciels et des linguistes. Leurs travaux portent sur la reconnaissance vocale, le repérage de mots-clés, la reconnaissance des phonèmes, qui sont les plus petites unités discrètes ou distinctive permettant de distinguer des mots les uns des autres, que l’on puisse isoler par segmentation dans la chaîne parlée. La start-up a trouvé une modélisation acoustique, a développé des techniques de reconnaissance vocale dans les environnements bruyants, de traitement de la parole, de traitement de la langue et de systèmes de dialogue. On reconnait ainsi toutes les techniques indispensables aux grandes oreilles internationales.

Ami Moyal, comme pour se dédouaner, a tenu à préciser qu’il n’était pas responsable de la manière dont les données brutes, qui lui étaient confiées pour analyse, étaient récupérées : satellites, captation de communication, intrusion dans le réseau Internet. Ses logiciels, qui utilisent des ordinateurs puissants situés aux États-Unis, sont chargés de décortiquer des données dans une multitude de langues soit à partir de textes, soit à partir de sons et de vidéos. Les Américains réclament sans cesse le développement d’applications dans de nouveaux langages et c’est pourquoi ses logiciels ont été conçus pour «apprendre» de manière automatique tout nouveau dialecte en trois semaines, sans aucune intervention humaine. Son dernier contrat signé concerne la langue vietnamienne intégrée dans ses techniques de reconnaissance vocale.

Il reste très modeste sur la réussite de son équipe alors qu’il feint d’ignorer que son concept a mis le feu en Occident le jour où l’on a compris qu’il n’y avait plus aucune limite pour une intrusion dans tous les domaines de la vie privée, sécuritaire et politique. Il ne s’estime pas coupable d’une éventuelle déviation dans l’usage de ses logiciels. C’est le propre du chercheur que de ne voir que le bon côté de ses découvertes même si certains pays n’exploitent que l’aspect militaire et sécuritaire.

Les Israéliens ne s’en privent pas pour analyser les communications arabes et iraniennes depuis leurs satellites, leurs navires ou leurs sous-marins espions. L’unité militaire 8200 des services de renseignements militaires est une fervente utilisatrice de ces techniques de reconnaissance de la voix puisqu’elle est à l’écoute des communications échangées dans le monde arabe entre civils et organisations militaires.

Applications civiles

Mais les applications ne sont certainement pas toutes militaires. Il vient de concevoir un robot capable d’engager une conversation, comme avec un être humain. Il comprend et analyse les mots et sait répondre ; il reconnait la voix et identifie son interlocuteur jusqu’à en donner son CV et, selon le cas, accepte ou non de dialoguer avec lui. Il est capable de détecter automatiquement la langue et même un lointain dialecte. Il interprète les gestes de la tête ou des mains et peut lire sur les lèvres de son interlocuteur. De nombreuses applications en découlent dès qu’il permet le dialogue entre un homme et une machine à l’instar d’une discussion entre deux êtres humains.

Bien sûr il sait extraire de plusieurs heures de dialogue quelques éléments significatifs sur la base de quelques mots clés imposés. Google est sur les rangs pour exploiter ces nouvelles techniques car, expert en recherche de mots à partir de textes, il souhaite étendre ses fonctions sur l’analyse de dialogues audio ou vidéo. Ainsi Ami Moyal a déjà exploité plusieurs heures de vidéos, de qualité médiocre pour se mettre dans un environnement plus réaliste, en différentes langues,  afin d’en extraire quelques minutes significatives selon le mot-clé imposé.

Les applications civiles sont nombreuses en particulier dans la téléphonie ou l’aide aux handicapés. Il est possible de questionner son téléphone portable et obtenir la réponse, d’envoyer des SMS ou des mails à partir de la voix et aussi reproduire le texte écrit d’une conversation. Ami Moyal déborde de projets internationaux auxquels il ne peut pas donner toujours suite, non pas par manque de financement, mais par un manque de personnel de haute voltige. C’est pourquoi il privilégie la coopération avec des universités étrangères qui pourraient apporter une certaine complémentarité. Une université du sud de la France est en pourparlers pour un échange d’étudiants et un transfert des connaissances, montrant ainsi la  volonté de la startup de s’ouvrir à l’Europe. Il vient de signer un contrat avec une immense société européenne multinationale pour un moteur exclusif de recherche personnalisée parce qu’il est aussi capable de faire du sur-mesure.

Certainement freiné par un devoir de réserve, Ami Moyal refuse de trop s’étendre sur les applications militaires. Il veut en revanche défendre ses applications civiles et en particulier son projet Virtual assistance qui permet de parler à un portable plutôt que de taper sur un clavier. On peut lui demander les adresses de restaurants avec une spécialité précise et il est capable de composer le numéro de téléphone recherché. Les applications médicales sont aussi nombreuses avec en particulier la possibilité pour un médecin de dicter les symptômes de son patient pour recevoir, en retour, des propositions de diagnostic ou de soins.

Le système va plus loin car, le fait d’entendre un malade et de détecter les mouvements de ses lèvres, permet de concevoir un diagnostic sans avoir à analyser des parties malades de son corps. Enfin les sociétés, qui fournissent un service à un public, enregistrent de plus en plus les communications qui sont ensuite analysées, selon la technique speech analysys, pour surveiller et corriger éventuellement le comportement de leur personnel face à leurs clients.

Ami Moyal a cherché à nous faire comprendre qu’on entrait aujourd’hui dans un monde virtuel de plus en plus perfectionné pour le grand bien des humains. Il veut œuvrer pour l’amélioration des conditions de vie de ses semblables. Le seul épisode du NSA de ces dernières semaines correspond selon lui à une parenthèse à laquelle il souhaite donner le moins d’importance.

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