- Un fossé de plus en plus significatif se creuse entre ce que les Allemands disent en public et ce qu’ils pensent … Cinquante-sept pour cent des Allemands trouvent de plus en plus énervant de se voir dicter « ce qu’il leur est permis d’exprimer et comment ils doivent se comporter ».
- « Cela fait une grande différence … quand les citoyens pensent qu’ils sont de plus en plus surveillés et jugés … quand ils ont le sentiment de ne pas être pris en considération, quand ils sentent que leurs préoccupations ne sont pas prises au sérieux… et qu’ils ne sont pas consultés sur les grands sujets » – D’après une enquête sur l’autocensure en Allemagne menée par l’Institut für Demoskopie Allensbach.
- Ces atteintes [à la liberté d’expression] ont culminé en 2018 avec la loi sur la censure qui oblige les réseaux sociaux à supprimer ou bloquer toute « infraction pénale » présumée relevant de la diffamation ou l’incitation en ligne, dans les 24 heures qui suivent la plainte d’un internaute. Si les plateformes ne réagissent pas, le gouvernement allemand sera en droit de leur infliger une amende pouvant aller jusqu’à 50 millions d’euros. Des Allemands ont été poursuivis en justice pour avoir critiqué la politique migratoire du gouvernement.
- Le parti Libéral Démocrate au Royaume-Uni, a suspendu la candidature de Daniel Toth-Nagy parce qu’il a affirmé que « l’islamophobie est une aberration » et, pour avoir répondu de la façon suivante à un tweet par « Et le mutilations génitales féminines ? Les crimes d’honneur ? Les mariages forcés ? Que pensez-vous de la protestation des femmes en Iran, en Arabie Saoudite et dans d’autres pays islamiques contre le port obligatoire du hijab ? Et la charia en Grande-Bretagne ? Les droits des LGBT et le refus d’éducation par les musulmans à Birmingham ? »
Une récent sondage a montré que les citoyens allemands autocensurent les propos qu’ils tiennent en public dans une proportion à peine croyable. A la question « est-il possible de s’exprimer librement en public ? » 18% seulement ont répondu par l’affirmative. En revanche, 59% des Allemands ont reconnu que leur parole était plus libre dans leur cercle d’amis et de connaissances.
« Près des deux tiers des citoyens sont convaincus qu’une ‘grande prudence est de mise concernant les sujets sur lesquels on s’exprime’, car de nombreuses lois non écrites tracent une frontière entre les opinions acceptables et celles qui ne le sont pas », indique l’enquête réalisée par l’Institut für Demoskopie Allensbach pour le compte du Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ).
« La question des migrants est celle qui sensibilise le plus la grande majorité des personnes interrogées, suivie des opinions concernant les musulmans et l’islam », indique l’étude. Ainsi, 71% des Allemands interrogés déclarent que commenter la question des réfugiés ne peut se faire qu’« avec prudence ». En revanche, une majorité de personnes interrogées estime que « la protection du climat, l’égalité des droits, le chômage ou l’éducation des enfants, sont des sujets sur lesquels il est possible de s’exprimer plus franchement ».
Le nombre des sujets tabous semble avoir évolué de manière significative au cours des deux dernières décennies. Ainsi, en 1996, 16% seulement des Allemands considéraient la question du patriotisme comme sensible. Aujourd’hui, ils sont 41%.
L’enquête révèle que « le patriotisme, le cosmopolitisme et le soutien à l’Europe » (à l’Union européenne) ne s’excluent pas l’un l’autre. Mais aujourd’hui, « la population n’est plus aussi sûre que les élites qui prônent l’intégration européenne au sein d’une économie mondialisée, portent encore une quelconque estime à la nation… les citoyens craignent de plus en plus d’être considérés comme des extrémistes de droite s’ils se déclarent patriotes. Néanmoins, un tiers des personnes interrogées estime que les hommes politiques qui souhaitent se préserver d’attaques violentes doivent se garder d’afficher une quelconque fierté nationale dans la sphère publique ».
Le fossé s’est élargi en Allemagne entre les sujets qu’il est tabou d’aborder dans la sphère publique et ceux qui sont réservés aux conversations entre amis et connaissances. Ainsi, 62% des Allemands sont convaincus qu’un homme politique qui dirait que l’islam a trop d’influence en Allemagne s’exposerait à de vives critiques. Mais ils ne sont que 22% à trouver choquant d’exprimer la même idée en privé. L’idée qu’« on en fait trop pour les réfugiés en Allemagne » est également perçue comme une idée à risque si elle est exprimée publiquement. Mais moins d’un tiers des personnes interrogées (31%) juge qu’il en va de même dans l’espace domestique. En d’autres termes, l’écart s’est creusé entre ce que les Allemands disent en public et ce qu’ils pensent en leur for intérieur.
« Fait très remarquable, beaucoup [d’Allemands] ont le sentiment d’un contrôle social renforcé sur les opinions exprimées publiquement. Ils pensent que les déclarations et comportements publics font l’objet d’une surveillance renforcée », note le sondage. « Un citoyen sur deux est convaincu qu’une attention particulière est portée aux comportements et propos tenus en public. 41% affirment que le poids du politiquement correct est trop élevé, et 35% en concluent que la liberté d’expression n’est possible qu’en privé ».
Le sentiment général des Allemands est que le politiquement correct pèse aujourd’hui d’un poids exagéré : les deux tiers des personnes interrogées pensent que des expressions très politiquement correctes comme « personnes issues de l’immigration » ne devraient pas remplacer des termes plus usuels tels que « étranger ». Cinquante-sept pour cent des Allemands se disent énervés de se voir dicter « les mots qu’il convient de prononcer et les comportements qu’il convient d’avoir ». La plainte des Allemands de l’ex-RDA communiste est plus vigoureuse, encore dans la mesure « ou ils gardent encore frais le souvenir des règlementations et contraintes du régime ». L’enquête se termine d’ailleurs sur la note suivante :
« Il existe une grande différence entre les normes auxquelles une société accepte de se plier et le sentiment constant qu’ont aujourd’hui les citoyens d’être surveillés et évalués … De nombreux citoyens ont le sentiment qu’on leur manque de respect ; ils aimeraient que leurs préoccupations et opinions soient prises en considération [et] que les sujets importants fassent l’objet d’une discussion publique … »
Les résultats de cette enquête n’ont rien de surprenant tant il est évident que le droit à la liberté d’expression s’est restreint en Allemagne ces dernières années. Les atteintes à la liberté d’expression ont culminé en 2018 avec la loi allemande sur la censure qui oblige les réseaux sociaux à supprimer ou à bloquer toute « infraction pénale » présumée dans les 24 heures qui suivent la plainte d’un internaute qui estimera avoir été diffamé ou avoir été victime d’une incitation à la haine. Si les plateformes tardaient à agir, le gouvernement allemand serait en droit de leur infliger une amende pouvant aller jusqu’à 50 millions d’euros.
Des citoyens allemands ont ainsi été traduits en justice pour avoir critiqué la politique migratoire du gouvernement : en 2016, un couple marié, Peter et Mélanie M., ont été poursuivis en justice pour avoir créé un groupe Facebook très critique de la politique migratoire d’Angela Merkel. Selon des articles de presse, on pouvait lire sur leur page Facebook : « La guerre et les réfugiés économiques envahissent notre pays. Ils apportent avec eux terreur, peur et chagrin. Ils violent nos femmes et mettent nos enfants en danger. Il faut que cela cesse ! »
A son procès, Peter M. a justifié les propos qu’il a tenu en ligne : « On ne peut même plus exprimer une opinion critique sur les réfugiés sans se faire traiter de nazi. Je voulais créer un forum où chacun pouvait dire ce qu’il pensait des réfugiés … » Dans son verdict, le juge a déclaré : « le groupe se définit par une série de généralités qui ont un arrière-plan clairement de droite. » Peter M. a été condamné à neuf mois de prison avec sursis et son épouse à une amende de 1 200 euros. Le juge a ajouté : « Vous comprenez j’espère, la gravité de la situation. Si nous nous revoyons à nouveau, c’est la prison. »
En septembre 2015, Die Welt a rapporté que les « xénophobes » qui ne craindraient pas de s’afficher sur les réseaux sociaux risqueront de perdre tout droit sur leurs propres enfants. Un tribunal qui limiterait le droit de certains parents d’entretenir une relation avec leur enfant ou qui ordonnerait la présence d’un « éducateur » pour « intervenir en cas de besoin » entre un parent et son enfant, n’aura même pas besoin de prendre en considération le bien-être de l’enfant. Il n’aura pas besoin non plus d’avoir la preuve que ce bien être de l’enfant est menacé. Un tribunal aura également le droit d’interdire certaines actions, expressions ou réunions en présence d’un enfant. En dernier recours, le tribunal pourra déchoir les parents de leur parentalité et par conséquent de leur droit de garde.
En août 2017, le tribunal d’instance de Munich a condamné le journaliste Michael Stürzenberger à six mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir publié sur sa page Facebook une photo du grand mufti de Jérusalem, Haj Amin al-Husseini, serrant la main d’un haut dignitaire nazi à Berlin en 1941. Le procureur a accusé Stürzenberger d’avoir « incité à la haine contre l’islam » et d’avoir « dénigré l’islam ». Le tribunal a déclaré Stürzenberger coupable de « diffusion de propagande d’organisations anticonstitutionnelles ». En décembre 2017, la cour d’appel de Munich a acquitté Stürzenberger de toutes les charges qui avaient été retenues contre lui. Les juges d’appel ont estimé que ses propos étaient protégés par lois qui fondent la liberté d’expression. Néanmoins, l’impression demeure aujourd’hui dans la société allemande que même les faits historiques sont devenus tabous.
Bien entendu, les Allemands ne craignent pas l’émergence de goulags de type soviétique ou chinois, néanmoins leurs réticences à s’exprimer en public sont fondées sur la crainte de procédures judiciaires telles celles qui viennent d’être mentionnées.
Le sondage de l’Institut für Demoskopie Allensbach ne concerne que l’Allemagne, mais rien n’interdit de penser qu’une enquête identique menée dans d’autres pays d’Europe occidentale, produirait des résultats identiques. Au Royaume-Uni par exemple, la liberté d’expression a également été sanctionnée dans des affaires précises ici et ici. Plus récemment, un candidat des Libéraux Démocrates, Daniel Tóth-Nagy, a été suspendu par les instances dirigeantes de son parti pour avoir déclaré : « le concept d’islamophobie est une aberration ». Il lui a également été aussi reproché d’avoir twitté à un contradicteur : « Et les mutilations génitales féminines ? Les crimes d’honneur ? Les mariages forcés ? Que pensez-vous de la protestation des femmes en Iran, en Arabie Saoudite et dans d’autres pays islamiques contre le port obligatoire du hijab ? Et la charia en Grande-Bretagne ? Les droits des LGBT et le refus d’éducation par les musulmans à Birmingham ? »
Autant de questions qu’en principe, un homme politique est en droit d’aborder. Mais le porte-parole des Libéraux Démocrates a déclaré que le parti en avait décidé autrement :
« Ces posts se situent totalement en dehors des valeurs et des convictions de notre parti et ne seront pas tolérés. Si nous en avions été informés, jamais [Tóth-Nagy] n’aurait été choisi comme candidat. Nous l’avons immédiatement suspendu et nous nous excusons auprès de toute personne que ses propos ont contrarié ou offensé ».
Plus récemment, des affiches de promotion de California Son, le nouvel album du chanteur britannique Morrissey, ont été retirées des trains et des gares de Liverpool et des régions environnantes. Ce retrait a eu lieu parce qu’un voyageur a demandé à la compagnie de chemin de fer si elle approuvait les opinions de Morrissey et si ses affiches étaient « appropriées ». Les « opinions » visées tenaient à une apparition de Morrissey au Tonight Show, une émission de variétés aux États-Unis, arborant le badge For Britain, un parti de droite dirigé par Anne-Marie Waters.
« Tout ceci fait très Troisième Reich, n’est-ce pas ? Cela prouve que les esprits les plus étroits font désormais la loi dans la sphère culturelle », a déclaré Morrissey après le retrait de ses affiches. « Nous ne sommes plus libres de débattre, et c’est en soi le rejet ultime de la diversité … Je crains que nous soyons entrés dans l’Ere du Stupide, et nous devons prier pour que cela passe vite. »
La déroute de la liberté d’expression est aujourd’hui si avancée en Europe, qu’il y a peu de chance que cette ère soit bientôt close. Le sondage allemand indique au contraire qu’à l’avenir, les gouvernements n’auront même plus besoin de censurer les citoyens européens : les différentes populations auront été conditionnées pour faire le travail elles-mêmes.
Judith Bergman, chroniqueuse, avocate et analyste politique, est Distinguished Senior Fellow du Gatestone Institute.