Le rav David Cohen n’est plus à présenter au public français : il a déjà effectué plusieurs visites en France, et est considéré, de nos jours, comme l’un des grands rabbanim de la communauté orthodoxe. Il dirige la Yechivath ‘Hévron, qui se trouve dans le quartier de Guivath Mordekhaï, considérée de nos jours comme étant l’une des plus grandes Yechivoth.
Une déclaration commune impliquant rav Cohen et rav ‘Hayim Kanievski a été rendue publique récemment : un comité rabbinique francophone a été constitué, et dorénavant les Juifs français peuvent « faire leur Alya » sans n’avoir rien à craindre. Ceci nous a surpris, car a priori les embuches se dressant devant les ‘Olim ne sont pas levées et les problèmes, loin d’être résolus. Nous nous sommes donc dirigés vers le rav Cohen pour lui demander un peu plus de précisions.
Que s’est-il passé ? Quelque chose a-t-il changé sur le terrain, pour que les hauts dirigeants de la communauté orthodoxe en Erets Israël, dont vous faites partie, lancent un tel appel en faveur d’une Alya généralisée ?
A été érigé un important organisme de rabbanim s’engageant à œuvrer en faveur du public et à préparer de manière plus sérieuse l’accueil des membres de la communauté juive de France qui en expriment le désir, afin d’éviter les écueils qu’ils peuvent rencontrer. On ne peut que s’en réjouir. Ce comité jouit de la bénédiction du rav Hillel Hirsch et du rav ‘Hayim Kanievski.
Mais, sur le fond, quelle est en vérité la conception des Grands de la Tora dans ce domaine à l’heure actuelle ? Venir, ne pas venir ?
Regardez nos sources, combien le Gaon de Vilna lui-même voulait venir en Erets Israël ! Toutefois, dans la lettre qu’il envoie à son épouse, il insiste sur le fait qu’il faut également y être plus respectueux des mitsvoth qu’ailleurs, car c’est là le palais royal, et nul doute qu’il faut faire plus attention qu’ailleurs à accomplir les mitsvoth, et non point le contraire comme certains ont osé vouloir instruire les gens dans la période moderne !
Monter en Terre sainte est donc une très grande chose, mais si cela entraine une quelconque chute, même légère sur le plan personnel, il est interdit de venir.
Que devons-nous dès lors leur dire, quand ils se préparent à effectuer ce pas ?
Deux choses :
- Qu’ils doivent vérifier avec attention là où ils vont s’installer ! Si c’est à Herzlia, Raanana ou Netanya, ils doivent savoir que ces endroits ne sont pas faits pour des familles qui projettent de se renforcer dans la pratique de la Tora ! Jérusalem, et ses quartiers orthodoxes, en revanche, sont des endroits qui permettent un plein respect de la Tora. Dans de telles conditions optimales, une Alya peut être concevable.
- Ils doivent aussi savoir que les institutions pédagogiques orthodoxes dans le pays font d’énormes difficultés pour accueillir leurs enfants, d’autant plus qu’outre les différences de mentalité entre les jeunes de l’étranger et ceux de ces écoles, s’ajoute encore un problème de frontières entre le monde sefarade et ashkenaze.
Or le judaïsme francophone est d’un niveau très élevé : pas seulement sur le plan de la compréhension de la Tora, mais aussi en soi, de par le niveau intellectuel des membres de cette communauté ! Il faut donc pour eux des structures de très haut niveau. Si donc ce qui leur est proposé ne correspond pas à leur attente, les résultats ne peuvent pas être bons – et je puis le dire, moi, qui suis en contact suivi avec les jeunes de notre Yechiva qui sont de cette origine, dont je ne puis qu’apprécier les hautes qualités.
Que veulent ces rabbanim qui se sont constitués en comité d’accueil pour les ‘Olim français ?
Ils veulent assurer que l’arrivée des membres de leur communauté se fasse d’une manière positive, et reçoive les conditions qu’elle mérite.
Mais je sens là que nous nous trouvons face à une Alya qui ressemble à celle des Yéménites dans le temps : alors, la Sokhnouth a tout fait pour que ces Juifs soient éloignés des institutions orthodoxes, et rien n’a changé dans ce domaine ! C’est vrai que de nos jours on ne viendra pas couper les péyoth des enfants, comme cela a pu être fait alors, mais nous constatons une volonté claire et établie visant à écarter ces familles des centres orthodoxes. L’action des structures laïques est terriblement préoccupante, et de là, le souci de ces rabbanim francophones.
Et nous ne sommes pas en mesure d’influencer cet organisme pour qu’il change de cap ?
N’oublions pas les grandes catastrophes que cet organisme a provoquées en son temps ! Les « enfants de Téhéran », qui n’étaient autres que des enfants eux-mêmes rescapés de la Shoa qui ont transité par l’Iran, par un camp que la Sokhnouth a organisé en cette ville, ont été pour la plupart d’entre eux dirigés vers des kibboutzim non religieux, alors que leurs parents s’étaient faits tuer pour le Nom divin, faisant souvent preuve d’un respect absolu de la Tora jusqu’à leur dernier souffle !
Mais le grand problème avec les Français reste celui de leur écartement volontaire des centres religieux du pays quand ils prennent la décision de faire leur Alya : alors ils commencent à éviter les rabbanim des communautés de leur pays d’origine, redoutant que ces derniers leur déconseillent de faire un tel pas…
Il faut absolument leur expliquer l’ambiguïté de leur situation : il se peut qu’en France, l’influence du monde qui les entoure soit néfaste, et nécessite une réflexion quant à leur avenir là-bas, mais si un déplacement vers la Terre sainte se conclut par une chute sur le plan spirituel, qu’avons-nous fait ?
Et que leur dit-on sur cet autre plan qu’est le programme pédagogique ? En France, il est tout à fait normal qu’un jeune aille jusqu’au bac, ce qui, ici, est en général évité…
En vérité, il s’agit, pour la France, d’une autorisation déjà accordée en son temps par le rav de Brisk, lors de son passage en Suisse : ce Grand de la Tora a vu l’importance d’une telle ouverture pour les Juifs de France, car telle est leur conception. C’est ce qu’il a permis au rav Chajkyn. Soit. Mais la conduite en Erets Israël, dans le monde orthodoxe tout entier, est différente : elle ne conçoit pas ce genre d’aménagements, elle n’admet pas de concessions dans ce domaine.
De la sorte, des parents qui veulent absolument que leurs enfants suivent un cursus profane comme cela est pratiqué en France, à eux d’y… rester ! S’ils viennent ici dans cet esprit, et qu’ils font pour cela le choix d’écoles peu engagées sur le plan religieux, mais fortes dans les matières profanes, automatiquement leurs enfants en souffriront, et leur niveau d’engagement religieux baissera (à tout le moins…). Donc cela n’est pas à faire.