Le géant français de la distribution Carrefour traverse une tempête sans précédent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Depuis la reprise des hostilités entre Israël et le Hamas, l’enseigne est ciblée par des campagnes de boycott dans plusieurs pays arabes, notamment en Jordanie, au Maroc et en Tunisie, en raison de ses liens commerciaux supposés avec Israël. Une pression qui a déjà poussé la marque à cesser toutes ses activités en Jordanie.
Le 4 novembre 2024, Carrefour a officiellement mis fin à sa présence dans le royaume hachémite. L’annonce, faite par le groupe émirati Majid Al Futtaim – détenteur de la franchise Carrefour au Moyen-Orient – n’a pas été accompagnée de motifs explicites. Toutefois, elle intervient dans un climat de mobilisation populaire contre plusieurs marques perçues comme soutenant Israël, telles que McDonald’s ou Starbucks. En Jordanie, où près de la moitié de la population est d’origine palestinienne, le mouvement de boycott a pris une ampleur considérable depuis le déclenchement de la guerre à Gaza, en octobre 2023.
Des appels massifs à la rupture des relations commerciales avec Carrefour ont fleuri sur les réseaux sociaux, accompagnés de vidéos montrant des soldats israéliens portant des sacs alimentaires estampillés du logo de l’enseigne. Bien que Carrefour ait rapidement précisé que ces colis avaient été distribués à titre personnel par certains employés dans les premières heures suivant l’attaque du Hamas, cela n’a pas suffi à désamorcer la colère. Le PDG, Alexandre Bompard, a tenu à souligner que ces gestes ne représentaient pas la politique de l’entreprise, rappelant que « Carrefour n’a pas d’engagement politique ou partisan ».
Malgré cette mise au point, la fréquentation des magasins en Jordanie a fortement chuté. Face à la pression, Majid Al Futtaim a décidé de retirer complètement l’enseigne Carrefour de ses points de vente jordaniens, remplacée dès le lendemain par le nom « Hypermax », une marque également opérée par le groupe.
Le phénomène ne se limite pas à la Jordanie. En Tunisie et au Maroc, Carrefour est également dans la ligne de mire de plusieurs mouvements propalestiniens. En Tunisie, les protestations se sont intensifiées au début du mois d’avril. Lors de manifestations propalestiniennes à Tunis, des militants se sont rassemblés devant des magasins Carrefour, criant leur rejet de « l’ingérence sioniste » sur le territoire tunisien. Une action spectaculaire a même eu lieu lors d’un match de qualification à la Coupe du monde de football au stade de Radès : un militant a envahi la pelouse, drapeau palestinien à la main, avant d’arracher une bannière publicitaire de l’enseigne.
Au Maroc, Carrefour est présent à travers un partenariat avec l’entreprise locale Label Vie. Cette collaboration fait actuellement l’objet d’un boycott soutenu depuis octobre 2023, à l’initiative du Front marocain de soutien à la Palestine et contre la normalisation avec Israël. L’organisation multiplie les actions de terrain, comme la distribution de tracts devant les magasins, et s’appuie sur une campagne numérique relayée par le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions). Selon des sources relayées par Le Monde, ces actions auraient un impact économique réel sur les performances du distributeur marocain Label Vie.
Les accusations contre Carrefour prennent racine dans les liens de sa filiale israélienne, Yenot Bitan, avec certaines implantations situées en Cisjordanie. De plus, les dons alimentaires faits aux soldats israéliens après l’attaque du 7 octobre 2023, même qualifiés « d’initiatives individuelles » par la direction, ont été largement interprétés comme un soutien implicite à l’armée israélienne.
Pourtant, Carrefour maintient sa ligne officielle de neutralité. Alexandre Bompard a fermement déclaré que ces gestes n’avaient pas été soutenus par le groupe et qu’aucune aide n’avait été apportée à l’armée israélienne après la mi-octobre. Le groupe assure également que ses produits en Jordanie provenaient majoritairement de fournisseurs locaux, dans une tentative de dissiper l’idée d’un lien direct entre les ventes locales et la maison-mère française.
La situation met en lumière un dilemme croissant pour les multinationales opérant dans des contextes géopolitiques tendus. Même lorsque les liens sont indirects ou commerciaux, la perception publique peut suffire à déclencher des actions coordonnées, avec des effets économiques tangibles. Pour Carrefour, la fermeture de ses magasins jordaniens marque un précédent, alors que les tensions restent vives dans la région.
Alors que la guerre à Gaza se poursuit, les pressions sur les entreprises internationales perçues comme proches d’Israël ne semblent pas prêtes de s’atténuer. Carrefour, malgré ses tentatives de clarification, se retrouve aujourd’hui au cœur d’un débat où politique, éthique et commerce s’entremêlent de manière complexe.
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