Jean-Pierre Lledo a d’abord été un fervent communiste et nationaliste algérien jusqu’en 1993. Républicain français dans sa deuxième vie, il s’est dit “choqué en constatant que la gauche française penchait du côté des islamistes, et que nous, démocrates, étions qualifiés de ”suppôts du pouvoir””. Israélien depuis 2011, l’ex-révolutionnaire s’indigne tout autant de voir “la gauche” se tromper d’ennemi, visant “la droite et l’extrême droite” au lieu du clan arabo-musulman qui fait guerre sur guerre aux Juifs depuis un siècle. Débarrassé de l’opium du communisme, Lledo se réfère aux textes fondateurs du judaïsme : “Entre la vie et la mort, tu choisiras la vie”, mais aussi “Tue celui qui vient pour te tuer.” Pourtant personne n’avait prévu. Il décrit « l’orgie sanglante » du pogrom qu’ont immortalisée les go-pro des assassins.
Ses mots sont justes et son orthographe personnalisée : Lledo croit qu’une majuscule octroie du respect au nom qui la porte, alors qu’elle se contente de différencier les substantifs des patronymes. C’est pourquoi il écrit systématiquement “hamas”, cette graphie constituant à elle toute seule une catégorie inédite : la faute d’orthographe idéologique. De même, il écrit “falestinien” car l’arabe n’a pas de P.
Cette guerre, les Juifs l’ont vécue comme une solitude
Le pogrom “fut fêté partout dans le monde des barbares avec feux d’artifice, tirs d’armes automatiques vers le ciel, bonbons, dragées et gâteaux aux amandes, comme pour une noce. Noces de sang. Le monde civilisé, lui, fut presqu’aussi tétanisé que le peuple d’Israël, comme si soudain il y entrevoyait un mauvais présage. Pour lui-même. Et ce durant 9 jours. Pas un de plus. 9 jours de répit. 2 jours de plus que la shiva des Juifs. Le dixième, le deuil était fini. Finie la compassion. Ou plutôt, elle changea de camp.”
Israël s’était laissé endormir, prenant ses désirs pour des réalités. Il avait livré des quantités “d’eau, de gaz, d’électricité, des centaines de camions de marchandises chaque jour, du travail pour des dizaines de milliers d’ouvriers gazaouis, de sa monnaie et même des prises en charge sanitaires, y compris pour des familles de dirigeants…” Au Café du commerce, on dit “trop bon, trop con.” Lledo est un intello, il ne parle pas comme ça, mais l’idée est là, brute. Et juste.
Hitler avait été élu démocratiquement, le Hamas aussi, et bien plus largement
“Qu’une foule compacte accueille triomphalement les kidnappeurs avec leurs “trophées”, qu’un médecin et un enseignant de l’UNRWA (organisation des Nations Unies pour les seuls “réfugiés” falestiniens… depuis 80 ans) détiennent des otages, cela dit quoi de la société gazaouie ?”
Un poète palestinien s’étant permis de comparer le 7 octobre au soulèvement du ghetto de Varsovie, Lledo constate que “les massacreurs avec leurs caméras fixées sur le casque, transmettant en live sur les réseaux sociaux, qui se filmèrent en train de massacrer, surpassèrent en perversité les nazis qui, eux, firent tout pour dissimuler leurs méfaits.”
Et comme un massacre ne vient jamais seul et que, selon le dicton djihadiste, “après samedi vient dimanche”, il souligne que la cinquième colonne de l’islamisme, le wokisme, est déjà à l’œuvre pour détruire ce que le judaïsme a apporté à l’humanité : “Remémoration de l’histoire qui serait facteur de division et de guerres, étude permanente de la Tora que le poète allemand Heine avait qualifiée de Patrie portative, respect des limites comme fondement majeur de l’ontologie et de l’éthique humaniste, volonté de conserver le lien entre la naissance et la rencontre des sexes, et donc maintien de la structure quaternaire (masculin/féminin et parents/enfant) dont Freud fera la théorie.”
La haine en couple avec l’ignorance
Les kibboutzim frontaliers avec Gaza n’étaient pas là par hasard : ces “prestigieux bastions de la gauche” étaient peuplés de pacifistes, d’activistes pro-palestiniens, “prêts à tous les sacrifices territoriaux et symboliques.” Qui le sait ?
Les pacifistes étaient cocufiés depuis des décennies. Il leur a fallu attendre le 7 octobre pour s’en apercevoir. “Une grande quantité d’intelligence peut être investie dans l’ignorance lorsque le besoin d’illusion est profond” dixit Saul Bellow, prix Nobel de littérature.
Lledo se les sert lui-même avec autant de verve : son exil forcé d’Algérie le mena “jusqu’à Israël, tabou des tabous du monde arabo-musulman que je n’aurais jamais pu surmonter en vivant en Algérie, puisqu’un Juif s’entêtant à demeurer dans un pays arabo-musulman, ne le peut qu’en se rendant invisible, ou au contraire hyperactiviste de toutes les “bonnes causes”, à commencer par celle de l’anti-israélisme…”
L’expert en déni se mua en lanceur d’alerte : son documentaire Algérie, histoires à ne pas dire, interdit en Algérie, discrètement apprécié en France, fut primé en 2008 par Jérusalem, où il accepta de se rendre. Ce voyage lui fit “surtout mesurer l’étendue abyssale de (s)on ignorance” et découvrir que “La démocratie avait quand même des avantages. On pouvait dire du mal des siens sans craindre pour sa vie.”
Staline mentait, on l’a cru, Hitler disait la vérité, on l’a ignoré
Après les neuf jours de compassion post-7 octobre, vint l’éternité des accusations, parfois dissimulées sous les oripeaux du palestinisme et la revendication d’un cessez-le-feu. “Si ces exigences de cessez-le-feu étaient agréées”, explique l’auteur, “elles n’auraient qu’une seule conséquence : donner la possibilité aux auteurs du 7 octobre de survivre à leurs méfaits puis d’en commettre de nouveaux. Eux-mêmes l’ont promis. Pourquoi ne pas les croire ?”
D’autant que ce massacre suit la norme islamique. Lledo invite Fernand Braudel à témoigner sur l’islam en Inde (400 millions de morts) : une “expérience coloniale d’une extrême violence durant laquelle les musulmans ne pouvaient diriger ce pays que par l’exercice d’une terreur systématique. La cruauté était la norme, les crémations, les exécutions sommaires, les crucifixions ou empalements, les tortures inventives… (…) les maisons étaient brûlées, les hommes massacrés, femmes et enfants réduits en esclavage.”
Lledo : “En Algérie, dans sa volonté d’en faire une entité islamique appliquant dans toute sa rigueur la charia, le GIA, bras armé du FIS (Front islamique du salut), déclencha une guerre qui causa 200 000 morts, de 1993 à 1999.” Il aurait fait partie de ces morts s’il n’avait pas fui. L’islam colonisateur, il l’a vu en Israël. Non pas à Jérusalem, capitale des rois David et Salomon, mais à ‘Hévron, au Caveau des Patriarches (juifs, est-il utile de le préciser ?) : “Depuis 1267, les Juifs y furent interdits jusqu’à la défaite arabe de 1967. 7 siècles ! Aujourd’hui, le sanctuaire est partagé, on y prie à tour de rôle, grâce à l’hospitalité… musulmane.” Ce qui n’empêche pas Mahmoud Abbas, président à vie de l’Autorité palestinienne, d’en revendiquer l’exclusivité. “Étonnant quand même pour un musulman de se réclamer d’une histoire de 4 000 ans, lorsque l’on sait que, pour l’islam, ce qui l’a précédé n’était que “Jahilya” (barbarie)…”
La fin des illusions
Dans la partie qui porte ce titre, l’auteur résume l’histoire de “la Palestine” des origines (an 135 de notre ère) à nos jours, détaillant les “cent ans de guerres avec des intervalles de calme, sinon de paix. Plutôt de trêves…” Il rappelle les relations houleuses entre les Arabes et les “premiers sionistes du début du XXe siècle, très influencés par le marxisme, (qui) rêvent de fraternité avec les Arabes », tout en mettant en œuvre le projet « de réunir les morceaux du peuple juif éparpillés de par le monde”.
Que dit le Hamas ? “Parce qu’il est juif et a une population juive, Israël défie l’islam et les musulmans (article 28 de sa charte)”. “Israël restera en place jusqu’à ce que l’Islam l’élimine, comme il a éliminé ses prédécesseurs.” (Prophétie du chef des Frères musulmans, Hassan al-Banna, citée dans le préambule de la charte). L’analyse des Accords d’Oslo par Lledo est édifiante : espoir pour une partie, accord de Houdeïbya pour l’autre, c’est-à-dire cessez-le-feu, le temps de se refaire. Les Arabes rêvent d’un califat qui les ramènerait à l’époque du Prophète. Être un bon musulman consiste à pratiquer les 5 piliers en imitant, autant que faire se peut, les actes de Mahomet. Les Juifs israéliens ont appris le mot Taqyia (mensonge au service de l’islam) au moment où les Juifs français apprenaient dhimmitude (statut de sous-homme des “peuples du Livre” dans les sociétés à dominante musulmane).
La solution à deux États et les désaccords d’Oslo
Jean-Pierre Lledo détricote avec une lucidité rageuse les dessous malodorants des accords : Israël qui s’endort dans de beaux rêves et le Hamas qui détourne les milliards humanitaires. Il regarde sans complaisance dans le rétroviseur de l’Histoire les “concessions suicidaires” d’
Le nationalisme arabe (pas palestinien) est différent du nationalisme juif, alias le sionisme. Lledo illustre ce dernier et son ancrage en Sion en convoquant les prophètes et les psaumes : “Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite se dessèche ! Que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens de toi, si je ne fais de Jérusalem le principal sujet de ma joie !”
Côté arabe, il s’agit d’une démarche ethnique plus que nationale, “surtout le fait d’Arabes chrétiens, mécontents de l’Empire ottoman, qui est pour les musulmans l’incarnation du Califat.” Comme le nationalisme algérien, il s’agit de pureté religieuse et d’épuration ethnique, pas de nation et de nationalisme. Car “le concept de nationalisme est européen et qu’il n’y a rien de tel dans la pensée islamique, où la référence suprême est la Oumma, c’est-à-dire, la réunion de tous les musulmans du monde, les nations n’étant que des morceaux de la Oumma en voie de reconstitution du futur Califat.”
Le nationalisme sioniste est tourné vers l’autodéfense et la construction ; celui des Arabes se construit contre, à base d’attaque et de destruction. “Et qu’est-ce que l’Autorité falestinienne, sinon un cartel d’organisations reflétant le morcellement social, se partageant la haine d’Israël et la manne de la communauté internationale, des miettes étant laissées au petit peuple afin d’acheter son silence ?”
Le théorème de Jean-Pierre Lledo
Face aux officiels palestiniens qui répètent que l’État juif “est un pays qui n’a pas sa place sur notre sol”, Lledo énonce son théorème : “Tout processus de paix qui ne serait pas fondé sur la pleine légitimité d’une souveraineté juive en cet endroit de la terre est voué à l’échec, immédiat ou différé. Cette reconnaissance est un PREALABLE absolu.” Difficile à retenir, non qu’il soit complexe, mais parce qu’il est “humainement difficile de vivre avec la pensée que nos voisins ne rêvent que d’une chose : nous faire disparaître. S’accommoder de leur hostilité, voire même leur prêter de bons sentiments, relève du syndrome de Stockholm.” L’islam s’est répandu à une allure vertigineuse : “L’Arabie devint entièrement musulmane, à jamais musulmane. Et puis de fil en aiguille, l’Afrique, le Moyen Orient, puis l’Asie… Pour quand l’Europe et l’Amérique ?” L’exception qui confirme la règle : “Israël étant le seul ressort unitaire d’un monde au demeurant très divisé”, il est aussi le seul qui a la volonté de résister au rouleau compresseur de la conquête. Le Hamas a copié le FLN algérien : première action, en août 1955, tuerie de civils, créant un fossé entre les musulmans et les autres, qui a facilité l’épuration ethnique prévue contre les seconds. Cela a aussi propulsé la cause algérienne jusqu’à l’ONU. Le Hamas, comme le FLN, a une solution à deux langues pour deux discours : l’anglais (ou le français pour le FLN) quand il réclame un État et l’arabe pour promettre un contenu islamique à l’indépendance et pour recruter de la chair à canon. Ainsi Haniyeh, depuis le Qatar, explique “nous avons besoin du sang des femmes, des enfants, et des personnes âgées […] Nous avons besoin de ce sang pour réveiller en nous l’esprit révolutionnaire, pour nous pousser à aller de l’avant.”
Deux poids deux mesures
Lledo mesure… le deux poids/deux mesures à l’aune de l’indulgence dont bénéficient les Arabes en général et les dirigeants palestiniens en particulier, lorsqu’ils commettent des délits et des crimes pour lesquels des kouffars seraient punis : “Au même moment où Faurisson était condamné pour contestation de crime contre l’humanité, l’on n’exigea aucun compte de Mahmoud Abbas qui s’en était inspiré pour sa thèse de doctorat négationniste, une décennie avant de succéder à Arafat à la tête de l’Autorité falestinienne.”
Il n’y a pas que Macron qui pratique le En-même-temps : “D’un côté, les USA lancent un appel à dénoncer les financiers du hamas, mais en même temps, ils continuent de verser à l’Autorité falestinienne de Ramallah 300 millions de dollars par an, soit environ 8 % de son budget, qui entre autres est utilisé pour subventionner le terrorisme… Et de l’Union européenne, l’Autorité falestinienne reçoit plus de 700 millions de dollars par an… (…) Tuer est actuellement un des jobs les mieux rémunérés en Falestine et les demandeurs d’emploi se pressent au portillon.”
Le malheur, c’est en Israël qu’il a frappé
Jean-Pierre Lledo décrit les Israéliens : “Ceux qui, décontenancés par le camouflet, préféraient plonger dans l’aphasie, sorte de déni suicidaire. Ceux qui trop fiers, trop engagés dans la politique, ou trop dépendant de l’Occident et de ses médias, refusaient de se dédire… Et puis il y a ceux, semble-t-il très majoritaires, qui non seulement auront eu le courage de remettre en cause leurs anciennes visions, mais encore de défendre publiquement leurs nouvelles.”
Ces éveillés (ne pas confondre avec woke) ont pris conscience de ce qu’était réellement l’Autre, mais aussi de ce qu’ils étaient eux-mêmes : “Tout d’un coup, les gens de ce pays, de gauche, de droite, sans opinion et autres ont pris conscience, qu’ils sont des JUIFS et que même s’ils le voulaient, il n’y a aucun moyen d’y échapper.” Ils ont suggéré à l’auteur le titre de son livre : “Eux ou nous”, c’est au même verdict qu’en viennent tous ceux qui s’étaient fait des illusions, qui croyaient que le problème c’était “Nous” et qui découvrent à présent que le problème, ce sont “Eux”. Désormais, le mot d’ordre sera réciprocité : Israël est devenu “un être prêt à respecter et à aimer sa minorité arabe pour autant qu’elle respecte les caractéristiques identitaires du peuple majoritaire et fasse preuve de loyauté en prenant sa part, notamment, à la défense du pays, comme le font les Druzes et beaucoup de Bédouins… “
Le respect contre la paix, tout le reste est poésie
“Le silence, c’est la mort. Et toi si tu te tais, tu meurs. Et si tu parles, tu meurs. Alors dis et meurs” (Tahar Djaout, écrivain algérien, ami de Lledo, tué par le GIA, en 1993).
Dans ce livre, Jean-Pierre Lledo secoue les apathies et il n’épargne pas aux lecteurs les témoignages de survivants du pogrom. On en sort complètement sonnés, mais plus intelligents et moins tentés d’aborder l’Orient compliqué avec des préjugés simples.