Tsahal : Le haut commandement impuissant contre la révolte de l’insoumission

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D’Amir Rapaport, commentateur militaire, Makor Rishon

Des décennies de service de réservistes, dans une même unité ont crée, justement, une complicité dans l’insoumission contre la réforme juridique. C’est dans certaines unités d’élite, comme l’aviation ou le renseignement, que le refus de servir est le plus présent.

Le front du refus

Comme dans une tragédie grecque, cette semaine, toutes les parties ont joué le rôle auquel elles avaient été « assignées » lors des protestations précédentes : la coalition a accéléré le projet législatif ; en réponse, de nombreux réservistes ont annoncé leur intention de mettre en œuvre le « non-volontariat » aux entraînements de leur unité. Le chef d’état-major et le ministre de la Défense ont appelé à garder Tsahal en dehors de toute polémique politique, mais sans effet. Les autorités militaires semblent impuissantes. À moins d’un improbable rebondissement, le pire est encore à venir.

Toutes les parties prenantes du conflit, y compris Tsahal, auraient intérêt à en réduire l’intensité. L’armée devrait se concentrer sur la manière de contrer le phénomène, mais rien à faire, plusieurs centaines de réservistes, dont de nombreux pilotes ont annoncé que leur refus devenait effectif et qu’ils cessaient réellement de se présenter aux entraînements. Il faut se rendre à l’évidence, Tsahal est au milieu de la plus grande crise de son histoire. Car son principe fondateur, à savoir l’armée du peuple, est devenu son point faible, par refus d’une partie du peuple à y servir.

Si l’armée d’Israël avait été composée majoritairement de militaires de métier (NDLR : comme le suggèrent depuis longtemps les orthodoxes…), comme la police, la crise serait beaucoup moins grave. La crise aura également une influence négative sur la volonté des conscrits à devenir officiers et de signer pour un service de plusieurs années dans l’armée ou d’en faire leur métier. Les responsables de Tsahal se rendent bien compte que même si le projet de la réforme juridique n’aboutit pas, le mal est fait. L’armée populaire, telle que nous la connaissions, est en train de mourir.

Dans des unités qui prennent part aux manifestations, et sur la base d’appartenance, ont été créés des comités de coordination. Et c’est dans des unités d’élite comme la direction des opérations spéciales et de la cybersécurité, la direction du renseignement, les commandos de l’état-major ou des nageurs de combat, les comités de coordination organisent des manifestations fondées sur les compétences militaires. Il y a quelques mois, plusieurs anciens officiers des commandos de l’état-major ont bloqué la route menant à leur base, et cette semaine, son commandant actuel, le colonel Y., doit faire face à la menace de cessation généralisée du volontariat dans la réserve. Quelle sera sa réponse vis-à-vis de ces hommes ?

Dans l’armée de l’air, la principale force opérationnelle se compose des réservistes. Le nombre total de pilotes israéliens est relativement petit et l’importance de chacun d’eux, en particulier dans les escadrons d’attaque, est énorme. Afin de maintenir la qualité opérationnelle, chaque pilote doit s’entraîner au moins une fois par semaine. Cet entraînement est basé sur le volontariat. Donc, s’ils arrêtent vraiment le volontariat, l’excellence des pilotes israéliens déclinera rapidement et peut-être irrémédiablement.

Chaque escadron a son propre groupe WhatsApp et chaque escadron possède un coordinateur de protestation contre la réforme. Dimanche, des centaines d’entre eux se sont rassemblés dans la ville de Bené Brak. L’initiateur de cette réunion était Michal Tzur, l’ancien partenaire de Naftali Bennett (ex premier ministre) dans la start-up Sayota. Ils ont entendu des conférences contre la réforme juridique par l’ancien procureur général Avichai Mandelblit, l’ancien commissaire de police Roni Alsheikh et la juriste Prof. Suzy Navot. L’ancien commandant de l’armée de l’air, le major-général Amir Eshel a participé aussi à l’évènement. Son message est moins explicite, il a exhorté les participants à agir « selon leur conscience », mais la plupart des personnes présentes ont compris qu’il appelait à ne pas se porter volontaire. D’autres réunions ont eu lieu via Zoom, suivant les branches de l’armée de l’air : unités d’hélicoptères, avions sans pilote, pilotes de la logistique. La plus grande des réunions a réuni 422 personnes. Dans ces réunions sur les réseaux sociaux, une seule opinion était admise, celle contre la réforme juridique. Quiconque souhaitait exprimer une position différente était interdit de parole. Le Dr Aviad Bakshi, chef du département juridique du Forum Kohelet1, n’a pas pu parler aux pilotes.

Les conséquences de la crise

Lors de la précédente manifestation des réservistes contre la réforme juridique, sont intervenus : le commandant de l’armée de l’air le major-général Tomer Barr, le chef d’état-major Halevy et le ministre de la défense Galant. Ils ont parlé, sans équivoque, contre l’insubordination, mais le discours était convenu et sans détermination, bref ils ne semblaient pas avoir pris la mesure du problème. Après avoir reçu la 161ᵉ pétition, Barr a envoyé un courriel à tous les escadrons, où il écrit que « la question a été étudiée ». Cette hésitation, de la part du haut commandement de l’armée, quant à l’attitude à adopter, n’augure rien de bon et le refus de réservistes face à la réforme, continuera et se renforcera.

Parallèlement à la crise profonde dans du pays, une crise politique se développe entre les États-Unis et Israël, qui heureusement n’impacte pas les relations avec d’autres pays. Par exemple, la politique avec la Grande-Bretagne, dont le conseiller à la sécurité nationale a passé une grande partie de la semaine en Israël ou l’Allemagne, dont l’achat récent de batteries Arrow n’est que la pointe de l’iceberg de ses relations avec Israël.

Quant aux États-Unis, et si le commentateur Thomas Friedman dit vrai, les États-Unis sont en train de « réévaluer » leur relation spéciale avec Israël. Il se peut, qu’à la suite de cette réévaluation, il y aura des répercussions dans beaucoup de domaines de la relation Israël – États-Unis. On peut espérer que les 3,8 milliards de dollars d’aide annuelle à la sécurité et l’engagement de maintenir la supériorité technologique d’Israël, par les États-Unis ne sera pas impactée. Toutefois, les États-Unis ont de nombreux moyens de pression sur Israël. Il suffirait par exemple, de façon discrète, de retarder la fourniture de pièces de rechange pour les avions israéliens, pour que le gouvernement « mette de l’eau dans son vin » à propos de la réforme juridique.

La Garde Nationale

Dans le contexte des protestations, dans la rue et dans les médias, le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir a réuni le comité pour la création de la Garde nationale. Le ministre s’oppose à la création d’une nouvelle entité indépendante. Il souhaite modifier les missions de la Police des Frontières, afin de lui assigner les missions de la Garde Nationale. La modification des missions de la Police des Frontières serait le résultat de profonds changements du pays et la mission de la défense de frontières prend moins de place dans la globalité des taches de la Police des Frontières. Donc, la nouvelle entité s’occuperait principalement des attaques nationalistes (attentats terroristes), de la délinquance en général et du racket, en particulier dans le secteur arabe. Apparemment, la police des frontières resterait subordonnée à la police, mais en ce qui concerne le recrutement, déploiement sur le terrain et l’usage de la force légitime, elle aurait son autorité indépendante.

Édouard GrisMABATIM.INFO
Traduction et adaptation


1 Le Forum Kohelet est un institut indépendant de recherche basé à Jérusalem, défendant l’idée qu’Israël est l’État-nation du peuple juif. Il œuvre au renforcement de la démocratie représentative, des libertés individuelles et du principe du marché libre.

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