Par Raphaël Londner – Illustration : shutterstock
Plaidoyer pour un plus sage Alain F.
Comme il en a régulièrement l’habitude, Alain Finkielkraut nous a fait le plaisir, malgré la fatigue, d’intervenir mercredi 15 février 2023 dans le cadre d’une conférence organisée par la dynamique équipe du Centre Communautaire de Levallois. Cette conférence avait pour thème « Quel avenir pour les Juifs en France et dans le Monde ». Lorsque je m’y inscrivis dès qu’elle fut annoncée et étant donné le lieu et le panel annoncé, je m’attendais à assister à une conférence somme toute assez consensuelle où tous les conférenciers rivaliseraient de lyrisme dans leur dénonciation de l’antisémitisme mal assumé mais réel des élites françaises wokistes et islamo-gauchistes ainsi que dans leur soutien inconditionnel d’Israël. Sur le premier point, il n’y eut aucune surprise : les propos des uns et des autres furent urbains et convenus quoique résolument pessimistes.
Sur le deuxième point en revanche, j’ai senti quelques jours avant la conférence qu’il y aurait plus de débat, après avoir lu un article d i24 News qui se faisait l’écho d’un interview de M. Finkielkraut sur Sud Radio quelques jours auparavant. Et je n’ai pas été déçu. Sans même qu’on le guide sur ce terrain glissant, Alain Finkielkraut a de lui-même choisi pendant la conférence de réitérer le sentiment de « honte » et de « compromission » qu’il éprouve depuis la décision du gouvernement israélien de légaliser des implantations israéliennes sauvages en Judée-Samarie (en réaction au terrible et sanglant massacre de Neve Ya’akov le 27 janvier 2023). Au demeurant, et à ma grande consternation, il s’est trouvé un certain nombre de personnes dans l’assemblée qui ont estimé qu’il était de rigueur d’applaudir à ces contritions publiques.
Soit. Je suis le premier à défendre la liberté d’expression et je garde toujours à l’esprit l’expression bien connue chez nous, « 2 Juifs, 3 partis », donc je ne vais pas être celui qui vais jeter la pierre à ceux qui ont des opinions contraires aux miennes, quand bien même je me réserve le droit d’en débattre avec eux, dans un esprit civil et raisonné, si possible.
Cependant, pendant la session de questions-réponses, je me suis permis d’interroger M. Finkielkraut en ces termes : quel intérêt y a-t-il pour un Juif qui se dit pro-sioniste (comprendre : quel bénéfice pense-t-il en tirer et quel impact estime-t-il avoir) de dénoncer publiquement les décisions d’un gouvernement israélien dans les médias français, alors que les Juifs français vivant en France sont quotidiennement victimes d’actes antisémites et vivent dans la crainte d’un nouvel attentat ou d’un nouvel assassinat perpétré contre l’un des leurs ? Pense-t-il qu’un tel Juif court le risque de faire le lit des antisémites de tout bord en France qui se délectent régulièrement de ces Juifs crypto-honteux sans autre priorité que celle de satisfaire leur conscience en dénonçant des décisions prises par un gouvernement démocratiquement élu, prétendument au nom de leur amour pour Israël, mais au prix de conséquences potentiellement terribles pour la communauté juive française ? Ne pense-t-il pas qu’un tel juif, qui plus est aussi médiatisé que lui, se doit d’observer un certain devoir de réserve envers ses coreligionnaires, à l’instar des agents des services publics et des employés qui ont l’interdiction de publiquement causer du tort à leurs employeurs ?
En lui formulant mes questions de la sorte, je lui disais, certes en creux, que je ne niais pas son droit de penser tout le mal qu’il pense de certaines politiciens israéliens, mais qu’il pouvait peut-être réserver ses diatribes anti-israéliennes à ses amis lors de ses dîners en ville et considérer les conséquences de ses propos publics sur l’ensemble de la population juive.
Malheureusement, loin d’entendre cette opinion en contrepoint, Alain Finkielkraut préféra persister et signer en se réfugiant derrière l’argument facile de la division de la société israélienne. Il enfonça même le clou un peu plus en ajoutant que nous devrions peut-être « nous mettre à la place des Palestiniens » et arrêter de croire qu’ils sont tous fondamentalement mauvais. Je laisse le lecteur juger du bien-fondé d’une telle injonction morale (voire moralisatrice).
Je peux en tout cas attester que…
suite à ma prise de parole, de nombreuses personnes dans l’assemblée m’ont fait part de leur appréciation de mes questions et de leur grand déplaisir à l’écoute de la réponse de M. Finkielkraut. Je ne doute pas qu’il est bien conscient d’avoir créé un clivage dans l’auditoire, clivage qu’il assume entièrement, au demeurant.
Pour finir, je me permettrais de faire remarquer à M. Finkielkraut qu’il est assez étonnant qu’il nous appelle à plus de bienveillance envers les Palestiniens sans en témoigner aucune envers M. Ben Gvir (qui, à ma connaissance, est encore juif, comme lui), tout en passant opportunément sous silence la responsabilité écrasante qu’a le leadership palestinien dans la situation désastreuse qu’ils subissent quotidiennement. Outre la corruption endémique de cette direction et les constants détournements des subventions occidentales à son profit exclusif et au détriment de l’amélioration du niveau de vie de son peuple, il est établi que les manuels scolaires n’ont toujours pas changé en 30 ans, comme le rappelle un très récent article du Times of Israel. Un philosophe et un éducateur aussi investi dans sa mission que M. Finkielkraut convient-il que le bien-être d’un peuple est directement corrélé à la qualité de son éducation et au niveau de démocratie dont il bénéficie ? Si tel est le cas, comme je l’espère, j’aurais grandement apprécié l’entendre le dire explicitement durant cette conférence.
Alain Finkielkraut a au moins raison sur un point : il y a des Arabes Israéliens et probablement des Palestiniens qui souhaitent réellement la paix avec Israël. Mais la triste réalité est qu’il y a encore beaucoup de Palestiniens viscéralement hostiles à Israël. On peut s’interroger sur les raisons de cette hostilité mais de mon point de vue, leurs dirigeants en portent une responsabilité majeure en leur administrant en permanence, et en particulier aux plus jeunes, des lavages de cerveau anti-israéliens, que ce soit dans la bande de Gaza ou en Judée-Samarie. Soit dit en passant, Mahmoud Abbas est celui qui se satisfait le plus du statu quo soi-disant imposé par Israël, et qui nie le droit de son peuple à des élections libres pour des motifs fallacieux qui n’ont d’autres objectifs que de le maintenir au pouvoir à vie, dans les cyniques pas de son mentor et modèle, Yasser Arafat.
En définitive, le leadership palestinien se comporte avec son peuple comme les nobles et le clergé du Moyen Age : il a consciemment choisi de maintenir son peuple dans l’ignorance pour mieux le contrôler et de détourner sa colère vers un ennemi et bouc émissaire idéal, Israël. Cela fait depuis 30 ans, précisément depuis 1993 et les accords d’Oslo, qu’Arafat et Abbas avaient l’opportunité d’éduquer une nouvelle génération de Palestiniens, plus encline à faire une paix authentique et durable avec Israël. Au lieu de cela, ils ont préféré perpétuer le conflit en continuant à instiller la haine de leur voisin via leur système éducatif moyenâgeux et haineux, ce qui a sans aucun doute contribué à fermer la porte d’une solution à deux Etats.
A cet égard, M. Finkielkraut rappelle avec nostalgie le souvenir d’Yits’hak Rabin et Ehoud Barak. Mais se souvient-il que l’offre d’Ehoud Barak de rendre 94% de la Judée-Samarie aux Palestiniens et de compenser les 6% restants par des terres prises sur le territoire israélien fut balayée d’un revers de la main par Arafat et ses sbires ? Alors oui, les Israéliens d’aujourd’hui sont désillusionnés car ils ont compris qu’ils n’avaient pas de partenaire sérieux du côté palestinien. Et en attendant que cela change, ils se sont rendus à l’évidence que la seule politique que les Arabes comprenaient était celle de la force, pas celle de la faiblesse. C’est tragique mais c’est la réalité, hélas.
Si M. Finkielkraut souhaite réellement partir à la recherche de la vérité, je lui conseille humblement de quitter le confort des banquettes du café de Flore et d’aller passer un an ou deux en Israël afin de s’imprégner au quotidien de la réalité des millions d’Israéliens. Je n’ai aucun doute qu’il pourra facilement trouver une chaire de philosophie dans une université prestigieuse de Ramat Aviv, Haïfa ou Jérusalem pour subvenir à ses besoins et ceux de sa famille. Et peut-être, peut-être, reviendra-t-il en France avec une vision moins manichéenne de la réalité israélienne. Cette dernière lui donnera, je l’espère, le courage de résister à la bien-pensance des sirènes germanopratines et de taire ses critiques publiques des gouvernements israéliens (tous démocratiquement élus par une majorité d’Israéliens, ne lui en déplaise), ne serait-ce que pour le bien de la communauté juive française. C’est tout le mal que je lui souhaite, car s’il ne le fait pas, il risque de devenir inaudible et de s’aliéner une partie importante de la communauté juive française qui le soutenait auparavant. A bon entendeur.
Source : lphinfo.com – Par Raphaël Londner