Mahmoud Abbas montre sa fragilité et perd sa légitimité

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Palestinian President Mahmoud Abbas arrives to attend the meeting of the Palestinian Central Council in the West Bank city of Ramallah January 14, 2018. REUTERS/Mohamad Torokman

Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps

Mahmoud Abbas avait montré sa fragilité et avait perdu sa légitimité quand il avait décidé de reporter les élections législatives qu’il savait perdues pour lui. Il avait combattu ceux qui étaient solidaires des Palestiniens de Gaza en conflit avec Israël en arrêtant des dizaines d’activistes qui critiquaient la collaboration des services de sécurité palestiniens avec ceux d’Israël. Les arrestations et repressions sont le signe que l’AP a perdu le contrôle de la Cisjordanie mais l’AP ne s’effondrera pas car elle est seule à détenir les cordons de la bourse. Des universitaires, des cinéastes et des poètes, choqués par les méthodes de l’AP, n’espèrent plus de changement.

Il n’existe plus de projet national viable car la corruption est à tous les niveaux. Le chef de l’Autorité et ses proches ont le monopole des décisions politiques, marginalisant celles du conseil central de l’OLP qui a appelé à revoir les accords d’Oslo et leurs conséquences, notamment la coordination sécuritaire et les accords économiques avec Israël. L’oppression croissante de l’AP face aux critiques donne à penser qu’elle agit dans un dernier acte de désespoir et que tous les ingrédients d’un effondrement de l’AP se mettent en place. L’exemple de Djénine et de Naplouse, où l’anarchie règne, est flagrant. Dans le camp de réfugiés, des jeunes armés s’opposent aux forces de sécurité israéliennes en bravant la police palestinienne.

Au lieu de réagir avec ses 10.000 policiers inactifs, le Premier ministre palestinien en est à appeler l’ONU et les organisations internationales à «protéger le peuple palestinien». L’autorité a perdu sa présence sociale à Djénine et tente de diverses manières de contrôler la sécurité, d’imposer l’ordre et de rétablir le calme mais elle n’y parvient pas et n’est plus écoutée. Les Palestiniens se plaignent que les militants du Hamas ne sont pas arrêtés mais que les opposants laïcs se retrouvent en prison. Parce que l’AP n’a plus de stratégie, les Palestiniens ne la craignent plus. Les militants l’expliquent parce que «l’AP s’est retrouvée nue après avoir perdu les sources internes de légitimité – légitimité révolutionnaire, légitimité de la résistance et du consensus national, légitimité des urnes et légitimité de l’accomplissement. Elle n’a eu des sources externes de légitimité – la légitimité du pouvoir et de la sécurité – qu’après l’échec de son projet politique et elle n’a pas adopté de nouveau projet».

Abbas, avec son âge avancé, 88 ans, a perdu le leadership de son peuple et s’est retrouvé dépassé. Il est devenu un vrai fardeau pour les siens mais il résiste, assis sur son tas d’or. Sans argent, aucun leader ne peut s’affirmer car il faut être capable de distribuer des dollars à ses soutiens. La grande majorité des Palestiniens ne comprend pas la politique américaine et israélienne axée sur une volonté d’empêcher l’AP de s’effondrer. Il est vrai qu’il existe une grande incertitude sur le remplaçant d’Abbas. Le Fatah n’est plus uni et il subit même une forte division illustrée par de nombreuses listes concurrentes aux futures élections législatives, si elles ont lieu. Par ailleurs Israël est conscient du danger latent en Cisjordanie qui est devenue un véritable réservoir d’armes non contrôlées par l’AP.

Le risque est grand de voir les Palestiniens se tourner vers le Hamas, le Djihad islamique ou les extrémistes de la Fosse aux Lions. En cas d’élections, on craint en Cisjordanie le même scénario qu’en 2007 à Gaza. Ceux qui personnifiaient une troisième voie autre que le Fatah ou le Hamas ont été éliminés. Ils voulaient une révolution des idées et non des changements cosmétiques. Ils exigent à présent qu’Abou Mazen et tout son système disparaissent. Le problème est que personne n’ose s’élever contre le président actuel.

Mahmoud Abbas panique devant une situation politique qui le dépasse et qu’il ne contrôle plus. Son navire fuit de toutes parts et l’axe de sa direction est brisé. Il craint que le Hamas ne signe seul un pacte de trêve avec Israël et il menace d’imposer des mesures punitives à la bande de Gaza s’il était signé. Selon un haut dirigeant du Fatah, le président palestinien a confirmé, lors d’une séance à huis clos, qu’il ne permettrait pas au Hamas de signer une trêve avec Israël sans son approbation. Cependant le problème reste que l’OLP est une organisation représentant la plupart des factions palestiniennes, à l’exception du Hamas, et qu’elle se considère comme seule négociatrice officielle au nom des Palestiniens.

Le président palestinien s’inquiète du poids politique de plus en plus important que prend le Hamas qui risque d’être reconnu comme une organisation légitime avec laquelle il faudra compter. Israël veut neutraliser le front de Gaza et éviter la confrontation avec le Hamas pour se concentrer sur le nord du pays. Il est aussi conscient qu’une confrontation avec le Hamas serait coûteuse. De son côté, l’administration américaine préfère le retour de l’Autorité palestinienne aux négociations mais n’en fait pas un préalable. Mahmoud Abbas tente à tout prix de reprendre l’initiative internationale mais il utilise une mauvaise voie. Il s’est entretenu avec le Président Xi Jinping : « La Chine soutient fermement le peuple palestinien dans sa juste cause pour rétablir ses droits nationaux légitimes et se tient toujours à ses côtés». Mais il semble de plus en plus isolé. La question de sa crédibilité se pose à présent de manière dramatique. Selon un membre éminent du Fatah, la population est «désespérée que rien ne bouge, que le processus de paix soit au point mort, que les salaires ne soient pas versés faute d’argent dans les caisses et que les frères arabes lambinent pour envoyer leurs dons». Les Palestiniens n’ont plus de foi politique et n’attendent plus rien de leurs dirigeants de Cisjordanie, sans pour autant vouloir faire le saut vers le Hamas qui leur confisque leurs libertés. C’est pour cela que les jeunes se révoltent.

Le statut de Mahmoud Abbas est ambigu car il persiste à vouloir garder une double casquette et à concentrer entre ses mains plusieurs pouvoirs. Chef de l’Autorité palestinienne, il est aussi président du parti au pouvoir, le Fatah, qui est membre de l’OLP avec le FPLP, le FDPLP et d’autres micros partis palestiniens. Il ne peut donc directement conduire les négociations avec Israël puisque ce rôle incombe à l’OLP. Dans sa stratégie brouillonne consistant à sauver l’impossible, il a sacrifié de nombreux proches et quelques amis intimes, comme Mohamed Dahlan, pour éviter la rupture avec Gaza et pour ne pas mécontenter le Hamas. Son inertie a entrainé une prise de conscience de leur force chez les islamistes qui deviennent ainsi exigeants sinon intransigeants. Les Palestiniens ont fini par adouber le Hamas sans condamner sa prise de pouvoir antidémocratique par la force.

Le Hamas a réussi à s’imposer comme parti de gouvernement en perdant, aux yeux du monde occidental, sa qualification d’organisation terroriste en devenant la véritable opposition à l’Autorité. Pour apparaitre comme un gouvernement respectable, il s’est démarqué artificiellement du Hezbollah ou d’Al-Qaïda, sur les conseils de son grand Frère égyptien, sans pour autant faire illusion, sauf vis-à-vis de l’Occident.

L’Autorité se sent en perte de vitesse et use de l’arme de la censure dans le cadre d’un positionnement maladroit en Cisjordanie. Tout ce qui touche au Hamas est banni des journaux Al-Qods, Al-Ayyam et Al-Hayat Al-Jadidah et bien sûr de la télévision palestinienne. En conséquence, la population qui n’est pas dupe et qui dispose des médias internationaux, est de plus en plus nombreuse à contester la légitimité de Mahmoud Abbas dont le mandat est légalement terminé en janvier 2010.

Le problème de la scission entre les deux entités palestiniennes reste le point d’achoppement. L’Égypte et le Qatar ont tenté de favoriser une réconciliation dans l’intérêt de l’unité du peuple palestinien mais les délégations du Hamas et du Fatah n’ont jamais réussi à trouver un terrain d’entente qui s’élève au-dessus des questions de personnes et des rivalités politiques.

Alors, Mahmoud Abbas s’est trouvé isolé contre tous ceux qui n’avaient pas compris que seule l’union avec le Hamas pouvait conduire à un accord avec Israël. La population a fini par approuver les thèses du Hamas qui s’opposait à toute sorte de négociation et à fortiori à tout compromis. Le président avait fait le vide autour de lui croyant pouvoir affronter seul le gouvernement de Benjamin Netanyahou. Mais il n’a réussi qu’à agréger sur lui toutes les rancœurs et toutes les oppositions.

Des membres historiques du Fatah prennent leurs distances avec Mahmoud Abbas à l’instar de Mamdouh al-Aqr, qui a participé aux pourparlers de Madrid en 1991, et du milliardaire Munib al-Masri, un temps candidat au poste de premier ministre et indispensable à l’économie palestinienne. Le président de l’Autorité n’a plus la côte au sein de son propre parti en voie de désintégration. En faisant le vide autour de lui, il a effacé toute perspective à son remplacement en barrant la route à tout candidat. Cela n’augure rien de bon sur le processus de paix moribond et sur l’avenir d’une Palestine déchirée. Mahmoud Abbas paie cher la solitude du pouvoir dans laquelle il s’est enfermé.

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