Retranscription de la conférence du général de réserve Itzhak Brick, rapporteur sur l’état de l’armée, donnée le 4 décembre 2019 dans le Centre d’Études Stratégique Begin-Sadat BESA. (Source)
Le général Brick a combattu dans toutes les guerres d’Israël depuis la guerre de 6 jours, en 1967. C’est dire si son expérience et la compréhension des problématiques militaires en fait l’un des officiers les plus qualifiés pour auditer l’armée et pointer les problèmes qui sont tus, soit dans une conspiration du silence, soit niés par incompétence. Dans sa dernière fonction, il était le rapporteur – enquêteur des plaintes de soldats et officiers. Ce dernier poste lui a donné une vision des problèmes de l’armée : lucide, pertinente et surtout « politiquement incorrecte ». Depuis 2018 il lutte contre « l’establishment » afin que celui-ci accepte l’idée d’impréparation de l’armée à remplir sa mission de défense d’Israël. Finalement, l’état-major lui a confié un audit concernant la préparation de l’armée à un futur conflit. Ses conclusions ont été acceptées par le commandement général. Mais Brick continue son combat contre l’inertie et le déni d’une partie du haut commandement.
En 2018 j’ai livré au chef d’état-major et aux officiers généraux un audit, concernant les procédures de gouvernance et de gestion de l’armée israélienne. J’y pointe des processus gravissimes qui entraînent un déficit de préparation et j’énumère l’ensemble des taches principales à réaliser par l’armée. Les conclusions de ce document ont été reçues par l’élite de nos commandant avec méfiance ; toutefois le chef d’état-major en a accepté 95 %.
Trois mois plus tard, j’ai rédigé un autre rapport exclusif sur la préparation, ou plus exactement sur l’impréparation de Tsahal à la guerre, qui comprend 250 pages, 15 chapitres, où chaque chapitre traite d’un thème et chaque thème, à lui tout seul, entraîne des répercussions négatives sur l’ensemble des corps d’armée. Ce rapport est basé sur 10 ans d’enquêtes minutieuses, pour chacune des 1600 unités visitées : unités opérationnelles, logistiques, technologiques et autres, des armées de terre, de mer et de l’air.
Je ne me suis pas contenté de sujets généraux, mais j’examine en détail chaque procédure de chaque fonction. Il en résulte une évaluation de trois milliards de shekels (1 shekel vaut 0,25 €, à peu près) de correction de défauts constatés. J’ai lu et examiné des milliers de documents de commissions parlementaires de sécurité nationale, du contrôleur de l’Etat et du contrôleur budgétaire des forces armées. J’ai parcouru divers rapports d’activité, des descriptifs de manques et erreurs constatés, des plaintes de soldats, des rapports d’activités opérationnelles, logistiques, éducatives, des dizaines et des dizaines de constats d’accidents ou incidents, de la plupart des disciplines d’activité de l’armée israélienne.
De plus, j’ai interviewé des milliers de soldats, de sous-officiers et d’officiers, de la plupart des branches des armées de terre, mer et air. J’affirme que la plupart de ces documents n’ont pas été lus par les responsables auxquels ils sont destinés. Car si cela avait été lu, ils n’auraient pas eu besoin d’Itzhak Brick pour constater que l’armée israélienne se trouve plongée dans de problèmes gravissimes.
Le plan pluriannuel « Tarache Guidon » (le soldat de 1ere classe Guidon)
Après cette introduction, je voudrais commencer mon exposé proprement dit par l’année 2015 où commence le plan pluriannuel d’activité « Tarache Guidon ». Il comporte 4 sujets, qui sont des piliers programmatiques pour le futur de l’armée israélienne.
- L’armée doit devenir un outil technologique du futur champ de bataille multidimensionnel;
- L’armée doit tendre vers les ressources humaines les plus qualitatives possibles ;
- L’armée doit être professionnelle et entraînée au plus près du « champ de bataille réel »;
- L’armée doit être : compacte, puissante, combative et meurtrière.
La réalisation de ce plan débute par la réduction de 5000 postes d’armée de métier et le raccourcissement de la durée du service militaire des appelés (garçons). Sauf que ce raccourcissement vient à la suite de nombreux d’autres raccourcissements et qui s’avéra être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. En effet, il a été réalisé de façon irresponsable, sans coordination entre infanterie, blindés et artillerie.
Si dans l’armée de l’air on diminue les effectifs de façon « organique », c’est-à-dire, unité par unité, sans détruire le fonctionnement des unités restantes, dans l’armée de terre, en revanche, on a procédé à la manière d’un ministère des finances, sans se soucier des fonctionnalités opérationnelles ou organisationnelles : 5 % par ci, 10 % par là, pourvu que le résultat soit globalement satisfaisant.
Lorsqu’on procède de la sorte, on ampute les unités de leur part soit technique, soit logistique de sorte que leur entièreté opérationnelle arrive à un niveau critiquement bas. Procédant de la sorte, on crée un déséquilibre drastique entre les taches et missions dévolues pour telle ou telle unité et ressources humaines nécessaires à la bonne réalisation de ces missions. Si, à tout cela, vous rajoutez la réduction de la durée du service militaire, alors vous créez une situation proche de l’implosion.
Le résultat de cette gestion DRH irresponsable fut la non-réalisation des programmes d’entraînements, l’écroulement spectaculaire des possibilités opérationnelles, la chute drastique de la qualité des différents métiers militaires. La motivation des gens, pour rester dans de telles unités, où on vous serine « débrouillez-vous avec ce qu’il y a », disparaît. Et malheureusement, commence un processus de « boule de neige » où quel que soit le projet, sa réalisation reste médiocre, sans contrôle et sans suivi. Bref tout le contraire d’une armée organisée, contrôlée et pilotée.
Armée outil technologique.
Maintenant je souhaiterais détailler les fameux piliers programmatiques dont j’ai parlé précédemment.
Notre armée se targue d’être, du point de vue technologique, peut-être, la meilleure armée du monde. Il ne suffit pas d’acquérir des outils technologiques complexes, valant des milliards. Encore faut-il que tous les composants d’un tel outil soient intégrés dans un « tout opérationnel », car si un composant n’a pas été testé et validé, cet outil restera non fonctionnel.
Par exemple, dernièrement, après des présentations auprès de la commission de la défense du parlement, d’un système appelé « Le Chasseur » et valant 15 milliards de shekel, il a été intégré dans chaque unité de commandement, chaque char, chaque transport de troupe. C’est un système global de contrôle et de pilotage interarmes de conduite de combat terrestre. Toutefois, si tu ne sais pas t’en servir, toute armée digitale la « meilleure du monde », qu’elle soit, ne vaut pas un clou.
Le système « le Chasseur »
Donc, lorsque j’ai été amené à examiner les défauts de fonctionnement de ce système constatés sur le terrain, j’ai établi qu’il n’a pas été adapté aux conditions de combat dans notre région (environnement désertique, pas de fleuves ni forêts et théâtres d’opération plus restreins que ceux de la version de base du « Chasseur »). Lorsque j’ai fait mon enquête à Tzéhelim (base désertique du sud d’Israël), j’ai constaté que les réservistes qui devaient l’utiliser n’avaient reçu aucune formation, car les formateurs faisaient partie des métiers soumis aux « coupes budgétaires ». Pire, dans le système, on n’avait pas intégré les cibles sur lesquelles il (le système) devait conduire le feu. Résultat, à la fin du stage de 5 jours, les réservistes sont retournés chez eux sans avoir rien appris. Mais ce n’est pas tout. Lorsque à la fin des sessions de « formation », on devait démonter les systèmes pour les entreposer dans des hangars, il s’est avéré qu’il n’y avait pas de mécaniciens spécialistes du démontage et de la maintenance des équipements. Eux aussi faisaient partie des coupes budgétaires. Alors, dans des situations d’alerte, où tu disposes de quelques heures pour réinstaller les équipements sur les blindés, du fait de manque de personnel professionnel, cette réinstallation prendra non pas quelques heures mais quelques jours. Pas grave, l’ennemi attendra.
Donc ces équipements, valant des milliards, du fait du défaut de savoir les utiliser, n’ont pas été montés en série sur les blindés et aussi, par manque de maintenance, « pourrissent » dans des entrepôts, jetés quelque part au milieu du désert.
Équipements inaptes au combat
Aujourd’hui personne ne met en doute la véracité des faits contenus dans mon rapport. Il a été porté à la connaissance des chefs d’état-major, des généraux, des commissions parlementaires et des ministres. J’ai eu des réunions à son sujet avec toutes les élites de défense de notre pays. J’ai posé la question : alors qui, quand et comment corrigera les manquements rapportés ? Jusqu’à aujourd’hui – rien, et dans la situation politique actuelle, aucune solution ne verra le jour avant 2 ans.
Et lorsque tu regardes l’ensemble de ces problèmes, tu constates que cette armée-là, « la plus technologique du monde », malgré des milliards d’investissement, n’est pas capable de répondre aux exigences de la guerre moderne. Voici des exemples illustrant cette incurie.
On achète pour des milliards, des milliers d’armes individuelles. Parallèlement, on acquiert pour des millions de shekels des viseurs à monter sur ces armes. Sauf qu’il manque l’adaptateur, sans lequel le viseur s’avère inutile. Et il n’y a personne pour identifier le problème, car le spécialiste fait partie de « coupes budgétaires » et le mécanicien-armurier qui est sensé d’installer le viseur, n’est pas là non plus, « coupes budgétaires » obligent.
Dans une autre base je vois des centaines de « Hammer » (véhicule tout terrain américain) tout neufs prêts à l’emploi, qui doivent être distribués aux officiers de liaison, sauf que, pour qu’ils soient pleinement opérationnels, il faut y installer des appareils de communication. Mais des radios UHF n’ont pas été achetées, de nouveau, des coupes budgétaires non coordonnées et irresponsables sont passés par là.
J’arrive ensuite dans un régiment qui a reçu les nouveaux transports de troupes israéliens « Namer ». Ces véhicules, ultramodernes qui remplacent les transports vieillots américains M113, sont prévus pour une guerre éventuelle aux Liban, spécialement pour un terrain montagneux. En cas d’alerte, ces « Namer » doivent être opérationnels en 24 heures. J’inspecte plusieurs de ces véhicules et que vois-je ? Il manque tout simplement des armements, équipements divers et munitions. Pourquoi ? Parce que lors de leur programmation budgétaire, on a oublié des fonds pour les équipements complémentaires. Cet état de choses dure depuis 2 ans. Qui s’occupe du problème ? Personne. Dilution de responsabilité. Il n’y a personne à qui parler.
Ressources humaines de qualité
On doit recruter et fidéliser les meilleurs des meilleurs. Sachez que l’armée d’Israël traverse la crise la plus aiguë de recrutement de tous les temps. Les cadres anciens et expérimentés, du fait des coupes budgétaires, car trop chers, ont été mis à la retraite. Sachez que ces cadres constituaient 70 % des effectifs de l’armée de terre. Le recrutement de nouveaux cadres s’annonce très problématique du fait du bas niveau des rémunérations.
D’ici 2 ans il manquera des milliers de professionnels de la maintenance, des armuriers, mécaniciens, cuisiniers… Aujourd’hui, on a du mal à retenir un jeune dans un métier militaire plus de 3 ans. À la fin de son service il se sauve et le savoir-faire professionnel se sauve avec lui. Aujourd’hui l’armée de terre n’a pas les moyens, budgétaires ni de possibilités de carrière, de maintenir ses effectifs à un niveau fonctionnel minimum exigé, afin de garder son « opérationnalité ».
Les meilleurs officiers quittent massivement l’armée. Aujourd’hui, les majors, les capitaines, les médecins, les officiers de renseignement, les sous-officiers de maintenance disent : nous ne voulons pas faire carrière, car il n’y a pas d’avenir ni perspectives d’avancement, que concurrencent les postes et carrières à l’extérieurs de l’armée. Pire, les meilleurs s’en vont, restent donc les médiocres. Le raccourcissement du service militaire de 4 mois a entraîné un manque de cuisiniers, chauffeurs, magasiniers. Pour pallier ces manques, on transforme des soldats opérationnels en non opérationnels. Cela entraîne une crise de motivation. Il y a une baisse de 16 % d’opérationnels, dans les unités d’élite. Exemple : une section de parachutistes ou Golani qui sort des classes avec un effectif de 35 combattants, après un an et demi de service, se retrouve à 15, c’en est fini de la section opérationnelle, elle n’existe plus.
J’ai eu à ce propos, des réunions de crise avec le chef d’état-major et des généraux et même avec le premier ministre, mais toutes mes conclusions n’ont jamais pu franchir la conspiration du silence des hauts cadres de l’armée ou des politiciens. Le plus important est que le public soit convaincu « que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ».
Entraînement et professionnalisme
Du fait de difficultés vues auparavant, les unités de réserve ont cessé les entraînements. Nous sommes revenus à la situation qui prévalait avant la 2e guerre du Liban en 2006. Le manque d’instructeurs crée une situation anormale, où les quelques unités de chars qui arrivent tout de même aux champs d’exercices, passent leur temps à attendre un instructeur. On assiste aux comportements inadmissibles où les quelques tanks aptes aux exercices sont abandonnés sales, poussiéreux sur leurs parking et sans que leurs armement soient démontés, nettoyés et entreposés en prévision de futurs exercices ou autres besoins opérationnels. En ce qui concerne les armes personnelles, elles sont abandonnées, par les réservistes, sales, sans qu’elles soient vérifiées et éventuellement réparées.
Le thème suivant que je veux aborder c’est l’écroulement de l’efficacité des moyens logistiques. Aucune armée au monde digne de ce nom, ne peut se passer de services logistiques modernes. Aujourd’hui il y a dans Tsahal des milliers de camions, dont le rôle est le transport de carburant, de munition, de pièces de rechange et de nourriture.
Une grande partie de ces camions ne roulent pas car, depuis 60 ans aucun de ces véhicules n’a été remplacé. Déjà du temps de la 2e guerre du Liban, ces camions se sont trouvés à l’arrêt, car non maintenus. Ces vieilleries s’alignent inutiles sur les parkings. Nombre d’entre elles ont des pneus à plat, il n’y a personne pour s’en occuper. Tous ces moyens sont à l’arrêt, et sachez que lors de la prochaine guerre, toutes les armes telles que chars, canon automobiles et autres se trouveront immobilisées par manque de carburant. Aujourd’hui nos stratèges nous annoncent que l’armée est capable de manœuvres rapides, à effet de surprise pour nos ennemis. De quelle manœuvres et de quelles surprises, parlent-ils, alors que les moyens logistiques sont absents.
La néfaste externalisation
La source de beaucoup de ces problèmes est l’externalisation des services de l’armée aux civils.
Juste un exemple. La distribution de carburant aux avions avant mission a été externalisé à une société privée. Lors des périodes de tensions, les chauffeurs de camions-citernes sont appelés en tant que réservistes. Mais le summum de la désorganisation, ces chauffeurs sont appelés à servir dans d’autres unités de l’armée. Donc que se passe-t-il ? La société privée, titulaire du marché de distribution de carburant, n’a plus de chauffeurs pour distribuer le carburant aux avions qui doivent partir en mission. Ce serait risible si ce n’était pas tragiquement criminel. Et des problèmes comme cela, on en trouve dans toutes les branches de l’armée et notamment dans la maintenance des moyens de combat. Le manque criant des professionnels expérimentés dans tous les métiers de maintenance, entraîne des dommages matériels de millions et millions de shekels et une paralysie de Tsahal.
Où avant, nous avions 3 armuriers il en reste qu’un. Où avant, il y avait 3 mécaniciens, il en reste qu’un. Où avant, il y avait 3 instructeurs il en reste qu’un. Et ceux qui restent ce sont des « externalisées ». En l’état actuel des choses, d’ici deux ans 70 % du matériel neuf, qui se trouve dans les entrepôts sera inutilisable.
Aucune prospection géostratégique
J’ai porté à la connaissance de l’état-major les conclusions, que je viens de vous exposer. Pour vérifier mes allégations, le haut commandement a créé une commission de 6 colonels avec à leur tête un général. La commission a travaillé 8 mois. Elle a pondu un rapport de 80 pages, qui a confirmé la totalité de mes constatations. Donc ce n’est plus le trublion Brick qui « crie dans le désert »… À ma connaissance, rien n’a été corrigé.
Je vais parler maintenant de notre vision stratégique concernant le rôle de l’armée dans de futurs conflits. Après la 2e guerre du Liban, en 2006, l’État d’Israël s’est trouvé dans une situation géostratégique où il n’y avait plus de grands conflits conventionnels. Nous sommes en paix avec l’Égypte et la Jordanie, la Syrie n’ose pas se mesurer à « l’armée la plus forte du Moyen-Orient ». Il ne reste que deux secteurs qui nous menacent.
Ce ne sont pas des menaces existentielles, mais suffisantes pour créer de gros problèmes sécuritaires. Le premier secteur au nord, au Liban, c’est le Hezbollah et le deuxième au sud, à Gaza avec le Hamas.
On ne prend pas en compte les autres changements géostratégiques et on ne construit une armée que pour ces deux menaces. De façon à s’occuper, le cas échéant, de deux secteurs en même temps. De plus, on considère que c’est l’aviation qui doit emporter la décision, car les actions terrestres coûtent humainement trop cher. Ni dans la 2e guerre du Liban contre le Hezbollah, ni dans aucune bataille contre le Hamas, jamais l’aviation n’a emporté la décision. Dans tous ces conflits, les fusées pleuvaient sur Israël sans discontinuer. Souvenons-nous qu’en 2006, les missiles du Hezbollah ont obligé un million d’israéliens du nord à se réfugier dans le sud d’Israël. Dois-je rappeler la triste opération de 2014, Pilier de Défense, contre le Hamas, où pendant 50 jours le pays est resté sous le feu discontinu des missiles tirés depuis Gaza. Personne ne fait de prospection vers le futur, l’armée ne fait aucun plan prévisionnel et surtout personne ne pense à l’avenir. Est-ce comme cela que l’on construit une armée moderne ?
Mais voici, qu’arrive 4 ans plus tard, en 2010, un nouveau chef d’état-major et décide, dans cette armée relativement modeste, car construite seulement pour deux fronts simultanés, de réaliser des coupes et notamment dans les blindés. Malgré l’existence d’un rapport (que personne ne lit) qui pointait le fait qu’une réduction de blindés entraînerait l’incapacité de cette armée, amputée de centaines de chars, de mener une guerre simultanée sur deux fronts. Les réductions ont lieu quand même.
Quelle est la conséquence de ces coupes ? Non seulement cette armée ne pourra pas attaquer sur 2 fronts, mais le feu des missiles pourra durer beaucoup plus de temps, car l’armée ne sera pas capable de les arrêter sur deux fronts simultanés. Et là arrive en 2015 une donnée que personne n’a vu venir. La guerre en Syrie, et l’arrivée des Iraniens accompagnés de milices chiites, face à nous dans le Golan. Du coup cette petite armée, insuffisante pour 2 fronts, a vu émerger face à elle un 3e front, aussi dangereux que les deux autres.
Mais ce n’est pas tout. Et si, les Palestiniens, encouragés par l’Iran et la Turquie, décidaient d’entrer en guerre ouverte contre les Israéliens habitant la Judée-Samarie (la Cisjordanie) ? Nous verrions alors, de tous côtés, des milliers de Tanzim (les terroristes du Fatah), lourdement armés, ouvrir le feu sur tout ce qui bouge. Cela veut dire que cette petite armée, construite pour 2 fronts, devra en défendre 4 simultanés.
Et je ne parle pas des milliers de missiles tirés simultanément du Liban, de Syrie, de Gaza et probablement d’Iran ! Cette armée, amputée de centaines de chars, n’aura aucune possibilité de se regrouper et lancer, comme l’enseigne la doctrine de Tsahal, des contre-attaques sur 4 fronts simultanément.
Sujet tabou… les missiles
Je voudrais me concentrer, maintenant, sur le sujet des missiles.
Depuis 10 ans nous menons, ce qu’on appelle « des guerres dans LA Guerre ». À savoir, empêcher le Hezbollah d’acquérir des missiles modernes, bloquer l’expansion iranienne en Syrie, couper les routes d’armement iranien sur le territoire d’Irak, Syrie ou Yémen. Entre-temps nous avons des épisodes guerriers récurrents (3 depuis 10 ans) avec le Hamas à Gaza où ils nous « balancent » des fusées des jours durant. Entre temps Israël a oublié de réfléchir à l’avenir, de bien analyser la nouvelle donne régionale, afin de préparer La Guerre, celle que l’Iran pourrait déclencher contre nous.
Les iraniens ont compris la chose suivante. Pas besoins de chars, de canons ni de fantassins pour détruire Israël. Depuis 10 ans ils mettent en œuvre un gigantesque système balistique dirigé vers Israël. Il y a aujourd’hui cent trente milles missiles, dont plusieurs milliers d’engins modernes et précis chez le Hezbollah au Liban. On parle de dizaine de missiles « dernier cri » chez le Hamas à Gaza. Autant chez les milices pro-iraniennes en Syrie et Irak et même les Houtis au Yémen possèdent des missiles de croisière, pouvant atteindre le territoire israélien.
Il y a des fusées de toutes les dimensions. Les grands missiles, d’une portée de plusieurs centaines de kilomètres, n’ont pas besoin d’être précis. Leur charge de 500 à 600 kg peut détruire un carré d’immeubles dans un rayon de 150 m. Lorsque toutes ces forces, entourant le pays, sur décision d’Iran, ouvriront le feu, Israël recevra entre 1500 et 2000 missiles lourds par jour, soit jour et nuit 60 à 80 missiles par heure, surtout le centre, région de Tel Aviv, l’aéroport Ben-Gourion, Haïfa et son complexe industriel pétrochimique. Aujourd’hui nous ne possédons aucune réponse opérationnelle contre ces missiles. Notre armée de l’air n’est pas capable de s’opposer aux bombardements par missiles. On en avait fait l’amère expérience lors de l’opération Pilier de Défense en 2014 contre le Hamas.
Nous n’avons pas assez de missiles pouvant descendre ces grosses fusées. Car le Dôme de Fer n’est efficace que contre des petites fusées et en plus nous n’avons pas assez de batteries pour les déployer contre 4 fronts simultanés. Chaque missile de dôme de fer coûte 15 mille dollars. Nous avons développé maintenant, le missile « Flèche » qui est efficace contre les missiles de croisière. Mais chaque missile « Flèche » vaut trois millions de dollars. Pas besoin de faire un dessin qu’actuellement, ni le Dôme de Fer, ni « Flèche » ne constituent une réponse opérationnelle contre une véritable pluie de dizaines et des dizaines missiles lourds et moins lourds, par heure, ciblant simultanément Israël. Pour construire un parapluie balistique efficace pour Israël, il faut des milliards de dollars et plusieurs années, si on commence aujourd’hui. Nous n’avons ni l’argent ni le temps. Mais ce n’est pas tout. Aujourd’hui le Hezbollah dispose de missiles iraniens de type « Zilzal » dont la portée est de 250 km et qui possède une tête de 600 kg d’explosifs. Notre missile « Flèche » ne peut rien contre lui, car l’altitude de croisière du « Zilzal » est trop basse.
Nous devons comprendre qu’Israël se trouve aujourd’hui devant un danger existentiel, comme jamais il ne l’a été. Ce danger n’est pas un danger d’occupation du territoire. Non. Cette guerre pourrait commencer par quelques incidents aux frontières, sur lesquels nous répondrions, et qui feraient boule de neige. Israël se trouverait sous un déluge de fusées.
Des centaines de morts, des milliers de blessés. Les infrastructures réseaux électriques, réseaux de communications, routes, en ruine, hôpitaux submergés, plus de transports, des quartiers entiers dévastés, plus d’ambulances, les administrations à l’arrêt, le pays complètement paralysé.
Le Général Brick, termine sa conférence en exhortant les autorités et le peuple d’Israël à prendre conscience du danger existentiel. Il énumère quelques solutions pratiques que doit prendre l’armée pour commencer à corriger cette situation catastrophique. Pour le lecteur français les solutions techniques qu’il propose, ne sont pas accessibles, car trop spécifiques à l’organisation de l’armée Israélienne. Il déplore aussi la situation politique. Depuis presque un an Israël n’a pas de gouvernement. Le budget du pays est bloqué. Personne pour prendre des décisions vitales pour le futur du pays. Le gouvernement temporaire ne fait qu’expédier les affaires courantes.
Espérons qu’après les 3e élections législatives en un an, le 2 mars, le pays pourra redémarrer et commencer l’action nécessaire pour refonder la défense passive et préparer l’armée israélienne contre les menaces futures.
EG♦
Édouard Gris, MABATIM.INFO