Figaro, par Hugues Maillot
ENTRETIEN – «Extrêmement vulnérable» politiquement, Israël doit envisager un conflit régional «par procuration», voire une guerre civile, estime l’historienne Frédérique Schillo.
Le 6 octobre 1973, l’Égypte et la Syrie lançaient une offensive surprise destinée à récupérer une partie des territoires conquis en juin 1967 par l’armée israélienne. Cette qttaque simultanée déstabilisa de manière significative l’État hébreu, qui finit cependant par repousser ses assaillants. 50 ans après, Le Figaro revient sur ces événements qui ont marqué durablement le paysage géopolitique dans la région.
Frédérique Schillo est historienne, spécialiste d’Israël. Elle a notamment publié avec le journaliste Marius Schattner La guerre du Kippour n’aura pas lieu – Comment Israël s’est fait surprendre, aux éditions Archipoche.
SCHILLO.- Le mouvement géopolitique principal réside dans le fait que l’Égypte a été définitivement arrimée au camp de l’Ouest. La Russie aujourd’hui conserve des bastions importants dans la région mais a perdu son influence en Égypte. Il y a eu un redécoupage depuis, avec un nouvel équilibre : l’Égypte, la Jordanie, Israël, l’Arabie saoudite sont désormais dans le camp occidental. La sphère russe comprend la Syrie et demeure proche des Iraniens et du Liban.
À quel point Israël est-il fragilisé par cette situation politique instable, avec la réforme de la justice et la grève des réservistes qui en découlent ? Ses ennemis pourraient-ils être tentés de profiter de cette situation chaotique ?
Aujourd’hui, Israël est dans une position extrêmement vulnérable. Et ses ennemis pourraient très bien en profiter. D’anciens militaires s’en sont d’ailleurs inquiétés.
Certains ex-soldats très réputés ont alerté sur le fait qu’Israël se trouvait de nouveau au bord d’un «désastre de Kippour», c’est-à-dire la chronique d’un affrontement annoncé. Certains disent : «Nous sommes le 6 octobre à 14h (heure de déclenchement de la guerre du Kippour, NDLR)». Cette métaphore signifie que les ennemis sont prêts à attaquer et qu’Israël ne voit rien, comme en 1973.
Surtout, avec le mouvement de grève des réservistes, on constate que moins de gens seraient prêts à se sacrifier pour Israël. En 1920, l’activiste sioniste Joseph Trumpeldor est mort en disant : «Il est bon de mourir pour son pays». Aujourd’hui, près de 10.000 réservistes refusent de servir l’État parce qu’il est en passe de devenir une démocratie illibérale. Les manifestants de ces dernières semaines, parmi lesquels nombre d’anciens combattants de 1973, scandent aujourd’hui qu’ils ne peuvent pas servir un gouvernement qui ferait chuter la démocratie israélienne. Mais si une guerre devait survenir, elle resouderait évidemment la nation.
Les leçons de la guerre du Kippour ont-elles néanmoins été apprises, pour ne pas rééditer un tel désastre ?