Yichma’ël ou Israël

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A la fin de la parachath Balak, on peut lire : « Oï ! Mi yi’hyé missoumo El ?! – Hélas ! Qui peut vivre quand l’Eternel ne l’a pas voulu ?! » (Bamidbar/Nombres 24,23). Mais pour rabbi Eliézer le grand (Pirké deRabbi Eliézer, 30), le verset répond à une autre lecture : « Parmi les 70 langues qu’Il a créées dans son univers, le Tout-Puissant a déposé Son Nom au milieu de l’une d’entre elles : Isra-El. Mais le Saint béni soit-Il a aussi mis au même niveau le nom de Yichma-El avec celui d’Isra-El ! Malheur à celui qui vivra l’époque qui sera la sienne ! « Oï mi yi’hyé missoumo El ! – Malheur à celui qui vivra cette époque où le Nom de Hachem est en partage ! » »…

Lorsque le Nom de Hachem est en partage…

Il est évident aujourd’hui que le nom Israël est l’objet de multiples détournements… De ces partages dont seul l’esprit humain a le secret… Superposition des noms propres que nul ne saurait ignorer (!) La modernité vit dans son rapport à Israël toutes sortes de dédoublements linguistiques qu’elle découvre : on ne parle plus aujourd’hui d’antisémitisme ou de racisme comme on en parlait au siècle dernier. Tous les adjectifs, les substantifs pour désigner l’autre ont changé de visage, on aurait presque envie de dire… de culture. ‘Essav est interpellé par Yichmaël sur son propre terrain : l’idéologie, la science des noms et des concepts ; comme il est dit à propos du premier : « Ich yodéa tsaïd, ich sadé – Un homme sachant chasser, un homme des champs » (Beréchith/Genèse 25,27.

Lisons plutôt ce que l’on trouve sous la plume d’une « indigène » française : « Aux mirages d’une civilisation qui a enfanté l’homme nucléaire, aux deux sens du terme, de là où il se situe, de là où il a été assigné – la place de l’Autre radical -, à celui qui prétend concurrencer D’, il répond : Alla hou akhbar ! Et il ajoute : Il n’y a de D’ que D’. En islam, la transcendance divine ordonne l’humilité et la conscience permanente de l’éphémère. Les vœux, les projets de ses fidèles ne sont-ils pas tous ponctués par « inch Alla » ? Nous commençons un jour et nous finissons un jour. Seul le Tout-Puissant est éternel. Personne ne peut lui disputer le pouvoir. Seuls les vaniteux le croient. De ce complexe de la vanité, sont nées les théories blasphématoires de la supériorité des Blancs sur les non-Blancs… » (Houria Bouteldja : « Les Blancs, les Juifs et nous. Vers une politique de l’amour révolutionnaire », Ed. La Fabrique p. 128, Paris, 2016).

On le voit presque tous les jours : les débats autour de l’abattage rituel, du port du foulard ou de la kippa, etc., posent certes la question de la légitimité de la laïcité, mais ils interrogent réciproquement le bien-fondé du religieux, surtout lorsque celui-ci s’exprime avec violence. Oui, ce « partage » dont parlent les « Pirké deRabbi Eliézer » oblige à une dissociation, synonyme de douleurs et de dangers. Car, ce que notre génération est en train de vivre, c’est ni plus ni moins la nécessaire émergence de l’identité juive à partir des ruines d’Edom qu’aura provoquées la montée de Yichma’ël, « péré adam » (sauvage homme), au sein même de la civilisation (Beréchith/Genèse 16,12).

« Ich mil’hama »

Mais paradoxalement, le nom de ce peuple sur lequel s’est posé Celui de l’Eternel montre l’origine de la haute dimension métaphysique de Yichma’ël et de sa vocation. Lorsqu’à la fin des temps, il s’approche pour demander qu’on lui paie sa contribution pour avoir provoqué l’accomplissement d’Israël, l’Eternel lui rétorque : « « Mil’hamoth Ani assiti – les guerres, c’est Moi Qui les ai faites ! », comme il est dit [lors de l’ouverture de la Mer rouge] : « Ich mil’hama – un homme-guerre » (Chemoth/Exode 15,3) » (‘Avoda Zara, p. 2b). Dans cette réponse aux prétentions de Yichma’ël, c’est à nouveau le substantif qui est utilisé, « Ich mil’hama » venant pour ainsi dire faire écho à l’expression « péré adam ». Comme si cette violence, œuvre du Tout-puissant, était nécessaire au dévoilement messianique. Comme si cette place qu’occupe le Nom au milieu des lettres « Yichma-El » avait précisément pour but d’amener « Isra-El » à la réalisation de sa propre identité…

On retrouve cette idée dans le commentaire que le Talmud donne du verset : « Il [Avraham] fut inhumé par Yits’hak et Yichma’ël, ses fils… » (Beréchith/Genèse 25,9). La préséance due à l’aîné n’a pas été respectée, font remarquer nos Sages, puisque Yichma’ël est mentionné après Yits’hak…

Conclusion : Yichma’ël a délibérément laissé la première place à son frère cadet, il a fait techouva (Baba Batra, p. 16b). Sous-entendu : lorsqu’à la fin des temps Yichma’ël pousse sur le devant de la scène Jérusalem et le peuple Israël, il accomplit l’essence même de sa destinée, il se relie à son chorech (origine).

L’authentique dévoilement d’Israël

« Malheur [pourtant] à celui qui vivra l’époque qui sera la sienne », car « le Nom de Hachem est en partage ». Il se lit certes à nouveau dans l’histoire accédant à sa finalité, mais dans cette mise au même plan du nom Yichma’ël avec celui d’Israël, ce dernier se voit contraint d’en devenir le digne dépositaire en arrachant l’homophonie trompeuse qui le tient attaché au premier.

Car dire que le Nom est « en partage », c’est affirmer qu’il est, pour ainsi dire, aliéné aux modalités de sa révélation dans le monde. C’est reconnaître que la émouna est au cœur de ce qui doit encore distinguer Yits’hak de son demi-frère : la brit mila et la « terre » de Cana’an, mais surtout l’épisode de la « ‘akéda », le jour où Avraham s’est levé pour sacrifier l’existence de son propre futur au dévoilement du Tout-Puissant…

« Le peuple juif a reçu de la part de Hachem un double rôle, enseigne le rav Hirsch : d’une part le monde de la émouna, c’est-à-dire les valeurs spirituelles, et d’autre part le monde de la mitsva, c’est-à-dire le fait de devoir édifier une existence en fonction de ces valeurs conformément à la volonté divine. Du point de vue de la émouna et des valeurs spirituelles, le peuple arabe a un avantage, puisqu’il dévoile avec force l’idée de la divinité telle qu’il l’a héritée d’Avraham. Pourtant, il ne suffit pas qu’un homme ait conscience de l’unité divine… encore faut-il qu’il mette toutes ses forces au service de la volonté divine… » (Beréchith/Genèse 16,14).

Y. I. RUCK

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