Le monde des grandes Yechivoth israéliennes est souvent méconnu du grand public. Voici une brève présentation de la Yechiva de Mir, fleuron des Yechivoth de Jérusalem
Mir, petite ville de Lituanie, connut une présence juive dès 1673. En 1921, elle comptait quelque quatre mille habitants, dont près de 60 % étaient Juifs. D’importantes autorités y résidèrent au cours des siècles, dont le « Adéreth« , qui remplaça R. Chemouel Salant à Jérusalem, et R. Tsvi Hirsch Kamai.
La Yechiva de Mir apparut très tôt sur la carte des Yechivoth : 22 ans seulement après la fondation de la Yechiva de Volozhyn par rav ‘Hayim1 en 1815, et son appel à fonder d’autres institutions de ce genre.
Jusqu’alors, l’étude talmudique se faisait auprès du rav du village ou de la ville, ou chez telle personnalité réputée. Les élèves logeaient à la synagogue ou chez l’habitant, et recevaient le plus souvent une maigre subsistance de la part des membres de la communauté locale. Rabbi ‘Hayim de Volozhyn opéra une véritable révolution en ouvrant sa Yechiva, qui offrait à ses étudiants hâvre matériel à côté de la nourriture spirituelle.
Les Yechivoth lituaniennes héritières de Volozhyn sont, en règle générale, dirigées par une personnalité reconnue, donnant à chaque lieu d’étude son cachet particulier, une méthode d’analyse et de perception originale. Des personnalités de grande prestance morale et intelectuelle s’y distinguèrent, tels rav Baroukh Ber de Kamenitz, rav ‘Hayim de Brisk, le ‘Hafets ‘Hayim de Radin, rav Eli’ézer Yéhouda Finkel de Mir, parmi les plus illustres. A la différence du monde ‘hassidique, la Yechiva lituanienne peut continuer à fonctionner même sans la direction d’une autorité notoire : le Beth haMidrach a sa dynamique propre, puisant aux sources orales et écrites des générations précédentes, tirant de la confrontation exigeante des esprits mais aussi de la fraternité des compagnons d’étude la « substantifique moelle » du message talmudique.
Mir s’imposa rapidement comme la seconde en importance des Yechivoth lituaniennes, immédiatement après la « maison-mère » de Volozhyn. Celle-ci fut fermée à la fin du 19ème siècle, suite à l’exigence des autorités russes d’introduire l’étude du Russe dans le programme de la Yechiva, et au refus catégorique du « Netsiv » de s’y plier. Mir prit alors une place prépondérante, qu’elle conserva jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, attirant des étudiants d’Amérique, d’Angleterre, d’Australie, . . .et de France. Il est du reste intéressant de noter que le Judaïsme français joua un rôle décisif lors de l’une des périodes les plus dures de l’histoire de la Yechiva : dans un contexte de graves difficultés pour le Judaïsme russe, alors que la Yechiva, croulant sous les dettes, se voyait menacée de fermeture, le Baron de Rotschild et le Grand rabbin Zadock Kahn lui portèrent une aide salutaire.
La tragédie de l’Holocauste, et l’épopée miraculeuse de Changhaï, survinrent alors que Mir se trouvait à l’apogée de son rayonnement. La ville elle-même offrait le spectacle typique des communautés de l’Est européen à cette époque avec leurs dissensions internes, d’un côté une vie religieuse fervente et intense, de l’autre des groupes tournant le dos résolument au monde traditionnel, adeptes de la Haskala, partisans de l’assimilation et de l’émancipation sous toutes ses formes.
Mir aujourd’hui
La Yechiva de Mir, sise désormais à Jérusalem est actuellement la plus importante des Yechivoth de Jérusalem, par le nombre de ses étudiants mais aussi par la qualité de son enseignement.
Dans le grand bâtiment du pittoresque quartier de Beth Israël, rapidement devenu bien exigu, 1200 étudiants prennent place là où ils peuvent, depuis la grande salle jusqu’aux salles attenantes, couloirs, mille et un recoins ingénieusements mis à profit.
Venus du monde entier (signalons un nombre appréciable de francophones) mais aussi d’autres Yechivoth israéliennes (‘Hévron à Jérusalem, ou Ponievitz à Bné Braq, notamment) jeunes gens comme chefs de famille, personnalités éminentes ou talmudistes en herbe s’y côtoient dans un studieux et incessant bourdonnement. Vitalité spirituelle et intellectuelle, mais aussi large ouverture à tous les courants de pensée traditionnels font qu’on y trouve même médecins ou professeurs d’université, consacrant à l’étude de la Tora quelques heures de leur emploi du temps quotidien.
Ainsi donc, Mir a su ancrer dans le paysage israélien la riche et vaste tradition lituanienne : nombre d’enseignants d’autres Yechivoth y ont reçu leur formation. Des élèves de tous rites s’y côtoient, Achkénazes et Sépharades.
« Mir » n’est pas non plus inconnue du monde français : l’un de ses responsables, le rav Yits’haq Ezra’hi, passe depuis plusieurs décennies la fête de Chavou’oth en France. Accueilli à tour de rôle par diverses communautés parisiennes ou de banlieue comme la communauté de Sarcelles, les nombreux cours et conférences qu’il donne alors permettent de faire goûter en nos contrées un peu de l’atmosphère de Mir la « yérouchalmite« .
En bref, qui veut aujourd’hui prendre un « bol d’air » du monde des Yechivoth, doit se rendre au quartier de Beth Israël, dominé par l’imposant bâtiment de la Yechiva. Une atmosphère prenante et inoubliable l’y attend.
(1) Né en 1749, décédé en 1821. Elève de prédilection du Gaon de Vilna. Auteur d’ouvrage célébres, tels que : Néféch ha’Hayim, Roua’h ‘Hayim sur Pirqé Avoth
Kountrass Magazine nº 2 – Teveth 5747 / Janvier 1987
rav Henri Kahn