Réflexion sur la paracha de la semaine par le rav Mordékhai Bismuth:
« Ya’akov envoya des messagers en avant, vers son frère ‘Éssaw, au pays de Séir, dans la campagne d’Édom. Il leur avait donné cet ordre : “Vous parlerez ainsi à mon seigneur, à ‘Éssaw : « Ainsi parle ton serviteur Ya’akov : « J’ai séjourné chez Lavan et prolongé mon séjour jusqu’à présent. J’ai acquis bœufs et ânes, menu bétail, esclaves mâles et femelles ; je l’envoie annoncer à mon seigneur, pour obtenir faveur à ses yeux. » (Beréchith 32,4-6).
Rachi nous explique le terme « j’ai séjourné » comme ceci : Je n’y suis devenu ni un ministre ni une personnalité importante, mais je suis resté un étranger, et tu n’as donc aucune raison de me haïr à cause de la bénédiction que m’a donnée ton père : « Sois un maître pour tes frères », car elle ne s’est pas réalisée.
Autre explication : « j’ai séjourné » en hébreu se dit « Garti – גַּרְתִּי» qui a la valeur numérique de 613. Ceci afin de nous informer par allusion que tout en séjournant chez Lavan, Ya’akov avait continué d’observer les 613 Mitsvot sans prendre exemple sur son mauvais comportement.
Selon une première lecture de ce Rachi, nous voyons immédiatement la grandeur de Ya’akov qui signale à son frère (et donc à toute la postérité), que tout en vivant avec Lavan le mécréant, il a tout de même continué à observer les Mitsvoth.
Ce message est une leçon pour toutes les générations : « Je n’y suis devenu ni un ministre ni une personnalité importante » nous dit-il. Pourquoi? Parce qu’il n’a pas eu le temps de s’occuper des affaires de l’État puisqu’il a observé tous les commandements de la Tora et poursuivi une étude intensive malgré toutes ses richesses accumulées.
Ya’akov s’explique sur la valeur de cette richesse à ses yeux. Il est vrai qu’il avait travaillé très dur et fait fortune, mais il tint à nous léguer un message fondamental, plus précieux que ses biens : la matière dans ce monde est certes importante, mais elle est éphémère. Le but principal de la vie n’est donc pas la richesse en soi, bien sûr, puisque nous n’emportons aucun bien avec nous lors du voyage dans l’Autre Monde ! La matière n’est donc pas le but mais le moyen. Celui de se mettre totalement et avec tout ce que nous possédons, au service de D’, (ce que nous voyons dans le Chema’ Israël qui dit : « Aimez Hachem votre D’ avec tout votre cœur, et votre âme, et tous vos moyens… »).
C’est un enseignement de notre sainte Tora et nous comprenons dès lors que l’argent n’est là que pour nous permettre de faire et d’embellir les Mitsvoth : créer l’atmosphère pure d’un foyer Juif digne de ce nom avec une belle table de Chabbath, de belles Mezouzoth, les meilleurs enseignants pour nos enfants, le plus d’invités possibles, de Tsedaka, etc…
Telle est la leçon que nous devons tirer de la conduite de Ya’akov. Comme lui, nous devons aspirer à trouver grâce aux yeux de D’ à chaque instant de notre vie, faute de quoi nous risquons de perdre de vue l’essentiel à cause de nos richesses.
A la fin de son commentaire, Rachi nous dit ceci : (Ya’akov) « n’a pas suivi le mauvais comportement de Lavan ».
Ce qui ne vient pas nous faire ici l’éloge de Ya’akov au sens où on l’entendrait de prime abord. En effet, Yaakov ne vient pas nous dire qu’il est content de ne pas avoir suivi son chemin. Au contraire, il exprime le regret de ne pas l’avoir fait. Qu’est-ce que cela signifie ?
Que Ya’akov regretta de ne pas avoir appris du zèle de Lavan qui était plein d’enthousiasme pour faire les ‘avéroth ; et Ya’akov envia ce zèle qu’il aurait souhaité mettre quant à lui bien sûr, dans l’accomplissement des Mitsvoth.
Il est écrit dans les Tehilim (119,98) : « De mes ennemis j’ai appris Tes commandements ». Ce qui signifie que le sage apprend du racha’/mécréant comment servir D’.
Le racha’ poursuivant sans cesse l’assouvissement de ses passions, il y met toutes ses forces et ne se démotive jamais, qu’il fasse chaud ou froid, qu’il soit malade ou pas, qu’il soit seul ou accompagné… A nous d’apprendre de cette détermination sans limites. C’est la raison pour laquelle Ya’akov conçut du regret. Il considéra ne pas avoir accompli les Mitsvoth comme Lavan accomplissait ses ‘avéroth, c’est-à-dire avec le punch, la hargne, la rage de vaincre coûte que coûte !
Afin de mieux nous pénétrer de notre sujet, illustrons-le par une histoire que le Ben Ich ‘Haï raconte dans un commentaire sur la parachat Bo : un jour, le Yétser Hatov et le Yétser Hara’ se rencontrèrent. Le Yétser Hara’ dit au Yétser Hatov : « Jusqu’à quand allons-nous nous affronter ? Viens, faisons une trêve et observons un « cesser le feu », ainsi je te passerai mes « clients », et toi tu me passeras les tiens. » Le Yétser Hatov accepta la proposition. Mais voilà que sous le contrôle du Yétser Hatov se trouvait un ‘Hassid, un homme très pieux, particulièrement assidu dans l’étude de la Tora, que le Yétser Hatov accepta de livrer au Yétser Hara’.
Ce soir-là le ‘Hassid était chez lui assis comme tous les soirs en train d’étudier la Tora. Le Yétser Hara’, respectant l’accord établi avec le Yétser Hatov, s’introduisit en lui et parvint à le séduire en l’incitant à interrompre son étude pour aller prendre l’air. Le ‘Hassid sortit donc dans la rue tumultueuse et arriva jusqu’à un cabaret où l’on jouait aux cartes. Il resta à la porte et observa les joueurs de cartes qui étaient littéralement envoûtés par le jeu. Lorsqu’on leur apportait du café ou du thé, la concentration qu’ils mettaient dans la partie les faisait même totalement oublier de boire. Le ‘Hassid restait là et observait, stupéfait !
Vers minuit il rentra enfin chez lui, s’assit par terre et se mit à pleurer bruyamment, il poussa des plaintes déchirantes et remplies d’amertume, au point que sa femme et ses enfants se réveillèrent et accoururent pour lui demander la raison de ses cris. Il leur répondit alors ceci : « Jusqu’à présent, je pensais que je valais de l’or, mais je viens de m’apercevoir que je ne vaux que du cuivre ! » Il s’expliqua : « Cette nuit, je me suis rendu devant un cabaret, et j’ai pu constater que du fait de leur passion pour le jeu, les joueurs en oubliaient de boire le café ou le thé qu’on leur servait ! Mais moi, lorsque j’étudie la Tora, je n’oublie jamais de boire, ce qui prouve que je n’étudie pas avec autant de passion ni autant de flamme que lorsque ces joueurs jouent aux cartes ! » Et il s’engagea sur le champ et devant tous à redoubler d’intensité et d’assiduité dans l’étude de la Tora.
Le lendemain, lorsque le Yétser Hatov et le Yétser Hara’ se rencontrèrent, le Yétser Hara’ dit au Yétser Hatov : « Annulons tout de suite notre accord de « cesser le feu » car j’ai vu que non seulement je n’ai pas réussi à faire trébucher ce ‘Hassid, mais qu’au contraire il redouble désormais de ferveur et de passion pour l’étude de la Tora ! »
Ya’akov dans notre paracha nous offre un merveilleux enseignement. Il faut, dans notre société savoir garder sa place de Juif. Malgré la réussite et l’appât du gain, nous devons rester intègres face aux commandements donnés par Hachem. Mais cela ne suffit pas.
Cette intégrité doit être équivalente et même voire supérieure à celle que l’on met dans le travail. Pour réussir dans la spiritualité autant que dans la matérialité, il faut être vrais et sincères dans toutes nos actions.
Chabat Chalom – Rav Mordekhai Bismuth
Extrait de la Daf de Chabat disponible sur notre site OVDHM.com