La Cour de cassation vient de valider la possibilité pour les entreprises d’interdire les signes religieux des salariés. Un avis qui suit les recommandations européennes. Mais cela veut-il vraiment dire que la religion est bannie du bureau ?
Décryptage avec Guillaume Boulan, avocat spécialisé en droit du travail.
Le 14 mars dernier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est saisie d’une “question préjudicielle” de la part des juridictions françaises et belges. Celle-ci vise deux affaires où des salariées voilées, au contact de clients, avaient été licenciées pour ce motif. La CJUE a conclu que les entreprises avaient la possibilité d’interdire les signes religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette interdiction est mentionnée dans le règlement intérieur ou par note de service, et “objectivement justifiée par un objectif légitime”. Mercredi 22 novembre, un arrêt de la Cour de cassation est venu confirmer l’avis de l’institution européenne.
Mais alors, peut-on encore porter une croix, un voile ou une kippa au bureau ? “Par principe, oui. Cela relève de la liberté individuelle du salarié, sauf bien sûr s’il travaille dans une entité publique, ces derniers étant tenus à une stricte neutralité religieuse”, décrypte Guillaume Boulan, avocat spécialiste du droit du travail et membre du réseau Eurojuris. “Comme l’ont indiqué successivement le CJUE et la Cour de cassation, les entreprises privées peuvent s’y opposer dans le cas où il y contact avec le client”, continue-t-il. Mais attention : l’employeur ne peut pas tomber dans la discrimination qualifiée de “directe” en termes juridique, en interdisant par exemple seulement le port du voile pour les musulmans. “Ce qui est permis, c’est une interdiction générale, sans distinction”, précise Guillaume Boulan, comme c’est le cas si un principe de “neutralité” général est adopté. Un salarié contrevenant à ce principe pourrait donc légitimement se faire licencier pour ce motif.
Pour notre avocat en droit du travail, on peut très bien imaginer que les signes religieux puissent être interdits pour d’autres motifs que celui d’un contact direct avec le client. “Il pourrait très bien y avoir d’autres buts légitimes, comme par exemple l’obligation de porter un uniforme, ce qui enlève au salarié de porter ce qu’il veut, ou encore des raisons de sécurité, voire un besoin d’identification si le signe religieux choisi ne permet pas de reconnaître le salarié”, analyse Guillaume Boulan. Avec, toujours, l’idée d’une interdiction proportionnée au but recherchée. “ll faut que dans la mise en oeuvre il n’y ait pas d’autre alternative, comme replacer le client ailleurs, en tenant compte des contraintes et sans que ce soit une charge supplémentaire pour l’entreprise”.
Prier oui, faire du prosélytisme non
Et pour la pratique religieuse sur son lieu de travail ? “C’est la même chose que pour les signes religieux, elle n’est pas interdite par principe”, répond Guillaume Boulan. Prier à l’heure du déjeuner ou lire la Bible pendant sa pause cigarette n’ont rien de répréhensible. “En revanche, on ne peut pas refuser de travailler pour des raisons religieuses. De même, le prosélytisme n’a pas sa place dans l’entreprise”. En septembre dernier, l’étude annuelle menée par l’institut Randstad et l’observatoire du fait religieux en entreprise démontrait en tout cas une stagnation du fait religieux en entreprise, voire une banalisation, où “73 % des salariés interrogés estiment qu’il est tout à fait admissible de prier pendant ses pauses”.