Vladimir Poutine a eu tout faux

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Cars are stopped at a roadblock set by civil defensemen at a road leading to central Kyiv, Ukraine, Monday, Feb. 28, 2022. Explosions and gunfire that have disrupted life since the invasion began last week appeared to subside around Kyiv overnight, as Ukrainian and Russian delegations met Monday on Ukraine’s border with Belarus. It's unclear what, if anything, those talks would yield. (AP Photo/Emilio Morenatti)

Par Jacques BENILLOUCHE –  Temps et Contretemps

Titre de l’illustration : résistance de civils en Ukraine

          Poutine pensait régler la question ukrainienne comme du temps de l’Urss et de l’invasion de la Tchécoslovaquie par le Pacte de Varsovie, en deux jours. Du 20 au 21 août 1968, les troupes du Pacte de Varsovie avaient envahi la Tchécoslovaquie pour mettre fin au Printemps de Prague et renvoyer les dirigeants du pays. C’était une victoire rapide à l’instar de toutes les agressions soviétiques. Mais, pour ne pas se rendre compte qu’il s’agit aujourd’hui d’un autre temps et d’une autre période, Poutine a commis sa plus grande erreur de ses 22 ans à la tête de la Russie. Il n’avait pas prévu un écrasement de l’Ukraine aussi lent et difficile avec une perte importante dans les rangs de son armée. Le ministère russe de la défense a déjà annoncé la mort de 498 militaires, des jeunes conscrits, pour rien, pour satisfaire la mégalomanie d’un dictateur.

Poutine a toujours gouverné avec l’ambiguïté et la surprise mais, cette fois, aucune des deux n’a fonctionné. On a découvert une Russie plus faible qu’elle n’en donnait l’impression et un Poutine dictateur qui avait donné l’impression jusqu’ici d’être un libéral. De pragmatique il est devenu criminel de guerre alors que du temps de Bush, il avait exprimé sa volonté de rejoindre l’Otan. Mais depuis son discours de 2007 à la Conférence de Munich sur la sécurité, un manifeste considéré comme le plus dur depuis l’ère de la guerre froide, il s’est transformé en nationaliste intransigeant, voire sanguinaire. Personne n’avait prêté une oreille attentive à ses avertissements et à ses prophéties sur l’expansion de l’OTAN, sur le monde unipolaire, sur les problèmes de désarmement, sur l’érosion de l’OSCE en tant qu’institution, sur le problème nucléaire iranien et sur la sécurité énergétique de l’Europe.

Non seulement il n’a pas défié ses oligarques mais il est devenu l’un d’entre eux en ne touchant pas à leurs biens tant qu’il était bien arrosé. Rien ne le distingue d’un Milosevic ou d’un Karadzic aux mains tâchées de sang.  En deux jours il a gâché toutes les avancées qu’il avait obtenues en deux décennies et cela sans être ému par l’effusion de sang ou la souffrance humaine.

L’armée russe a du mal à avancer, par manque de carburant et face à la résistance des populations. Pourtant elle a été reconstruite et modernisée depuis 2008. Les lacunes constatées dans la première phase de son opération ont surpris les observateurs. Alors dans la difficulté non planifiée, elle a choisi la solution extrême en bombardant avec des armes thermo bariques déjà utilisées à Grozny en 1994 et en 2000. Comme son nom l’indique, ce type d’arme réunit deux objectifs : la chaleur et la pression (thermos et baros). Ainsi, au moment où le missile approche de son objectif, il diffuse autour de lui du combustible, lequel va alors s’enflammer à des températures largement supérieures à un explosif conventionnel. Voilà pour la chaleur. Ce faisant, l’arme crée alors un effet de surpression, qui va conduire à une explosion beaucoup plus dévastatrice que pour une arme traditionnelle, grâce à une onde de choc se propageant largement. Et pour justifier l’horreur, Poutine ose traiter de nazis les Ukrainiens qui défendent leur peau. Il réédite en fait son exploit laissé sans suite en Syrie, à Alep ou à Idlib mais avec une différence notable, l’Ukraine est au cœur de l’Europe.

Poutine n’avait aucun obstacle devant lui puisque 5.000 à 8.000 civils ont été assassinés dans la bataille de Grozny sans que le monde bouge. Il veut aujourd’hui rééditer son lâche exploit en Ukraine en utilisant la même technique de 1999 : après avoir recouvert Grozny de Grads BM-21, de Scuds, de bombes à fragmentation et de bombes thermo bariques, ses troupes sont entrées dans la ville avec des petits commandos entraînés à la guerre urbaine. Les journalistes étaient absents à l’époque mais Poutine ne peut se croire aujourd’hui dans une terre lointaine du Caucase alors que l’Ukraine est entourée de voisins bien armés. Il n’a pas anticipé les réactions de l’Europe, certes molles et non agressives pour l’instant, mais le réveil européen risque d’être brutal avec l’envoi en Ukraine d’autre chose que des pansements et des seringues.

Si Poutine poursuit son objectif de détruire complètement l’Ukraine et d’assassiner ses dirigeants, alors, sans être pessimiste, il existe un risque avéré que les forces de l’Otan soient contraintes d’affronter au combat les troupes Russes qui dépassent la limite tolérable. Poutine ne peut pas compter sur la Chine qui l’avait d’ailleurs ignoré dans son combat contre l’Afghanistan et qui avait refusé de cueillir dans son escarcelle un pays libéré par le départ des Américains. La Chine s’est souvent montrée égoïste pour sa tranquilité ; elle avait promis aux talibans à peine 31 millions de dollars en nourriture, médicaments et vaccins Covid-19 mais aucune intervention militaire. La puissance eurasienne n’est encore qu’un rêve inachevé. Les Chinois sont des commerçants qui ne pratiquent pas de politique de destruction à l’étranger et qui n’ont pas approuvé la transformation des villes ukrainiennes en ruines parce que cela atteint leur économie. La Chine n’est pas encore prête à une rupture totale avec les États-Unis ; c’est pourquoi elle a offert sa médiation pour négocier une trêve.

Poutine avait certainement pensé que les Allemands, pacifistes, allaient garder un profil bas parce qu’ils ont un besoin pressant de gaz et de pétrole. Erreur, puisqu’ils sont entrés dans le conflit et ont même été plus loin en abandonnant leur lointaine décision prise au lendemain de la guerre de rester neutres. Ils sont prêts à envisager d’utiliser leur armée pour le combat. L’Allemagne est une grande puissance à laquelle Poutine comptait pour raisons politiques et surtout économiques mais à présent toute la frontière occidentale de la Russie vient de fermer.

La théorie selon laquelle Poutine veut recréer l’Union soviétique ne tient pas. Il n’a tout simplement pas les ressources dont disposait Khrouchtchev lorsque les chars sont entrés pour écraser la Hongrie en 1956 ou que Brejnev lorsqu’il a occupé la Tchécoslovaquie en 1968. Les moyens économiques de la Russie se sont effondrés parce qu’ils n’étaient pas diversifiés, totalement axés sur le gaz.  Elle n’est qu’au 49ème rang pour le revenu et le pouvoir d’achat. Sans la vente de ses combustibles, elle retombera en dessous du niveau de la Turquie. Déjà le désinvestissement massif a lieu et, si la trêve n’est pas engagée, alors la Russie n’existera plus sur le plan économique avec des risques évidents de soulèvement intérieur et de coup d’État.

Poutine a eu tout faux lorsqu’il croyait prendre Kiev en quelques jours. Il réussira bien sûr à prendre la capitale mais à quel prix humain et économique. Un signe qui ne trompe pas, les Russes des enclaves d’Ukraine n’ont pas manifesté une joie immense à l’entrée des chars russes. Certains ont même participé à la fabrication des cocktails Molotov pour briser la lente marche des chars russes. Les prisonniers expliquent qu’ils n’ont pas de logistique pour le carburant et surtout pour la nourriture. Le moral est très bas. Le plan militaire de Poutine s’est effondré en quelques jours et cette défaite l’a poussé aux extrêmes en proférant la menace nucléaire à laquelle il faut croire : «Les citoyens de l’UE et les structures impliquées dans la fourniture d’armes létales, de carburant et de lubrifiants aux forces armées ukrainiennes seront responsables de toutes les conséquences de telles actions dans le cadre de l’opération militaire spéciale en cours. Ils ne peuvent pas ne pas comprendre le degré de danger de la conséquence». Si à priori on peut exclure une confrontation nucléaire, tout est possible parce que l’Ukraine est hors de contrôle.

        Les Russes vont progressivement réagir assez négativement et cela affectera leur politique. C’est une erreur tragique car personne ne menaçait personne. Maintenant, Poutine a appuyé sur la gâchette. Mais il a tout faux. Sans gloire, il détruira et réduira en cendres l’Ukraine mais il ne parviendra pas à dompter les Ukrainiens. Il éliminera les dirigeants actuels mais il ne les mettra pas à genoux. Il a recréé l’unité de l’Europe au prix de la ruine économique de la Russie et de son isolement politique. Il affectera toutes les nations bien au-delà des frontières immédiates de la Russie et elles ne lui pardonneront pas. Triste victoire. Triste Russie. Malheur au vainqueur sans gloire.

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