Les violences à Toulouse posent à nouveau la question des «zones de non-droit»

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A firefighter sprays water to extinguish a burning car in the Mirail neighborhood in the French southwestern city of Toulouse, late on April 17, 2018. Angry youths in a deprived area of the Toulouse have attacked police, torched cars and set fire to garbage during three nights of clashes. The rioting in the Mirail area of the southern city, a high-crime neighbourhood once home to several jihadists, was apparently sparked by the death of a local man in prison and an identity check by police on a veiled woman on April 15. / AFP PHOTO / REMY GABALDA

FIGAROVOX/TRIBUNE – Plusieurs quartiers de Toulouse, notamment celui du Mirail, sont en proie depuis dimanche soir à des émeutes urbaines. Pour Guillaume Jeanson, ces violences révèlent que les politiques de sécurité n’ont toujours pas restauré l’ordre républicain dans ces «territoires perdus».


Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris et porte-parole de l’Institut pour la Justice.


RAPPEL DES FAITS. À Toulouse, depuis dimanche soir, les quartiers «chauds» de la ville sont le théâtre de violences d’une rare intensité. Chaque nuit des véhicules sont incendiés par dizaines par de jeunes émeutiers qui tendent aux forces de l’ordre des guets-apens: ils prennent ensuite la police ou les pompiers à partie, allant jusqu’à leur jeter des projectiles ou leur tirer dessus au mortier. Le commissariat du quartier du Mirail a également été la cible d’un caillassage.

FIGAROVOX.- Les violences urbaines qui ont lieu à Toulouse depuis dimanche soir ressemblent à un «jeu du chat et de la souris» avec les policiers. Que cherchent les jeunes émeutiers?

Guillaume JEANSON.- La face immédiatement visible des violences urbaines survenues trois soirs de suite à Toulouse depuis dimanche est celle qui oppose des policiers aux jeunes émeutiers. Suivant une grille de lecture bien connue, certains ne manqueront pas d’analyser ces émeutes comme les derniers remous d’une inimitié profonde opposant ces jeunes «stigmatisés» à une police dont ils exècrent légitimement les bavures réelles ou supposées. Suivant un tel prisme, ces actions s’inscriraient dans une logique de «résistance» face à une «oppression» de l’État.

L’enjeu ici est de soustraire certaines zones aux lois de la République pour les soumettre à d’autres lois.

Sans nier le fait que bon nombre des jeunes émeutiers vivent probablement leur combat ainsi, il est essentiel de ne pas occulter une autre réalité. Une réalité déjà bien connue des criminologues et des acteurs de terrain, que l’on retrouve systématiquement à l’œuvre dans la dynamique conduisant à ce qu’il est désormais convenu d’appeler «zones de non-droit». L’enjeu ici est le contrôle d’un territoire. L’enjeu ici est de soustraire certaines zones aux lois de la République pour les soumettre à d’autres lois. Les jeunes émeutiers cherchent donc surtout, par des méthodes proches parfois de la guérilla urbaine, à chasser toute émanation de l’État. C’est ce qui explique pourquoi, au-delà des policiers, dans les «territoires perdus de la République», des pompiers, des postiers et des médecins sont aussi pris pour cible. La population, elle, se retrouve prise en otage. Pourquoi un tel contrôle est-il recherché? Mon confrère Thibault de Montbrial l’a récemment écrit dans vos colonnes: «Pour deux raisons: continuer de faire prospérer (les) trafics, et maintenir une logique communautaire dictée par un islam radical.»

Certaines sources citent comme cause du déclenchement des violences le contrôle d’une femme en niqab, qui aurait dégénéré. Ce vêtement n’est-il pas interdit par la loi? Est-il encore beaucoup porté?

D’autres sources citent également comme cause de ce déclenchement la rumeur suivant laquelle des surveillants pénitentiaires seraient à l’origine de la mort ce week-end d’un jeune détenu toulousain. Malgré la confirmation du parquet du suicide par pendaison de ce dernier au quartier disciplinaire, de nombreux incidents sont survenus. Avant-hier, 200 détenus ont refusé de réintégrer leurs cellules, hier encore 90 d’entre eux opéraient un blocage. Les ERIS, les équipes régionales d’intervention et de sécurité, ont même dû intervenir dans la prison. Compte tenu des proportions qu’a pris ce drame, il est vraisemblable qu’il ait également eu un fort retentissement au Mirail.

Pour revenir au niqab sur lequel vous m’interrogez, rappelons qu’il s’agit d’un voile intégral qui couvre le visage à l’exception des yeux – point qui le différencie d’ailleurs de la burqa. Il apparaît ainsi pour beaucoup comme le double signe d’un islam radical et de la soumission de la femme. Ces dernières années, de nombreux pays l’ont interdit. L’année dernière, le Maroc en a par exemple interdit la fabrication et la vente, alors que l’Allemagne en a interdit partiellement le port. En France, il faut remonter à 2010: une résolution a d’abord été adoptée par l’Assemblée nationale le 11 mai pour considérer «que les pratiques radicales attentatoires à la dignité et à l’égalité entre les hommes et les femmes, parmi lesquelles le port d’un voile intégral, sont contraires aux valeurs de la République». Une loi a ensuite été promulguée le 11 octobre suivant, pour interdire la dissimulation du visage dans l’espace public. Cette loi a été abondamment critiquée et son application n’a donc été que sporadique. Tout le monde garde en mémoire les «coups d’éclat» médiatiques de Rachid Nekkaz, cet homme d’affaires algérien qui payait ostensiblement les amendes auxquelles étaient condamnées les femmes violant cette nouvelle loi.

Pourquoi le port du voile intégral cristallise-t-il encore autant de tensions?

En France, le port du niqab dans l’espace public exacerbe les tensions car il est un exemple visible de l’opposition frontale entre certaines obligations religieuses – défendues par une conception particulièrement rigoriste de l’islam – et un interdit républicain. Il est donc d’un côté perçu comme un mépris de l’autorité de l’État, signe d’un repli communautaire inquiétant, et de l’autre, comme un prétexte de stigmatisation et de harcèlement islamophobe.

Lorsque les policiers font respecter la loi, cela peut constituer une agression aux yeux de la population.

En janvier 2017, France 2 diffusait un reportage de François Chilowicz sur le quartier du Mirail intitulé «quartier impopulaire». Après avoir expliqué posément et face caméra pourquoi «il n’était pas Charlie», l’un des habitants interrogés poursuivait en ces termes: «Moi je trouve qu’ils nous bloquent, ils nous bloquent en parlant du voile, oui faut pas faire ci, faut pas mettre ça, non c’est mal vu ci, les barbes et les barbus, cela devient stigmatisant…» La voix off reprenait: «Autant s’y habituer, toute discussion dans le quartier finit souvent par une référence à l’islam, ça marche comme ça ici, la religion vient remplir les vides et soulager l’existence». Un peu plus loin, au sujet d’un rappeur avertissant que «sans l’islam, Reynerie serait Chicago (…) car il y a l’islam et il y a quand même des armes qui circulent…», la voix off explicitait: il «est le premier qui m’a fait sentir combien les habitants du Mirail dressaient l’islam autour d’eux comme une barrière de sécurité, une faille sensible qui les touche en plein cœur et qu’il ne faut pas agresser.» «L’agression» semble avoir pris ici la forme du contrôle de cette femme en niqab. Si tel devait être le cas, il serait alors extrêmement préoccupant d’observer que désormais le seul fait pour la police de faire respecter les lois de la République sur l’ensemble du territoire pourrait constituer, en lui-même, une «agression» aux yeux d’une partie de la population.

Le quartier du Mirail, à Toulouse, a été classé «ZSP», zone de sécurité prioritaire, par François Hollande. La paix n’y semble toujours pas revenue… Est-ce une exception, ou est-ce à l’image de nombreux autres quartiers?

Les ZSP sont un dispositif créé en 2012-2013 par le gouvernement Ayrault. Il s’est déroulé en trois vagues successives, délimitant d’abord quinze, puis quarante-neuf et enfin seize zones, toutes considérées par les pouvoirs publics comme «souffr(ant) plus que d’autres d’une insécurité quotidienne et d’une délinquance enracinée» ou «connai(ssant) depuis quelques années une dégradation importante de ses conditions de sécurité».

Pour le dire rapidement, l’idée était de doter ces zones d’un nombre plus important de policiers et de gendarmes. Les ZSP sont donc nombreuses et émaillent l’ensemble du territoire national. En ce sens on peut dire que le Mirail n’est pas une exception.

Est-ce que ces ZSP sont une réussite? Hélas non, comme les événements du Mirail nous le démontrent et comme l’illustrent également d’autres exemples. La toute première ZSP, celle de Barbès-Château-Rouge à Paris, qui comprend notamment en son sein le quartier de la rue Dejean, a par exemple été un lieu d’âpre résistance de la part des riverains, premières victimes de cette délinquance installée. Mobilisés en association, «la vie Dejean», ces riverains n’ont cessé, devant l’inertie des autorités et l’inefficacité des actions menées par la police, de mener avec courage toutes sortes de mobilisations, allant même jusqu’à saisir la justice. En 2016, le tribunal administratif de Paris a ainsi reconnu la faute de la préfecture et de la mairie pour l’insécurité et l’insalubrité du quartier. L’année suivante, la Cour administrative d’appel de Paris a confirmé cette décision. Et, plutôt que d’y apporter de vraies réponses sur le terrain, les autorités ont préféré poursuivre cette procédure en saisissant le Conseil d’État.

Le défi que posent ces quartiers est à la fois politique, juridique et culturel.

Comment se fait-il que l’État soit impuissant à y maintenir l’ordre républicain?

Les ZSP ont été, on le voit, une réponse largement insuffisante face à l’ampleur du problème. Nous ne pouvons qu’espérer de la part de la nouvelle police de sécurité du quotidien une plus grande efficacité face à ce fléau. Mais le défi est grand. Il est aussi juridique et politique que culturel. Interrogé récemment par l’Institut pour la Justice au sujet de cette nouvelle police, Patrice Ribeiro, commandant de police et secrétaire général du syndicat Synergie-Officiers, le questionnait: «Comment des policiers peuvent-ils être crédibles et incarner l’autorité quand, à leur simple vue, les caïds du quartier, forts de leur sentiment d’impunité, les insultent et les agressent physiquement tout en revenant pérorer et bomber le torse le lendemain? Ce sont eux l’incarnation de l’autorité dans les cités. Nous le redeviendrons uniquement si toute la chaîne pénale fonctionne et que les magistrats cessent de simplement «dire le droit» sans s’imprégner des réalités locales. Il suffit souvent d’emprisonner les éléments les plus violents pour apaiser un quartier. C’est une dimension qui échappe trop souvent lors d’un jugement.»

Source www.lefigaro.fr

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