Dans un village isolé proche de l’équateur, sur l’île des Célèbes, se trouve l’unique synagogue d’Indonésie, pays musulman le plus peuplé au monde. Là, une minuscule communauté juive vit en paix malgré la montée de l’intolérance contre les religions minoritaires en Indonésie.
Petit bâtiment au toit rouge, la synagogue du district de Tondano, dans le village de Rerewokan, peut accueillir une trentaine de fidèles. Non loin de là, une station de taxis motos est repérable à son grand panneau sur lequel est dessiné l’étoile de David et écrit « Izrael ». Impensable ailleurs dans le pays.
Car contrairement à d’autres provinces de l’archipel d’Asie du Sud-Est, qui compte 255 millions d’habitants dont près de 90% musulmans, la communauté juive des Célèbes vit parmi une population à majorité chrétienne qui accepte sa présence et celle de la synagogue, dans le district de Tondano.
« Nous pouvons porter la kippa où nous voulons, ce n’est pas un problème », raconte à l’AFP un dirigeant de la communauté juive locale, Yobby Hattie Ensel.
Cette communauté de quelques dizaines de Juifs vit sa foi ouvertement et en paix à Manado, la capitale provinciale, alors que l’intolérance religieuse s’est fortement accrue ces dernières années dans le pays, sous la pression d’islamistes radicaux.
Religion non reconnue
Quelque 200 Juifs vivent actuellement en Indonésie, selon l’Union indonésienne de la communauté juive (UIJC), créée en 2010.
Nombre d’entre eux seraient des descendants de commerçants d’Europe et d’Irak venus en Asie pour faire du commerce.
Naguère, l’Indonésie comptait aussi une synagogue à Surabaya, deuxième ville du pays. Mais à la suite d’attaques contre l’édifice dans les années 2010, le bâtiment a été démoli en 2013, quand le propriétaire du terrain a changé.
Le statut des Juifs en Indonésie est assez bancal car le judaïsme ne compte pas parmi les six religions reconnues officiellement dans le pays, à savoir islam, protestantisme, catholicisme, bouddhisme, hindouisme et confucianisme. Or la mention de la religion est exigée sur la carte d’identité, ce qui contraint de nombreux Juifs à mentir et affirmer qu’ils sont chrétiens quand ils font la demande d’une carte d’identité, comme l’ont fait tous ceux rencontrés par l’AFP.
Le ministère indonésien des Affaires religieuses souligne pourtant qu’une personne n’ayant aucune des six religions reconnues peut choisir de ne rien mettre sur sa carte d’identité. Mais dans la réalité, les autorités locales exigent de tout demandeur qu’il déclare l’une d’elles.
Hostilité
En dehors du havre de paix dans le nord des Célèbes, les Juifs d’Indonésie qui refusent de cacher tout signe religieux ostensible s’exposent à des réactions hostiles.
Yaakov Baruch, le responsable de la synagogue « Cha’ar haChamayim » à Tondano, raconte en avoir fait les frais il y a quelques années. Reconnaissable à son apparence vestimentaire de juif orthodoxe, il avait été menacé de mort par plusieurs hommes dans un centre commercial de la capitale, où il déambulait avec sa femme enceinte. « Quelques étages au-dessus de celui où je me trouvais, ils m’ont crié « espèce de juif fou ». On ne veut pas que tu portes la kippa dans ce pays. Si tu continues à la porter, on te tuera », raconte M. Baruch à l’AFP.
Les accès de tensions entre Israéliens et Palestiniens au Proche-Orient provoquent de l’hostilité à l’égard de la communauté juive indonésienne, observe Yaakov Baruch. « Quand quelqu’un est poignardé là-bas, ça me met mal à l’aise ici », dit-il.
« Beaucoup d’Indonésiens ne font pas la différence entre judaïsme, communauté juive, sionisme et Israël », explique Ismatu Ropi, professeur à l’université islamique d’Indonésie.
Discrétion
Compte tenu de l’hostilité à leur égard, de nombreux juifs indonésiens choisissent de pratiquer leur foi en toute discrétion.
En mars, quelques-uns parmi lesquels le rabbin Benjamin Verbrugge, directeur de l’UIJC, se sont ainsi retrouvés dans un petit hôtel pour célébrer la fête de Pourim.