C’est dans ce contexte que se dessine une révolution due en grande partie aux Accords d’Abraham, qui marquent la fin des discours irréalistes soutenus en grande partie par les Occidentaux, qui se veulent jusqu’à présent plus royalistes que le roi. Souvenons-nous de Chirac, qui avait déconseillé à Arafat les accords avec Barak lui promettant des concessions plus importantes. La solution des deux Etats se meurt. Ra’am bouleverse tout. Pour peu que la situation des arabes israéliens s’améliore, c’est les arabes de Cisjordanie qui voudront suivre le même chemin. Le Hamas de moins en moins soutenu, même par le Qatar, le Hezbollah vomi au Liban, les satellites de l’Iran seront rejetés par leur population respective.
Mansour Abbas reste néanmoins un Frère musulman, mais au lieu de vociférer ses objectifs, il se crée un chemin pour y arriver. Il sait d’où il part, il sait où il voudrait arriver, mais les chemins ne conduisent pas toujours au lieu de destination, car il ne marche pas seul.
Ra’am va-t-il sortir les arabes des ornières de l’Histoire ?
La participation d’islamistes palestiniens à la coalition gouvernementale en Israël s’inscrit dans une longue histoire de coopération plus ou moins avouée.
Pour la première fois dans l’histoire d’Israël, un parti identifié à la minorité palestinienne est officiellement associé à la coalition gouvernementale. La victoire est d’importance pour l’islamiste Mansour Abbas, à la tête de Ra’am, l’acronyme hébreu de la « Liste arabe unie ». Activement courtisé par Benyamin Netanyahou, qui espérait grâce à lui demeurer au pouvoir, Abbas a finalement rallié ses quatre députés à Naftali Bennett, sans pour autant assumer un portefeuille ministériel. Même Yitzhak Rabin avait insisté en 1992 pour avoir une « majorité juive » pour la paix, préférant gouverner avec les orthodoxes du Shas plutôt que de dépendre des voix des « partis arabes ». Que les islamistes de Ra’am aient brisé un tel tabou n’aurait cependant pas été possible sans une longue histoire de coopération plus ou moins discrète entre ce courant palestinien et Israël.
LA PRIORITE A L’ISLAMISATION
Les Frères musulmans sont bien implantés dans la « bande » de Gaza, où, en 1948, la guerre et l’exode concentrent un quart de la population arabe de Palestine. Le territoire est administré par l’Egypte, qui a refusé de l’annexer, à la différence de la Jordanie à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Gamal Abdel Nasser prend le pouvoir au Caire en 1952 avec l’aide des Frères musulmans, à qui il offre la mairie de Gaza, mais se retourne contre eux, deux ans plus tard. En 1956-57, la bande de Gaza est occupée par Israël durant quatre mois, à la faveur d’une offensive coordonnée avec la France et la Grande-Bretagne dans le canal de Suez. Les islamistes palestiniens se joignent au front commun de la résistance nationaliste, malgré une répression féroce, avec un millier de morts pour 330 000 habitants. Israël se retire sous la pression des Etats-Unis, mais occupe de nouveau la bande de Gaza en 1967, lors de la guerre des Six-Jours. Les Frères musulmans, dirigés à Gaza par le cheikh Ahmed Yassine, refusent cette fois d’adhérer à un front uni contre Israël.
Yassine considère en effet qu’Israël, en humiliant Nasser, a d’une certaine manière vengé les islamistes des persécutions que le dirigeant égyptien leur avait infligées. Il estime surtout que la priorité doit aller à la réislamisation de la société palestinienne, punie de ses péchés par cette nouvelle occupation, plutôt qu’à la résistance nationaliste. Les autorités d’occupation comprennent le parti qu’elles peuvent tirer d’une telle discorde inter-palestinienne. Elles favorisent de plus en plus ouvertement Yassine, assistant en 1973 à l’ouverture de sa mosquée à Gaza, puis l’autorisant en 1979 à recevoir des financements étrangers. Ces facilités contrastent avec la répression méthodique menée à l’encontre de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) et de ses réseaux. En 1980, les militaires israéliens restent ostensiblement passifs lorsque les islamistes attaquent des bastions du militantisme nationaliste. L’OLP dénonce en retour la collusion entre les Frères musulmans et l’occupant.
LE TOURNANT DU HAMAS
Lorsque éclate, en 1987, l’intifada, soit littéralement le « soulèvement » de la jeunesse palestinienne, Yassine comprend qu’une telle vague risque aussi de le balayer. C’est pourquoi il décide, du jour au lendemain, de transformer les islamistes palestiniens en « Mouvement de la résistance islamique », désigné sous son acronyme arabe de Hamas. Les Frères musulmans, qui accusaient jusque-là les nationalistes de l’OLP de ne pas être assez musulmans, les accusent désormais d’être prêts à des concessions envers Israël. Le Hamas se dote d’un bras armé, le Majd, confié à Yahia Sinouar, l’actuel chef du mouvement à Gaza, et élimine des dizaines de rivaux palestiniens, stigmatisés comme « collaborateurs » ou « corrompus ». Les militaires israéliens jouent évidemment de ces dissensions pour affaiblir l’intifada, même si Sinouar est arrêté en 1988 et Yassine en 1989. Il faut attendre 1991 pour que le Hamas bascule dans la « lutte armée » contre Israël, avec la création des brigades Ezzedine Al-Qassam, du nom d’un guérillero islamiste, tombé en Galilée en 1935.
Pour l’heure, Mansour Abbas reconnaît « avoir des préoccupations communes avec les partis juifs religieux et la droite conservatrice ». Un tel rapprochement au nom de valeurs partagées a beau sembler paradoxal, il est donc loin d’être une nouveauté dans l’histoire des islamistes palestiniens.
JForum – Le Monde