L’appel lancé hier soir par le chef de l’opposition Yair Lapid à une révolte fiscale rejoint des appels similaires entendus à l’été 2023, au plus fort des protestations contre la réforme judiciaire. Des économistes soulignent qu’aucune révolte fiscale n’a jamais réussi dans un pays démocratique et avertissent que les indépendants qui tenteraient une telle action risquent des poursuites pénales et de lourdes amendes.
Par Gad Lior et Sharon Kidon | Ynet
Lors de son discours prononcé hier soir (samedi) à la manifestation principale place Begin, le chef de l’opposition, le député Yair Lapid, a menacé d’appeler à une révolte fiscale en Israël, dans le cadre de l’intensification de la contestation contre le gouvernement. Cependant, des économistes expliquent qu’en réalité, il s’agit d’un appel à commettre une infraction pénale, et qu’une telle action est dans la plupart des cas tout simplement irréalisable, notamment pour les salariés.
L’objectif d’une révolte fiscale est de paralyser le fonctionnement de l’État, puisque les impôts représentent sa principale source de financement, que ce soit pour l’armée, la police, le système de santé, le bien-être social ou encore l’éducation. Sans ces revenus, le pays serait effectivement paralysé.
Une mesure inefficace dans la pratique
Ce n’est pas la première fois depuis le début du mandat du gouvernement actuel que des opposants à sa politique menacent de lancer une révolte fiscale. En été 2023, au sommet des manifestations contre la réforme judiciaire, des mouvements de protestation avaient déjà évoqué cette idée, appelant à des actes de désobéissance civile, y compris le refus de payer les impôts.
« Il ne fait aucun doute qu’une révolte fiscale pourrait temporairement perturber la trésorerie de l’État, qui serait contraint d’emprunter à des taux d’intérêt plus élevés, ce qui serait in fine payé par les citoyens », déclarait alors à Ynet l’expert-comptable Reuven Schiff. « Cela entraînerait aussi une hausse des taux d’intérêt pour les particuliers, car les prêts seraient accordés à des conditions moins favorables qu’auparavant. »
Mais dans les faits, aucune révolte fiscale n’a jamais réussi dans un pays démocratique, selon des économistes interrogés par Ynet. Les salariés ne peuvent pas contrôler le paiement de leurs impôts, puisque ceux-ci sont automatiquement prélevés par leur employeur.
Quant aux indépendants qui ne déclareraient pas leurs revenus ou refuseraient de payer leurs impôts, ils risquent des poursuites pénales et de lourdes amendes, et se retrouveraient à devoir payer encore plus que prévu. Même s’ils parviennent à retarder les paiements, ce serait uniquement possible si un nombre significatif d’indépendants agissaient de concert, et cela ne ferait que ralentir l’État de manière limitée.
Une incitation à enfreindre la loi
« Toute recommandation d’organiser une révolte fiscale risque d’inciter les citoyens à enfreindre la loi, et ne devrait même pas être formulée », a déclaré hier soir à Ynet l’experte-comptable Iris Stark, ancienne présidente de l’Ordre des experts-comptables d’Israël. « De plus, les salariés ne peuvent tout simplement pas mener une révolte fiscale, puisque les impôts sont prélevés à la source par les employeurs. »
Elle précise que : « Un indépendant qui fraude et ne paie pas ses impôts peut être poursuivi pénalement. Cela encouragerait également le développement de l’économie souterraine. Travailler sans factures, sans TVA ni impôt sur le revenu est une infraction pénale passible de peine de prison ferme. Une telle révolte causerait de lourds dommages au budget de l’État – et donc à l’ensemble des citoyens. »
Selon les économistes, aucune révolte fiscale réussie n’a été recensée dans une démocratie.
« La manifestation est un outil légitime, mais la révolte fiscale ne l’est absolument pas », a ajouté Iris Stark. « Il est inadmissible que des représentants élus incitent les citoyens à violer la loi. »
« Une grève générale de l’économie aurait un impact »
L’ancien chef économiste du ministère des Finances, Yoel Naveh, a commenté dans une interview à Ynet l’appel de Lapid et les déclarations de responsables économiques qui envisagent de paralyser l’économie si le gouvernement ne respecte pas les décisions de la Cour suprême.
« Une grève générale aurait un impact et montrerait au gouvernement que la situation est grave », a-t-il affirmé. « Cela permettrait peut-être à de nombreuses personnes, aujourd’hui incapables de participer aux manifestations, de le faire. Si le mouvement est large et durable, ce serait significatif. »
Naveh a ajouté : « Ce débat n’est pas déconnecté de la réalité. La principale menace pour l’économie israélienne est la remise en cause du système judiciaire et de son indépendance, ainsi que l’atteinte aux droits de propriété. Cela entraînerait la fuite des investisseurs et une récession économique sévère. Il faut absolument éviter cela. »
« Sans parler des risques de dégradation de la note de crédit de l’État et de hausse du coût de la dette. Ces conséquences deviendront inévitables si le gouvernement continue de saper les institutions et la justice – surtout s’il ne respecte pas la loi. »
Sur la « révolte fiscale », Naveh précise :
« Une grande partie du système fiscal repose sur des prélèvements à la source. Par exemple, un salarié ne peut pas choisir de ne pas payer l’impôt sur le revenu : c’est l’employeur qui s’en charge. Seuls les indépendants ou les entreprises peuvent retarder le paiement de leurs impôts – mais ils s’exposent aux sanctions prévues par la loi. »
« Ce que le public pourrait faire, c’est éviter les achats fortement taxés – comme ne pas acheter de biens immobiliers, pour éviter la taxe d’acquisition, ou ne pas acheter de véhicules, très fortement imposés. Mais au-delà de cela, le non-paiement des impôts repose entièrement sur les épaules des indépendants et des entreprises. »