Les prochaines cibles de Poutine pourraient être la Moldavie ou les Pays Baltes, Etats qu’il semble considérer, à l’instar de l’Ukraine, comme illégitimes et relevant de la sphère d’influence russe. Si l’Occident souhaite éviter d’autres souffrances et bains de sang, il doit tout mettre en œuvre pour que l’agression russe échoue. (Photo by Alexey Nikolsky/Sputnik/AFP via Getty Images) |
L’OTAN devrait avoir pour objectif stratégique de faire tomber le président russe Vladimir Poutine et de le remplacer par un dirigeant moins dangereux. A défaut, l’action diplomatique et économique occidentale doit imposer des contraintes sévères aux oligarques russes et des souffrances aux citoyens ordinaires ; il faut que cette aventure conduise à l’implosion du système.
La présence de Poutine au pouvoir laisse planer une menace permanente pour l’OTAN, l’Europe et le monde. La loi russe lui permet de conserver le pouvoir jusqu’à 2036 au moins, délai largement suffisant pour recréer l’Union soviétique sous une forme ou une autre, refaire de la Russie une superpuissance, repousser l’OTAN, et organiser la domination de Moscou sur ses voisins orientaux. Et voilà que Poutine réclame maintenant le désarmement nucléaire de l’Europe.
Les prochaines cibles de Poutine pourraient être la Moldavie ou les Pays Baltes, Etats qui, à l’instar de l’Ukraine, sont considérés comme « illégitimes » et relevant de la sphère d’influence russe. Si l’Occident souhaite éviter d’autres souffrances et bains de sang, tout doit être mis en œuvre pour que cette agression échoue. Aujourd’hui, les Etats-membres de l’OTAN agissent de manière coordonnée et un régime de sanctions sans précédent pousse l’économie russe au bord du gouffre. Pour mettre fin aux ambitions plus larges de Poutine, il est également essentiel que l’OTAN aide l’armée ukrainienne à se maintenir au combat, finance son effort de guerre et fournisse armes et équipements militaires aux forces ukrainiennes.
Au cas – loin d’être improbable – ou Poutine l’emporterait, un soutien à la résistance ukrainienne devrait être mis aussitôt en place avec des armes, du renseignement et de la surveillance, des cyber-capacités offensives, et l’envoi de conseillers clandestins. Moscou doit s’embourber en Ukraine avec un flot de sacs mortuaires retournant en Russie (plutôt que mystérieusement « disparus » dans les sinistres crématoires mobiles qui, selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky, accompagnent les forces russes). Personne ne se réjouit de voir mourir des conscrits russes, mais de lourdes pertes peuvent décourager de nouvelles agressions et déstabiliser le régime de Poutine.
Jusqu’à aujourd’hui, l’Occident imposait des sanctions qui s’affadissaient au fur et à mesure que la situation se stabilisait. C’est ce qui s’est passé en 2014, quand Poutine a envahi la Crimée, et c’est ce qui se passe avec l’Iran qui agresse ses voisins du Moyen-Orient et finalise un programme d’armes nucléaires. Cela ne doit pas arriver avec Poutine. Les pays occidentaux devraient donner un caractère permanent à leurs sanctions et à toutes les autres mesures de rétorsion. Ces sanctions devraient aller jusqu’à la rupture des relations diplomatiques, l’interdiction des exportations, la fermeture des ports, des espaces aériens et des aéroports ainsi que l’exclusion des équipes russes de toutes les compétitions sportives et de tous les événements culturels et scientifiques.
Certains ont suggéré que les pays occidentaux refusent d’admettre le moindre citoyen russe sur leur territoire. D’autres ont proposé d’expulser ceux qui s’y trouvent déjà. Une telle mesure pénaliserait les Russes ordinaires qui aujourd’hui, sont indifférents aux sanctions qui punissent une poignée d’oligarques lointains.
La guerre que mène la Russie est une agression au regard du droit international, et son caractère illégal est aggravé par les nombreuses informations qui nous parviennent concernant les crimes de guerre commis sur le sol de l’Ukraine, avec des allégations de ciblage délibéré de populations civiles. Ces crimes vont probablement continuer et augmenter. Toutes ces atrocités devraient faire l’objet d’un recensement systématique pour traduire les responsables devant la Cour pénale internationale de La Haye, avec mise en examen des dirigeants russes pour crimes contre l’humanité.
En bref, la politique d’isolement doit avoir pour but de transformer la Russie en paria non seulement au fur et à mesure de l’invasion de l’Ukraine, mais aussi longtemps que nécessaire. Ces pénitences auront un effet à rebours, car la Russie ripostera avec ses propres sanctions et restrictions. Mais nos difficultés peuvent être atténuées par une élimination progressive de notre dépendance à l’égard des produits énergétiques russes, et une augmentation de nos approvisionnements en provenance d’Afrique du Nord, de l’Adriatique et de la Méditerranée. Les États-Unis peuvent réduire leur dépendance en relançant le Keystone pipeline, le plus grand distributeur de pétrole au monde, que le président Joe Biden a fermé au premier jour de son mandat, et aussi en relançant le gaz et le pétrole de schiste et en construisant des centrales nucléaires.
Poutine pourrait être tenté de se venger des pays occidentaux par des actes de cyberguerre et des assassinats qui sont sa marque de fabrique. C’est pourquoi il importe de développer nos cyberdéfenses, nos capacités de renseignement et toutes nos autres capacités offensives pour contrer et infliger de graves dommages aux agences d’espionnage russes.
Le Parti communiste chinois atténuera les effets du boycott infligé à la Russie. La Chine a d’ores et déjà entrepris d’acheter les produits énergétiques russes qui ne trouvent plus à se placer en Europe. Certains craignent que trop de sanctions occidentales ne jettent la Russie dans les bras de la Chine. Mais le rapprochement a déjà eu lieu : la Russie est le principal bénéficiaire du soutien financier chinois dans le monde, et Poutine et Xi sont liés par un accord militaire.
Pendant ce temps, les armées de l’OTAN doivent être reconstruites – comme l’Allemagne vient, remarquablement, de promettre de le faire – et déployées ostensiblement au Nord et à l’Est de l’Europe, dans tous les pays qui se trouvent dans la ligne de mire immédiate de Poutine. La Grande-Bretagne, par exemple, a décidé l’année dernière, de réduire plus encore ses unités de chars et d’infanterie. Non seulement ces coupes claires devraient être annulées, mais elles devraient être inversées. Toutes les forces militaires devraient être reconstituées aux niveaux de la guerre froide des années 1980.
Partout où Poutine exige que les forces de l’OTAN se retirent, celles-ci doivent être présentes et bien visibles. Certains y verront une provocation, mais c’est en réalité un signe d’autorité car la dissuasion doit prendre le pas sur l’apaisement. Poutine affirme que l’OTAN le menace, mais ses accusations – et il en est parfaitement conscient – ne sont là que pour servir d’alibi à ses ambitions territoriales et à ses craintes que la liberté et la prospérité occidentales ne sapent son autorité sur la population russe. Poutine sait que l’OTAN est une alliance purement défensive qui ne menace pas la Russie. Si l’OTAN – que la débâcle de Biden en Afghanistan a affaibli – veut retrouver sa crédibilité d’antan, elle doit retrouver sa force – à savoir sa puissance militaire, mais aussi la volonté politique de l’utiliser.
Les États-Unis et l’OTAN pourraient ne pas vouloir – ou rencontrer des difficultés à – faire chuter Poutine. Si le changement de régime devait être laissé aux forces de de l’intérieur, en plus des actions économiques, diplomatiques et juridiques contre la Russie et les responsables de cette guerre, il nous faudrait alors soutenir et encourager au maximum tous les successeurs potentiels de Poutine que nous aurions identifié comme raisonnables et modérés.
Les difficultés ne doivent pas être sous-estimées. Le principal opposant à Poutine, Alexei Navalny, que les services de sécurité de Moscou ont tenté d’assassiner avec Novitchok, est en prison et son mouvement politique interdit. Dmitry Muratov, prix Nobel de la paix l’an dernier pour sa lutte en faveur de la liberté d’expression en Russie, a récemment déploré que personne n’ait été en mesure d’arrêter l’agression de Poutine en Ukraine. Les quelques hauts fonctionnaires qui ont tenté d’objecter aux préparatifs de l’invasion ont été rapidement balayés. Les généraux se sont montrés dociles et la Douma et le Conseil de la Fédération regorgent de vassaux.
Avant l’invasion, et alors que Poutine niait ses intentions agressives, l’Amérique et la Grande-Bretagne ont sensibilité le monde en rendant publics des informations issues du monde du renseignement. Nous pouvons fomenter la dissidence en utilisant la même technique : exposer sans relâche la criminalité, la corruption et la kleptocratie de Poutine au peuple russe. Nous pouvons mener une guerre économique et juridique déterminée contre les oligarques russes, pour les inciter à se retourner contre Poutine et à organiser une révolution de palais.
Notre message au peuple russe doit être clair : nous n’accepterons ni ne permettrons aucun acte de guerre de Poutine dans l’Europe du XXIe siècle et nous déploierons tous les moyens nécessaires pour éliminer le danger. Il nous faut également préciser qu’une fois le danger éliminé, nous serons généreux envers le peuple russe. Nous l’accueillerons chaleureusement dans un monde bâti sur des règles et l’encouragerons à se rapprocher de l’Europe et de l’Occident s’il le souhaite.
Nous devons également être prêts à offrir un soutien économique, un plan Marshall des temps modernes. La marginalisation intégrale de la Russie coûtera cher, ainsi que sa réhabilitation. Mais aussi astronomiques que soient les coûts, ils sont la solution la plus économique en dollars et en vies humaines. Les enjeux ne pourraient pas être plus élevés. Il y a quelques jours, la Russie est devenue le premier pays à attaquer une centrale nucléaire, au risque d’une débâcle humaine et écologique indescriptible. La semaine dernière, Poutine a proféré des menaces nucléaires très claires contre l’Occident.
Israël nous le rappelle souvent à propos de l’Iran, quand un dirigeant menace un peuple d’anéantissement, il faut le prendre au sérieux. Si dans les années 1930, le monde avait fait le choix d’éliminer Hitler plutôt que de l’apaiser, nous n’aurions peut-être pas eu l’horreur d’une guerre mondiale qui a tué 70 millions de personnes.
L’urgence qu’il y a pour l’Occident d’élaborer un message ferme va-delà de la Russie. Le président chinois Xi a de plus grandes ambitions territoriales que Poutine, et elles se jouent aujourd’hui sur plusieurs continents. L’Ukraine de Xi, c’est Taïwan, et il n’est pas exclu que la catastrophe du dictateur russe dissuade son ami à Pékin.
Le colonel Richard Kemp est un ancien commandant de l’armée britannique. Il a dirigé la cellule anti-terroriste au sein du Cabinet Office du Royaume-Uni. Il est aujourd’hui écrivain et conférencier sur les affaires internationales et militaires. Il est Fellow de la Jack Roth Charitable Foundation au Gatestone Institute.