Nous avons la chance de vivre dans un univers multiple et varié qui nous amène à rencontrer ou à croiser au quotidien de nombreuses personnes. Au-delà de l’échange qui peut se créer avec un certain nombre d’entre elles, nous avons la possibilité de partager et d’offrir un petit moment de bien-être à chacune. De quoi s’agit-il ?
Tout simplement du sourire que nous leur « donnerons » quand nous allons les croiser.
La centralité du sourire est exprimée de manière très claire par Chamaï dans les Pirqé Avoth/Maximes de nos Pères (1,15) : « Reçois tout individu, quel qu’il soit, avec un visage agréable. » Il est intéressant de noter que Chamaï apparaît dans le Talmud comme un sage extrêmement rigoureux et pointilleux. Or, c’est lui qui nous enseigne cette attitude à prendre ! Il ne s’agit donc pas ici de l’expression d’un sentiment naturel, mais de quelque chose à installer coûte que coûte dans notre mode de fonctionnement. Si nous laissons libre court à nos ressentis de l’instant, nous vivrons une sinusoïde permanente de comportements opposés.
Chamaï accentue encore cette notion en employant le terme de « kol adam » : « tout individu, quel qu’il soit, et sans distinction », car l’être humain, créé à l’image de D’, mérite, parce qu’il me fait face, que je reconnaisse sa présence à travers ma manière de me tourner vers lui et de le regarder.
Comprenons aussi que le sourire, le visage ouvert et orienté vers l’autre, lui révèlent qu’il a été vu, qu’il existe, et qu’il bénéficie d’une place. Combien d’entre nous ont le sentiment de n’exister pour personne, car ils n’ont presque jamais l’occasion de voir un visage se tourner vers eux de façon désintéressée. Souriez à quelqu’un lorsque vous lui parlez. Il y a de fortes chances qu’il vous demande : « pourquoi me souriez-vous ? » A travers ce simple sourire, on peut donner à l’autre la conscience d’exister. Y a-t-il présent plus extraordinaire que celui-ci ?
Nous n’imaginons pas combien la solitude peut être durement éprouvée chez ceux que nous côtoyons parfois au quotidien. Ils échangent des mots avec leur entourage, mais ils ne se sentent pas véritablement exister. Force est de constater qu’on communique parfois pour des raisons purement techniques, sans que l’autre ne compte réellement, en tant qu’individu. On retrouve parfois aussi cela chez certains enfants qui ne se sentent exister qu’en arrivant à l’école, avec le premier sourire de leur journée… celui de leur maîtresse !
La motivation du don
Au-delà de son apport immédiat à autrui, ce sourire va aussi devenir un modèle pour tous ceux qui nous entourent et, en particulier, notre conjoint et nos enfants. Cet effort pour réussir à sourire, car c’en est bien un, va avoir, rapidement, un certain nombre de conséquences positives.
Illustration par une simple visite chez un marchand de chaussures, un beau matin. La vendeuse nous accueille avec le sourire. Elle nous fait essayer plusieurs paires et, après avoir proposé la douzième, et parce que nous commençons à nous lier d’amitié, là, dans un petit soupir, elle nous raconte que la veille au soir, son mari n’a pas été très agréable, et que ce matin, elle n’a pas eu le temps de prendre son petit-déjeuner ; puis, qu’elle a loupé son train… Or, un grand sourire illuminait son visage lorsqu’elle nous a accueillis. La raison est fort simple. Cette personne est portée par un objectif : vendre des paires de chaussures. Elle sait parfaitement que si elle présente un visage morose et fermé aux clients, ils désireront repartir le plus rapidement possible. Elle va donc occulter ses difficultés et dessiner un sourire sur son visage.
A partir de cet exemple, nous pouvons poser la question suivante : quel est notre objectif en rentrant le soir chez nous ? Si nous cherchons à créer une atmosphère paisible et joyeuse, un visage tendu et fermé produira évidemment l’effet contraire. Il inquiétera, bouleversera, suscitera des attitudes susceptibles, dans un second temps, de générer un désastreux effet boule de neige. Alors, à l’image de cette vendeuse, rappelons-nous que notre objectif doit conditionner notre manière d’être. Nous pourrons alors faire l’effort de dépasser la difficulté présente, afin de proposer un sourire à tous ceux qui nous entourent. Ce sourire amènera aussi nos proches à devenir, à leur tour, des êtres souriants, et ainsi de suite… Une réaction en chaîne va se développer et donner une autre tonalité au monde que nous allons fréquenter.
Cette démarche risque de nous sembler difficile dans des univers où le visage fermé semble être le révélateur du sérieux de la personne. Elle demande de notre part la capacité de nous extraire du poids du regard des autres et de la norme apparente dans les univers que nous fréquentons. Si nous gardons en tête la dimension positive de tout ce que ce sourire peut apporter, nous trouverons les énergies nécessaires pour mettre cette démarche en application au quotidien.
Par le rav Lemmel