Par Francis MORITZ – Temps et Contre Temps
Photo : Pose de barbelés à la frontière entre Pologne et Biélorussie
A l’heure où l’affaire afghane et le procès des attentats de Paris, prennent le pas sur d’autres sujets importants, ce qui se produit à la frontière orientale de l’UE passerait presque inaperçu. La Biélorussie vient de sceller son union avec la Russie. Alors que depuis des années, le dictateur de Minsk faisait tout pour l’éviter, les efforts conjugués du président Joe Biden et de l’UE, ont réussi ce qu’on pourrait qualifier de coup de l’année en Europe. Après le rideau de fer de la Guerre Froide, on était passé à la Glasnost. Après avoir fait plusieurs pas de côté concernant la Crimée, l’Ukraine, on a carrément fait un grand pas en arrière.
L’UE sous la houlette des Américains et au fil ininterrompu des gesticulations allemandes et françaises, n’a eu de cesse que de vouloir ajouter des sanctions aux sanctions. Dans le même temps l’Allemagne fille ainée de l’Amérique en Europe, a obtenu la poursuite de la construction du gazoduc Nordstream-2 que les États Unis affirmaient vouloir stopper. Las ! il n’en fut rien. L’Ukraine qui attendait beaucoup, n’a obtenu que des encouragements de l’UE. Elle perdra jusqu’à un milliard d’euros lorsque ce gazoduc russe sera mis en service. A Washington, Zelenski son président accueilli avec tous les honneurs est reparti amer, pendant que les habitants russes du Donbass voteront pour les élections russes.
Pendant ce temps, l’intégration de la Russie et de la Biélorussie a pris fin avec la signature du traité de l’Union à Minsk. Il recouvre «les grandes orientations de la construction de l’Union». Cet accord représente le changement qualitatif le plus important dans l’équation de la sécurité sur le flanc oriental de l’OTAN depuis l’annexion de la Crimée par Moscou en 2014 et l’intervention armée dans la région ukrainienne du Donbass. Il constitue une escalade de la militarisation de la Biélorussie et l’expansion de la présence militaire russe jusqu’aux frontières de l’UE. Les Occidentaux n’ont toujours pas compris que Vladimir Poutine a une seule obsession, redonner à son pays le lustre et le pouvoir du passé. Ukraine, Crimée, Biélorussie, sont toujours dans la sphère russe. Sauf à déclarer la guerre, on n’y changera rien, mais on ne cessera d’y laisser des plumes. Tous les autres sujets sont abordés dans les 28 chapitres de l’accord dont un prix d’ami fixe du gaz, un contrat de fournitures d’armement de plus d’un milliard de dollars. Il s’agit d’un document complet dans lequel les parties coordonnent, harmonisent, normalisent et intègrent leurs lois et systèmes. Peut-être que l’UE, qui cherche sa voie, devrait-elle s’en inspirer ?
Cette intégration menace directement la sécurité de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne. Elle renforce également la capacité de Moscou à fermer le Suwałki Gap, un tronçon d’environ 100 kilomètres de la frontière polono-lituanienne coincé entre la Biélorussie et la région russe fortement militarisée de Kaliningrad, ce qui couperait effectivement les États baltes du reste de l’OTAN déjà empêtré dans des choix qu’elle ne peut faire. La Biélorussie ressemble de plus en plus à une extension du secteur militaire occidental de la Russie. Ce nouveau rideau de fer provoquera une aggravation des divisions dans l’UE alors que la Pologne, la Lituanie et la Lettonie ont commencé à construire des clôtures de barbelés à leurs frontières qui sont aussi celle de l’UE avec la Biélorussie, en réponse à une crise que le dictateur Loukachenko organise l’importation de migrants de tout le Moyen-Orient à Minsk, puis en facilite l’entrée illégale dans L’Europe.
On mesure ici que la question migratoire pèsera d’un poids croissant. Le parlement polonais a voté le 6 septembre la poursuite de l’état d’urgence le long de sa frontière orientale avec la Biélorussie. Citant la crise des migrants illégaux, les manœuvres russes Zapad-2021 et la militarisation de la Biélorussie, le Premier ministre polonais a déclaré qu’à Moscou et à Minsk, des scénarios sont en cours d’élaboration «qui menacent la sécurité et la souveraineté de la Pologne».
Les Premiers ministres russe et biélorusse ont signé les 28 chapitres de l’Union et les dispositions les plus importantes du traité sur l’État de l’Union pour les années 2021-2023. Le dirigeant biélorusse, a déclaré que son pays recevrait bientôt d’énormes fournitures de matériel militaire russe. Ce qui confirme le soutien continu de Moscou, au milieu d’un tollé international mais inefficace contre sa répression de la dissidence. Le décret formel qui officialisera l’union sera signé par les deux présidents, le 4 novembre.
S’exprimant dans la ville biélorusse orientale de Babruysk le 1er septembre, le dictateur de Minsk a déclaré que la Russie enverrait des avions de combat, des hélicoptères et des systèmes de missiles de défense aérienne, y compris, peut-être, des systèmes de missiles S-400, «dans un avenir proche». L’importance de faire une telle annonce à Babruysk est claire pour quiconque a suivi le jeu du chat et de la souris qu’ont été les relations russo-biélorusses ces dernières années. Depuis 2013, le Kremlin tentait de forcer Loukachenko à accepter une nouvelle base aérienne russe. Ce n’est que très récemment, qu’il a indiqué être prêt à revoir son opposition à cette base, qui accueillerait des avions de combat SU-27 pilotés par des pilotes russes. L’annonce par Loukachenko des fournitures militaires n’était que le dernier volet du plan d’intensification de la militarisation de la Biélorussie et l’accélération de l’intégration des forces armées russes et biélorusses.
Le jour où Loukachenko a pris la parole, des troupes russes équipées de missiles antiaériens arrivaient dans la ville biélorusse occidentale de Hrodna, près de la frontière avec la Pologne et la Lituanie, pour mettre en place un centre d’entraînement militaire commun. Quelques jours plus tard, une flotte d’avions de combat SU-30SM est arrivée à la base aérienne de Baranovichi, également dans l’ouest de la Biélorussie. Du 10 au 16 septembre ont lieu des manœuvres conjointes de très grande ampleur, qui font suite à un nombre record de manœuvres cette année. La rotation constante des forces russes se traduit de fait par une présence permanente en Biélorussie.
Alors se repose la sempiternelle question de l’ingérence démocratique dans ses multiples versions : L’Amérique qui prétend imposer sa démocratie tous azimuts, tout en ayant sa plus grande base au Moyen Orient au Qatar dont on connaît les liens avec les Frères Musulmans, la France qui accueille depuis des décennies les investissements de ce même pays, l’ONU qui finalement maintiendra des relations avec les Talibans et poursuivra ses prochains versements pour plus de 600 millions de dollars. Les vols commerciaux vers Kaboul semblent reprendre. La France qui n’a pas de difficulté à reconnaître le coup d’État au Tchad mais renâcle à accepter celui du Mali, ou ne reconnaît pas le président-dictateur, mais parlera avec les Talibans. Bref, en politique, c’est la faillite de l’ingérence démocratique, business as usual !