Un an après le putsch raté en Turquie

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Turkey's President Tayyip Erdogan greets people at the United Solidarity and Brotherhood rally in Gaziantep, Turkey, August 28, 2016. REUTERS/Umit Bektas

Élimination de ses rivaux politiques, mainmise sur les médias… pour le président turc, ce soulèvement était « un cadeau du ciel ».

INTERNATIONAL – Il aurait pu être éjecté du pouvoir, c’est l’inverse qui s’est produit. Ce samedi 15 juillet marque le premier anniversaire du putsch raté en Turquie. Et jamais le président turc Recep Tayyip Erdogan n’a autant semblé dominer son pays.

« Avant tout, nous arracherons la tête de ces traîtres », a-t-il ainsi lancé samedi lors d’une cérémonie marquant ce premier anniversaire, ajoutant qu’il approuverait le rétablissement de la peine capitale en Turquie si le Parlement votait en ce sens.

Retour en 2016. Dans la nuit du 15 au 16 juillet, une fraction de l’armée se soulève, s’empare d’avions de chasse et d’hélicoptères et sème la panique dans les rues d’Ankara et d’Istanbul. Les putschistes ciblent notamment le Parlement et le palais présidentiel, symbole du pouvoir turc.

Le président se trouve alors en vacances dans l’ouest du pays… ce qui ne l’empêche pas de contre-attaquer immédiatement. Il regagne précipitamment Istanbul, où il est accueilli par ses partisans, et accuse le prédicateur islamiste Fethullah Gülen, installé aux Etats-Unis, d’être derrière le coup d’Etat. Gülen dément, mais pour Recep Tayyip Erdogan, ce soulèvement est « un cadeau de D' ». Et si, officiellement, le coup d’Etat n’a jamais été revendiqué et que certains soulèvent l’hypothèse d’un coup monté par le gouvernement, une chose est certaine: le putsch raté a offert sur un plateau d’argent à Erdogan un prétexte pour consolider son pouvoir, sur de nombreux aspects.

« Ce coup d’état est un cadeau de D’. Cela nous aidera à supprimer ces éléments de l’armée » a déclaré le président turc lors d’une conférence de presse, quelques heures après le putsch.

L’état d’urgence (et les avantages qui vont avec)

Le 20 juillet 2016, Recep Tayyip Erdogan proclame l’état d’urgence, « nécessaire pour éradiquer rapidement tous les éléments de l’organisation terroriste impliquée dans la tentative de coup d’Etat » pour une durée de trois. Renouvelé trois fois depuis, il est toujours en vigueur un an après le soulèvement.

L’état d’urgence permet notamment de décréter le couvre-feu, de restreindre le droit de manifester ou la liberté de circulation dans certains secteurs identifiés. La notion « d’implication dans une organisation terroriste » facilite également les arrestations (grâce aux dispositions antiterroristes turques), au grand dam des nombreux opposants du président turc. Le 16 juin dernier, Kemal Kiliçdaroglu, chef du Parti républicain du peuple (Cumhuriyet Halk Partisi, CHP), premier parti d’opposition turc, a ainsi affirmé que « le vrai coup d’Etat a eu lieu le 20 juillet, avec l’instauration de l’état d’urgence. »

Selon des sources concordantes, depuis juillet 2016, plus de 50.000 personnes auraient été arrêtés et plus de 100.000 limogées ou suspendues, dans le domaine politique, mais aussi culturel, médiatique et intellectuel. Une façon, pour le président Erdogan, de reconquérir tous les pouvoirs, dans tous les sens du terme. Une nouvelle purge à la veille de l’anniversaire du putsch manqué a même touché plus de 7000 policiers, soldats et membres de ministères.

  • Eliminer les opposants politiques

Dans le viseur du pouvoir turc, il y avait au début les partisans du prédicateur Fethullah Gülen, à qui le coup d’Etat manqué a été imputé. Mais les purges se sont rapidement étendues aux deux principaux mouvements d’opposition du pays, le CHP, social-démocrate, et le HDP, pro-kurde, déjà très fortement réprimés depuis l’arrivée au pouvoir d’Erdogan.

Début juillet 2017, on estimait ainsi qu’au moins une dizaine de membres du parti pro-kurde étaient actuellement en détention, dont ses deux co-présidents. Quant au parti CHP, longtemps considéré comme intouchable car créé par Atatürk, père de la République de Turquie, il n’est désormais plus épargné. Enis Berberoglu, un député du parti, a ainsi été condamné en juin dernier à 25 ans de prison pour avoir fourni au journal d’opposition Cumhurriyet des informations confidentielles, selon les motifs évoqués officiellement. Une décision qui a été interprétée par les opposants au pouvoir comme une arrestation « politique ».

En réaction à cette condamnation, le chef du CHP a ainsi pris la tête d’une « marche pour la justice » de 450 kilomètres entre Ankara et Istanbul, qui s’est achevée dimanche 9 juillet par un rassemblement de plusieurs centaines de milliers de personnes.

 

 

  • Reprise en main de l’armée

Autre groupe visé par le pouvoir turc: l’armée, considérée comme le premier acteur du putsch raté de juillet 2016. Une première, comme le souligne Etienne Copeaux, historien de la Turquie, dans un blog vidéo publié sur le HuffPost, qui rappelle que les quatre précédents coups d’Etat menés par les militaires ont été une réussite. « Précédemment, c’était toute l’armée qui intervenait », souligne l’historien, alors que le putsch de 2016 n’a été menée que par une partie des militaires. Et de souligner la suprématie des armées sur le pouvoir politique: « L’armée pesait tellement sur la vie politique qu’en 1997, il a suffi qu’elle menace d’intervenir pour que le gouvernement islamiste de l’époque démissionne. » Mais cette époque est désormais révolue. Immédiatement après le coup d’état, Erdogan avait dénoncé le rôle de l’armée dans le soulèvement et promis de la réorganiser. Il a tenu parole.

Tout d’abord, en suspendant et emprisonnant plus de 8000 militaires, accusés d’avoir pris part à la tentative de pustch. Parmi eux, des figures du commandement turc, comme l’ancien chef de l’armée de l’air ou encore un colonel ancien aide-de-camp militaire du président. Ensuite, en fermant les écoles de formation militaire au profit d’une structure unique, l’Université de défense nationale, et en limitant l’autonomie accordée aux différents services de l’armée. Autant de décisions censées garantir la loyauté des forces armées sur le long terme.

  • Mainmise sur les médias, la culture et les intellectuels

C’est sans doute le volet le plus médiatisé de la répression menée par Erdogan. Selon des sites spécialisés dans la liberté de la presse, 167 journalistes sont actuellement détenus en Turquie, dont la majorité dans le cadre de l’état d’urgence décrété après la tentative de putsch. Le cas de la romancière turque Asli Erdogan accusée d’appartenance à une « organisation terroriste » (comme la plupart de ceux qui s’attirent les foudres du président turc) est aussi devenu emblématique de la répression post-putsch.

La réforme de la Constitution, ou comment conforter son pouvoir « légalement »

Neuf mois après le putsch manqué, les turcs du monde entier étaient appelés aux urnes, pour voter pour ou contre la réforme constitutionnelle proposée par Erdogan. Et c’est le « oui » qui l’a emporté, d’une très courte tête, dans une élection aux résultats toujours contestés par l’opposition.

Car pour eux, ce texte n’est rien de plus qu’une nouvelle dérive autoritaire d’Erdogan, qui transforme le régime parlementaire turc en un régime présidentiel. Le texte prévoit notamment la suppression du poste de Premier ministre au profit d’un hyper-président qui concentrera entre ses mains l’essentiel du pouvoir exécutif et judiciaire.

La réforme ne devrait entrer en vigueur qu’après les élections législatives et présidentielle turques prévues fin 2019. Si elle n’est pas amendée entre temps, elle pourrait également permettre à Recep Tayyip Erdogan de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2029. Une perspective alléchante, qui pourrait expliquer les purges actuelles du président, qui souhaite de maîtriser dans la durée l’ensemble des institutions et pouvoirs du pays.

De ce putsch raté, qui a donc permis à Erdogan d’asseoir de façon durable et stratégique son autorité, deux points noirs semblent cependant émerger pour le président. Tout d’abord, une mobilisation plus importante et plus structurée de ses opposants, comme l’a montré le rassemblement géant à la fin de la Marche pour la justice le 9 juillet dernier.

Mais aussi – et surtout -, le durcissement des relations avec les pays occidentaux, et notamment avec ceux de l’Union européenne. En marge du G20 qui s’est déroulé début juillet à Hambourg, un entretien entre Angela Merkel et Recep Tayyip Erdogan « a montré clairement que nous avons de profondes divergences », portant sur les arrestations massives en Turquie suite à la tentative de putsch de 2016, a ainsi déclaré la chancelière allemande. Pas de quoi cependant inquiéter le président turc, qui avait très tôt fait comprendre aux diplomates étrangers qu’ils feraient mieux de ne pas se mêler de ses affaires.

Source www.huffingtonpost.fr

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