Les Américains tentent de trouver un accord avec Ankara à propos de Manbij. Un pari délicat, estime le géographe Fabrice Balanche.
L’objectif a été exposé sans ambages par Recep Tayyip Erdogan, mardi 20 février, devant le Parlement turc : l’armée assiègera la ville syrienne d’Afrin « dans les prochains jours et de façon beaucoup plus rapide », a promis le président turc. Un mois après le lancement d’une opération militaire engagée aux côtés de l’Armée syrienne libre, Ankara maintient le cap pour chasser les forces des « Unités de protection du peuple » (YPG) de la première région kurde à avoir chassé le pouvoir gouvernemental en 2012. Le paradoxe veut que c’est aujourd’hui vers Damas que les Kurdes se tournent pour contrer les ambitions de M. Erdogan. Mardi, des forces pro-régime ont investi l’enclave d’Afrin, accueillies par des bombardements turcs. « Si le régime vient pour éliminer le PKK et le PYD [dont les YPG sont la branche armée, NDR], alors il n’y aucun problème », avait prévenu un peu plus tôt, depuis la Jordanie, le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu. « Toutefois, s’il vient pour défendre les YPG, alors rien ni personne ne pourra nous arrêter, nous ou les soldats turcs ».
Un renversement d’alliance des Kurdes ?
Un risque d’escalade est-il à prévoir ? Non, considère Fabrice Balanche, chercheur associé à la Hoover Institution. « Cela ne sera pas bien sérieux », affirme-t-il à Actualité juive. « La Turquie savait que l’armée syrienne allait parvenir à Afrin. Les Kurdes ont passé un deal avec Moscou et Damas pour être protégés de la Syrie, en échange de quoi ils évacueront une partie de leurs troupes d’Afrin, acceptant ainsi le partage de la souveraineté sur la ville. Ce sera d’ailleurs également le cas dans d’autres villes comme Rakka ».
Ce rapprochement témoigne de la déception kurde à l’égard du « lâchage » de l’allié américain envers lequel l’attente était considérable après l’engagement des YPG contre l’Etat islamique. « Les Kurdes estiment qu’ils sont désormais mieux protégés par une alliance avec Damas et la Russie plutôt qu’avec les Etats-Unis », juge Fabrice Balanche qui refuse néanmoins de parler de renversement d’alliance. « Les Kurdes ont toujours joué sur les deux tableaux. A Alep, en 2016, ils ont travaillé avec les Russes et le régime syrien contre les rebelles. Ces derniers temps, ils attendaient un soutien américain contre les Turcs qui n’est jamais venu ».
En route vers Manbij ?
La volonté de l’administration Trump de ne pas rompre les ponts avec la Turquie a pu se mesurer lors de la visite du secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, dans la capitale turque, la semaine dernière. « Nous n’agirons plus chacun de notre côté » en Syrie, s’est engagé M. Tillerson, le 16 février, lors d’une conférence de presse commune avec son homologue Mevlüt Cavusoglu. Un « groupe de travail » devrait prochainement être mis en place. Reste à savoir si le dialogue entre ces alliés de l’OTAN sera suffisant pour empêcher les forces turques d’attaquer Manbij, localisée à 100 kilomètres à l’est d’Afrin.
« Le problème est que Rex Tillerson est revenu d’Ankara avec une proposition turque d’occupation conjointe américano-turque de la ville, accompagnée du retrait des YPG. Pour les forces kurdes qui ont perdu plus de cinq cents combattants pour reprendre Manbij à l’Etat islamique, c’est inacceptable », estime Fabrice Balanche. « Ils savent également que demain, les Turcs réclameront la même chose à Tel Abyad [à la frontière turque] pour couper le territoire kurde en morceaux ».
Que feront les Américains en cas d’attaque turque contre Manbij ? « Ils n’ont que deux cents soldats entre la ville et la zone occupée par les Turcs. Je vois mal l’aviation américaine bombarder les Turcs pour les empêcher d’avancer », poursuit le géographe qui insiste sur la « fragilité » des YPG à Manbij où les tribus arabes ne cachent pas leur fidélité au régime d’Assad. « A terme, je pense que l’armée syrienne entrera à Manbij ».
Source www.actuj.com