Il est difficile de mesurer encore pleinement l’impact de ce qui est en train de se jouer à l’échelle planétaire depuis et par les plus récentes décisions de Donald Trump. Mais une fois de plus, la plupart des journalistes français n’y comprennent rien. Il importe dès lors d’expliquer.
Donald Trump entend replacer les États-Unis en position de maître du jeu planétaire.
C’est ce qu’il fait dans ses déclarations concernant les taxes sur l’acier et l’aluminium qui vont entrer en vigueur.
C’est ce qu’il fait en acceptant de rencontrer Kim Jong Un, sous strictes conditions.
Prenons successivement ces deux points.
La volonté exprimée par Donald Trump de taxer acier et aluminium importés aux États-Unis a été immédiatement présentée comme abominablement protectionniste, insensée, à même de détraquer l’économie mondiale, susceptible d’entraîner des ripostes d’autres pays. Les propos de Donald Trump disant qu’”une guerre commerciale est facile à gagner” ont suscité la consternation et été décrites comme ineptes.
Disons ce qui doit l’être :
- Trump n’est pas protectionniste. Il entend prendre des mesures très ciblées qui ne signifient pas une volonté de mettre l’économie américaine en son ensemble à l’abri de la concurrence étrangère. Ces mesures concernent des secteurs précis. Elles sont, qui plus est, des bases de négociation destinées à poser des rapports de force.
- Ce que veut décider Trump n’est pas du tout insensé mais très calculé et ne détraquera pas l’économie mondiale. Taxer les importations d’acier et d’aluminium permettra de préserver des capacités de production américaines. Cela n’entraînera que des surcoûts mineurs pour l’économie américaine et pour les consommateurs américains, surcoûts qui sont peu de chose à coté des surcroîts de profit et des accroissements de salaire permis par la récente baisse de taxes et impôts voulue par Trump et entrée en vigueur. Dès lors que ce que veut décider Trump est une base de négociation, il importe de voir ce que sera la suite des négociations : Trump parle de flexibilité pour les pays amis. Le Canada et le Mexique sont dans une renégociation de l’accord de libre échange qui les lie aux États-Unis. Trump a posé la carte acier et aluminium sur la table. Il attend de voir ce que vont dire Canada et Mexique. Son attitude est la même vis-à-vis de l’Europe, vis-à-vis de la Chine, et vis à vis de tous les pays du monde. Trump entend signifier que l’ère d’un libre échange aveugle et séparé de la géopolitique est achevée, et qu’avec Trump à la Maison Blanche, tous les éléments des échanges commerciaux seront pris en compte (réglementations en vigueur dans un pays et utilisées comme un moyen de protectionnisme déguisé, subventions abaissant le prix de production d’un produit dans un pays, etc), ainsi que toutes les dimensions géopolitiques (un pays ne sera considéré comme ami des États-Unis que si ses positions en politique étrangère ne sont pas hostiles aux États-Unis et s’il ne cherche pas à tirer avantage des États-Unis),
- Trump sait que les risques de riposte d’autres pays ou d’un ensemble de pays sont faibles. Le Canada et le Mexique dépendent immensément du marché américain ; l’Europe dépend aussi beaucoup économiquement du marché américain et, militairement, de la défense américaine, et a plutôt intérêt à écouter attentivement ce que le Président américain entend lui demander (et elle peut aujourd’hui être accusée de protectionnisme bien davantage que les États-Unis: quiconque regardera les taxes à l’importation en Europe touchant l’acier asiatique, ou les produits agricoles et les véhicules américains aura des surprises). La Chine, elle, dépend absolument du marché américain,
- Trump a raison, “une guerre commerciale est facile à gagner” pour la puissance qui a le dessus. Les États-Unis sont la première puissance économique du monde et peuvent poser les rapports de force que Trump entend poser. Ils ne déclarent pas de guerre commerciale. Si d’autres pays ou ensembles de pays déclaraient une guerre commerciale, les États-Unis gagneraient aisément. En fait, d’autres pays ou ensembles de pays sont déjà en guerre commerciale contre les États-Unis, Trump riposte.
On ajoutera à cela que
a) la renégociation des accords commerciaux voulue par Donald Trump était indispensable et urgente pour les raisons exposées ci dessus. Les États-Unis ont laissé entrer sur leur sol sans barrière douanière et au nom du libre échange des produits venant de pays qui ont gardé, eux, des barrières douanières. Il fallait que cela cesse et que la renégociation s’opère. Il est indispensable que les États-Unis restent la première puissance économique du monde car il est indispensable que les États-Unis restent la première puissance militaire du monde et le garant de l’existence d’un monde libre ;
b) si d’autres pays sont concernés (dont les pays d’Europe), la Chine l’est tout particulièrement : elle mène une politique mercantiliste et utilise l’entrée libre de produits, services et flux financiers sur le territoire américain pour mener une politique de conquête prédatrice tout en subventionnant ses produits, en sous évaluant sa monnaie, en fermant très largement le marché chinois et en imposant des conditions très inégales aux entreprises étrangères investissant en Chine. Si d’autres pays ou ensembles de pays sont déjà en guerre commerciale avec les États-Unis, la Chine l’est plus encore que tout autre pays ou ensemble de pays. La Chine pille la propriété intellectuelle américaine, avec pour objectif une domination mondiale de type totalitaire. Il est impératif que cela cesse aussi : c’est la survie d’un monde libre qui est en jeu. Et l’administration Trump n’est qu’au début de ses actions concernant la Chine.
Économiquement, les années Obama sont finies. America is back. L’Amérique est de retour. C’est un fait qui peut déplaire à certains, mais c’est un fait.
Passons à ce qui concerne Kim Jong Un (Jean Patrick Grumberg a d’ores et déjà écrit un remarquable article sur le sujet).
Donald Trump a, donc, accepté de rencontrer Kim Jong Un. Cela a pris nombre d’observateurs par surprise et conduit à nombre de spéculations, souvent bancales.
Disons là aussi ce qui doit l’être :
- Donald Trump a mis une pression extrême sur la Corée du Nord et a exigé de la Chine qu’elle mette elle aussi une pression extrême sur la Corée du Nord. Le résultat des pressions est que le régime nord-coréen est en grande difficulté. La Chine continue à lui fournir le minimum requis pour qu’il ne tombe pas, car elle ne veut pas de la chute du régime et du chaos qui pourrait en découler, mais elle n’ira pas au delà du minimum requis ;
- Donald Trump a fait comprendre à Kim Jong Un (et à la Chine) que toutes les options étaient sur la table, dont une option militaire ciblant les installations nucléaires nord-coréennes. Il a fait comprendre aussi que le Japon pourrait devenir rapidement une puissance nucléaire, avec l’aide des États-Unis, si la Corée du Nord ne dénucléarisait pas, et la perspective d’un Japon ayant l’arme nucléaire ne plaît pas du tout à la Chine ;
- Donald Trump sait que le Président sud-coréen (Moon Jae-in) est un adepte de l‘apaisement, mais il sait aussi que la population sud-coréenne veut être défendue face à Kim Jong Un. Il a donc accepté les gestes d’ouverture du Président sud-coréen vis-à-vis de Kim Jong Un, tout en continuant à exercer une pression extrême sur la Corée du Nord, en organisant des manœuvres militaires entre armée américaine et armée sud-coréenne, et en renforçant la présence militaire américaine en Corée du Sud. Tout cela de façon à ce que toute négociation entre le Président sud coréen et Kim Jong Un se fasse dans des conditions où ce dernier soit en position de faiblesse, et c’est ce qui s’est passé ;
- Kim Jong Un a adopté ces dernières semaine une position moins arrogante et belliqueuse parce qu’il entend retrouver une respiration, d’où l’envoi d’une délégation, et de sa sœur, en Corée du Sud aux Jeux Olympiques. En ayant demandé à rencontrer Donald Trump aux conditions de Donald Trump, il montre qu’il a un besoin urgent de desserrer l’étreinte et qu’il cherche une issue ;
- Donald Trump accepte la rencontre en position de force et garde sur la table toutes les options américaines, dont l’option militaire. Il maintient toutes les sanctions en place. Il montre que lorsque les États-Unis affirment leur puissance et leur détermination face à un ennemi, l’ennemi finit par plier. C’est ce qui se passe, et tous ceux qui disaient que Donald Trump était un fou belliciste vont devoir réécrire leur copie. Tous ceux qui pensaient que Donald Trump ne pourrait s’entendre avec le Président sud-coréen adepte de l’apaisement en sont pour leurs frais : le Président sud coréen a parlé avec Kim Jong Un, Donald Trump a mis ce dernier sous pression, le Président sud-coréen a pu amener lui-même le message de Kim Jong Un à Donald Trump et a remercié Donald Trump. Cela s’appelle The Art of the Deal.
Donald Trump parle, en termes reaganiens, de “paix par la puissance”. C’est là l’un des volets de la paix par la puissance. Kim Jong Un entend encore ruser, sans aucun doute. On ne peut ruser longtemps avec Donald Trump. Les conditions posées par Donald Trump sont précises. La ligne fixée par Trump est tout aussi précise : dénucléarisation vérifiable de la Corée du Nord, arrêt total de la coopération militaire entre la Corée du Nord et l’Iran, accord de paix entre Corée du Nord et Corée du Sud. Trump n’accordera pas d’alternative à Kim Jong Un et lui fera comprendre que s’il veut rester au pouvoir, Kim Jong Un doit accepter la ligne fixée par Trump. Si Kim Jong Un comprend, il n’y aura pas de changement de régime en Corée du Nord (un assouplissement de la dictature sera néanmoins ajouté aux autres exigences américaines). Si Kim Jong Un ne comprend pas, il pourrait s’apercevoir qu’il n’est pas invulnérable et qu’il est sur un siège éjectable.
Comme le disent des politiciens conservateurs à Washington : “When they feel the heat, they see the light”. Quand ils sentent que la chaleur monte, ils voient la lumière. Kim Jong Un verra-t-il la lumière ? Ce serait son intérêt bien compris. Sans quoi la chaleur montera rapidement.
America is back, indeed. L’Amérique est de retour, incontestablement.
Ce n’est qu’un début. La révolution Trump ne fait que commencer. Les journalistes qui veulent mon livre qui porte ce titre peuvent toujours le demander, et le lire s’ils veulent sortir de l’aveuglement.
Ils peuvent aussi rester dans l’aveuglement et continuer à s’imaginer intellectuellement supérieurs à Donald Trump, écrire que Trump ne comprend rien à l’économie (c’est pour cela qu’il a fait fortune, sans doute) ou qu’il n’a pas la subtilité diplomatique requise pour négocier avec la Corée du Nord (c’est vrai qu’il ne s’est pas fait rouler dans la farine comme les subtils crétins appelés Bill Clinton et Barack Obama).
Les chiens des fake news aboient. La doctrine Trump avance.
© Guy Millière pour Dreuz.info