Depuis le début de son quinquennat, Emmanuel Macron s’attache à mettre en scène la puissance française lors de ses rendez-vous diplomatiques, au risque de froisser l’ego de superpuissances.
Le coup d’éclat permanent: depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron investit ostensiblement le champ des relations internationales, véritable pré-carré présidentiel sous la Ve République. Après le G7, le G20 et la réception de Vladimir Poutine à Versailles, l’invitation de Donald Trump le 14 juillet, précédé d’un dîner le 13 à la Tour Eiffel, sera un nouveau temps fort dans un agenda diplomatique surchargé.
Ce que Jacques Chaban-Delmas appelait « le domaine réservé » du Président constitue l’un des attributs essentiels de l’homme qui représente la France, indissociable du rôle de chef des armées. Souvent utilisé par François Hollande, Nicolas Sarkozy et avant eux François Mitterrand comme moyen de prendre de la hauteur lorsqu’ils étaient en difficulté dans l’Hexagone, l’international est essentiel pour « l’incarnation » du monarque républicain.
Après la « synthèse » hollandaise, la dialectique macronienne
À ce titre, Emmanuel Macron souhaite, selon l’historien Jean Garrigues, marquer « une rupture » avec son prédécesseur François Hollande, en déficit d’image présidentielle pendant une grande partie de son quinquennat. « Il s’agit », selon le professeur à Sciences Po, « de restaurer une grandeur du style gaullo-mitterrandien, avec un type de diplomatie beaucoup plus percutant et médiatisé ».
Ces « coups d’éclat » sont, d’après l’expert, la contrepartie d’une présidence moins loquace:
« Une parole plus rare implique qu’il faut que les images soient plus fortes », explique Jean Garrigues à BFMTV.
Les symboles choisis par Emmanuel Macron pour mettre en œuvre cette diplomatie sont donc avant tout « ceux de la grandeur française, aussi bien monarchique que républicaine ».
Un exemple de plus de la « dialectique » ou du « paradoxe » macronien, selon qu’on s’inscrive dans le camp des soutiens ou des détracteurs de « Jupiter »: « Il est à la fois celui qui veut rompre avec tout un système politique et celui d’un retour à la tonalité monarchique de la Ve République », analyse l’historien. En imposant un certain faste, le président de la République s’inscrit à la fois dans un rapport de séduction et d’affirmation d’un rapport de force.
Un risque d’ambiguïté dans le couple franco-allemand
Des équilibres qui constituent pour la France les relations internationales, il en est un que le nouveau chef de l’Etat semble soucieux de modifier: celui du fameux « couple » franco-allemand. Contrairement à l’époque de la « troisième voie » du général de Gaulle – et conformément à la politique initiée par lui -, « la marge de manœuvre spécifique de la France est aujourd’hui amalgamée avec celle de l’Allemagne ».
Pourtant européen convaincu, Emmanuel Macron « risque de créer une ambiguïté » avec nos voisins allemands en donnant l’impression de jouer une partition trop autonome, et de se voir reprocher un manque de cohérence. Si Emmanuel Macron souhaite rééquilibrer l’alliance entre Berlin et Paris sans l’affaiblir, la multiplication des rencontres bilatérales « spectaculaires » pourrait apparaître à Angela Merkel comme une tentative de la court-circuiter. « D’autant plus qu’elle a été l’interlocutrice privilégiée de Barack Obama et Vladimir Poutine ces dix dernières années », rappelle Jean Garrigues.
Une diplomatie rattrapée par la réalité de la puissance
Face à ces deux mastodontes diplomatiques, le « panache » d’Emmanuel Macron ne masquera pas longtemps la réalité du rapport de force entre puissances. Pour l’heure, ses « coups » sont surtout efficaces à l’échelon politique français, et permettent à Emmanuel Macron d’asseoir son image de chef de l’Etat auprès des Français.
Même si la position de la France, en pointe des pays occidentaux dans la lutte contre Daesh, lui permet de faire valoir ses capacités militaires sans pareil dans l’Union européenne, cette composante de la puissance n’est plus aussi centrale dans le jeu diplomatique, à en croire Jean Garrigues: « Sur le hard power (la puissance militaire, NDLR) ce qui était jouable pour de Gaulle ne l’est plus pour Macron. » Le poids de la France dans le concert des nations dépend d’abord, aux yeux de nombreuses puissances étrangères, de son redressement économique.
Si les initiatives diplomatiques du Président sont pour l’heure bien reçues par les opinions publiques européennes, « il est trop tôt pour dire si cette notoriété grandissante sera suffisante pour faire bouger les lignes », insiste l’historien, par exemple sur les dossiers du climat ou de la Syrie.
« Méfions-nous de la griserie. Il faut garder la tête froide, car on va vite entrer dans le dur », prévient dans L’Opinion Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales.
Ne pas humilier les colosses
Surtout, l’attitude d’Emmanuel Macron est susceptible de braquer certains partenaires, comme le président des États-Unis après la sortie du « make our planet great again » de son homologue français. « Quelques jours plus tard, Trump a eu sa revanche », expliquait ainsi le Washington Post. « Il a proclamé, depuis le Rose Garden [de la Maison-Blanche]: ‘J’ai été élu pour représenter les citoyens de Pittsburgh, pas de Paris.’ » « Une approche moins arrogante aurait pu valoir le coup », avance l’hebdomadaire britannique NewStatesman.
« C’est bien de se faire respecter, mais il ne faut pas humilier les gens comme Trump ou Poutine. Lorsqu’on installe un rapport de forces, il faut se méfier, en retour, des coups de p… de leur part », confie un diplomate français.
Un expert du Quai d’Orsay renchérit: « Face à Trump, Merkel a mieux réagi que Macron. Dire, comme dans un western, qu’on n’a pas peur du gros costaud en face ne suffit pas. »