Trump a aidé Israël à pêcher, pas offert du poisson

Trump a aidé Israël à pêcher, pas offert du poisson

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Quels que puissent être les « revirements » électoraux que certains annoncent, après les dépôts de plainte de l’équipe Trump auprès du comité électoral, il est temps que chacun retrouve sa place et qu’on s’avoue avoir peu de pouvoir pour refaire l’Amérique à notre image. Le « trumpisme » a, en revanche, bien résisté et il aurait manqué (l’avenir le dira) quelques encâblures à peine pour un second mandat.

Va t-on se lamenter, se couvrir la tête de cendres, comme beaucoup de correspondants, victimes collatérales de la polarisation à outrance, persuadés d’un complot ourdi ? « Les experts » un peu sérieux savent que quelques personnages triés sur le volet comme Emily Murphy, Directrice des Services Généraux de l’Administration Américaine ou le Procureur Général William Barr, empêchent toute transition (ce qui s’est rarement, voire jamais produit) et donc ne facilitent en rien la vie courante de l’Américain moyen. C’est de « bonne guerre » et ne manquerait plus qu’un vote favorable à la Cour Suprême, dit-on. Mais là, c’est sans doute le « peuple américain » qui pourrait croire qu’on lui a « volé l’élection », et ainsi de suite. D’où des prophéties de guerre civile et est-ce vraiment ce sur quoi on veut déboucher? Les amis de l’Amérique s’en garderont bien.

Les grands patrons d’entreprises américaines ruent dans les brancards. On le sait par principe physique, et parce que les Etats-Unis reposent sur le libre-échange, la piste finira par être déblayée et rendue à la circulation des biens et des personnes. Ou il y aura (ou pas) le coup de théâtre annoncé. Et en attendant?

Au-delà des contingences (et les Américains sont maîtres de leur propre destin), le sujet qui nous occupe vraiment reste la place d’Israël dans le concert des Nations et les grands évolutions structurelles au Moyen-Orient, sur lesquelles les administrations extérieures essaieront de peser.

Sur la carte des rapports de force qui se dessinent, la dernière grande guerre à Gaza et la guerre contre l’Etat Islamique en Irak et en Syrie, ont tracé une ligne de partage entre Modérés et Radicaux au Moyen-Orient.

L’erreur historique d’Obama aura été de lâcher ses alliés sunnites pour vendre aux Iraniens un accord nucléaire à tout prix. Subodorant ce revirement, perçu à juste titre comme une trahison -surtout après le discours du Caire de 2009–, ces pays du Golfe, d’autre part très remontés contre les Frères Musulmans -proches de l’Administration Obama-, depuis le « schisme » des Printemps Arabes et les tentatives de coup d’Etat dans tout le monde arabo-musulman, se sont tournés vers l’homme fort de la région : Israël incarné par l’inflexibilité de Netanyahou face à l’occupant de la Maison Blanche.

L’Administration Trump a eu le courage, unique dans l’histoire des administrations américaines, d’allonger le pas et d’en tirer toutes les conséquences, sans pour autant déclencher de guerre : retrait du CPOA (accord avec l’Iran), prise en compte du refus palestinien de négocier et officialisation de l’Ambassade américaine à Jérusalem, malgré les protestations du Hamas à la frontière avec Gaza ; reconnaissance de la souveraineté israélienne sur le Golan, appui à tous les rapprochements entre le Golfe et Israël, qui augurent d’une coopération sécuritaire, économique et culturelle tous azimuts. Depuis 2010 et les Printemps Arabes, il était évident que la paix viendrait de l’environnement régional, des grands blocs, et non d’une résolution in extremis (et entre extrémistes du Fatah et du Hamas, en sécession depuis 2007) du conflit dit « palestino-israélien ».

Rappelons que le retrait de Trump concernant l’accord iranien s’est fait sur la foi des preuves ramenées de Téhéran par le Mossad en 2018. Autre grand acte décisif de coopération : l’élimination ciblée de Qassem Soleimani, sans doute une sorte de génie de l’expansionnisme chiite en Orient, qu’il s’avère extrêmement difficile pour Téhéran, de remplacer. Parallèlement donc, Israël continue de marquer des points et des coups dans la « guerre entre les guerres », qui évite un affrontement direct en Syrie ou au Sud-Liban.

En Syrie aussi, de valses hésitations se sont laissées libre cours, dans un soutien pas aussi clair qu’il n’y paraissait au départ, aux Kurdes, contre les pressions du lobby turc à Washington. Erdogan n’en a que plus pris ses aises, en mangeant à tous les râteliers du S-400 russe, tout en menaçant Poutine au Haut-Karabagh et en Libye. Pour Israël et les pays sunnites, un deuxième front, représenté par le Qatar, la Turquie et leurs petits frères Musulmans à travers le monde : Malaisie, Tunisie, Libye… etc.  a pris forme, au tournant des années 2010 et de l’implication de Doha et Ankara dans le parrainage du terrorisme global et de la prédication rampante en Occident.

La question américaine, une fois dissipés les nuages électoraux, dans moins de deux mois, consiste à savoir si le couple Biden-Harris va continuer d’accentuer les faux-pas de leur mentor Obama, avant 2016, ou consolider et profiter des « acquis » (qui ne le sont jamais totalement) de l’administration adverse qui le précède? Et quels sont les choix dont disposera la nouvelle administration, pour transformer un Moyen-Orient qui a pris de l’assurance et de la distance vis-à-vis de Washington?

Il est, en effet, plus difficile de revenir sur des refus secs de négocier, des fractures, qu’il s’agisse de l’Iran, à un moindre degré, des Palestiniens divisés, que de suivre le courant naturel de nouvelles alliances en voie de consolidation. On connaît les promesses de campagne des vainqueurs sur le papier : relancer les négociations, dans les deux cas.

Pour le moins, jusqu’à présent, Téhéran s’est montré tiède, pour ne pas dire indifférent à ces propositions qui sont conçus comme des aveux de faiblesse, persuadé de Biden viendra manger dans la main de l’Ayatollah. Pire, Biden, en se prétendant grand ami d’Israël -ce qu’il reste dans une large mesure, tant qu’il ne devient pas la marionnette d’un Obama opérant intelligemment en coulisse -, a émis un bémol sur les promesses trumpiennes de vente de F-35 aux Emirats Arabes Unis. Mais, en seconde lecture, on voit que c’est aussi un gage de non-agression vis-à-vis de l’Iran, autant ou plutôt qu’un réel « cadeau » à Jérusalem, qui entre peu à peu en confiance avec le Golfe, au sujet d’une stratégie commune.

En admettant que l’industrie militaire lui laisse toute latitude pour refuser autant de deals croustillants avec les pays du Golfe, la manœuvre apparaîtra à nouveau comme inamicale, pour les Emirats et leurs alliés. Israël n’appuyant pas forcément un veto formel, cette « hésitation » commencerait à apparaître réellement suspecte, dans des milieux qui apportent beaucoup de moyens d’influence en pétrodollars à Washington. Relancer des discussions avec un Iran réticent mettra des années. Conclure ou non des pourparlers commerciaux avec Abu Dhabi ne prend que le temps de la décision. Tant que dure la suspension de contrat, les Emirs peuvent se tourner vers Israël (voire la Russie, la Chine…) pour assurer leur approvisionnement en moyens militaires et de renseignements de suppléance.

L’Iran ne renoncera pas à l’accès à la bombe et s’en rapproche. Car ce serait passer sous la tutelle américaine et accepter un droit de veto à sa propre expansion. Un réel camouflet pour la « Révolution islamique ». Non plus qu’à son hégémonie sur le Liban et Gaza, par Hezbollah et Hamas interposés, ainsi qu’à son poids en Syrie et en Irak. C’est une question de survie pour son régime. Biden-Harris ne peuvent pas abandonner la proie pour l’ombre et lâcher leur manne pétrolière en Arabie Saoudite, pour un apaisement temporaire et illusoire de l’Iran. Le même schéma se reproduit concernant les Palestiniens divisés, globalement entre le pouvoir de Ramallah inféodé à la Jordanie et aux Arabes Sunnites et Gaza partagée entre les influences turco-qatarie et iranienne. Certes, il y aura les pressions de l’extrême-gauche pro-BDS et l’on sait Biden réticent quant à la question de la souveraineté israélienne sur les implantations.

Là aussi, il y a, à terme, un risque de fracture entre les milieux néanmoins pro-Israéliens et bipartisans au Congrès sur les grandes questions stratégiques de défense du bloc étatsunien-alliés, et les milieux issus des campus et des « minorités », de Black Lives Matter, qui n’auront plus l’épouvantail de Trump pour focaliser leur haine atrabilaire. Des courants importants du parti démocrate mettent en garde la base contre le jeu des slogans faciles comme « defund the police » et la réalité du pouvoir et du maintien de l’ordre auxquels aspire l’Américain de la rue. Le même schéma se reproduit en politique étrangère, avec des pays comme Israël et les Emirats, qui sont des gages de sécurité globale. A ce jeu, les extrémistes n’ont pas de marge de manœuvre importante, mais peuvent épisodiquement faire parler d’eux en espérant rameuter de nouveaux adeptes… Si Biden leur lâche trop de leste, c’est peut-être lui qui pourrait rapidement être contesté à son poste. D’autant que 71 millions d’Américains auront voté Trump et seront implacables à scruter toute faiblesse du nouveau pouvoir. Biden peut donc se sentir fragilisé au-delà de la ligne des partis et au sein même de son propre camp, ce qui peut requérir beaucoup d’énergie et tant de concessions, afin de maintenir un semblant de consensus. Un peu comme si Mélenchon-Obono intégrait LERM en France et qu’il fallait qu’ainsi vogue la Galère… Les Travaillistes britanniques ont renoncé à ce type de construction sur des sables mouvants, en se séparant de Corbyn et ce n’est certainement pas sans raison… : à terme, c’est s’interdire tout accès au pouvoir réel et se contenter d’assauts de postures (et d’impostures) idéologiques.

Israël doit continuer à voler de ses propres ailes et assurer lui-même sa propre sécurité en ménageant ses alliés, anciens et nouveaux, épaissir les digues de sa défense périphérique, bien au-delà de son territoire réel : il existe à présent des frontières stratégiques, en Azerbaïdjan (même si la question reste « disputée ») et au Kurdistan, dans les ports du Golfe persique, en Afrique, avec l’Egypte, le Soudan, l’Ethiopie, l’Erythrée, en Inde et ainsi de suite. Jérusalem doit savoir ce que seront les prochains enjeux d’un durcissement ou d’un assouplissement vis-à-vis de la Chine et ce qu’il en est de l’avenir de la Russie, alors que les rumeurs circulent à propos de la santé de Poutine, qui a aussi été un gage de stabilité régionale.

Le « programme » extérieur des Démocrates reste succinct, voire assez inexistant, sauf à relancer d’anciennes négociations n’ayant jamais abouties, avec le risque toujours latent de « lâcher la proie pour l’ombre » et d’être aussitôt menacé de prises d’influences par des « outsiders », ou voir de nouvelles alliances se renforcer. Sur le plan intérieur, leur victoire, si elle se confirme, repose d’abord sur le rejet formel d’un personnage exubérant, sans doute même pas sur les grandes lignes de son programme politico-économique, plutôt bon dans la période pré-Covid-19. La plupart des observateurs lui accordaient une possible réélection, si le virus n’avait absorbé toute l’attention et fait chavirer la croissance. Biden est un outsider faute de mieux, voire un vieil homme de 78 ans, quasi-Président honorifique, face à des enjeux de fond. On dit déjà que c’est Kamala qui dirigera, sans qu’on en sache beaucoup plus sur ses intentions réelles.

Trump avait, au moins de grands projets qui ont renforcé les contours stratégiques d’Israël et continueront d’avancer jusqu’à maturité: l’Alliance arabo-israélienne, la souveraineté -autant que possible- mais cette souveraineté se ressent surtout à travers la liberté de manœuvre et l’attraction que représente l’Etat hébreu comme phare dans les tempêtes potentielles et réelles du Moyen-Orient. L’assise territoriale réelle se discute peu, au-delà de positions symboliques ou de principe.

L’Amérique touche peut-être du doigt les limites de son influence réelle au Moyen-Orient et doit se contenter d’un rôle de parrainage d’acteurs qu’on n’agit pas à leurs dépends… La liberté naîtra du rejet des empires hégémoniques turc et perse.

Par Marc Brzustowski

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