ÉCLAIRAGE Israël aurait demandé à Moscou le retrait des armes de longue portée qui peuvent atteindre son territoire, mais la requête bute sur la difficulté à séparer l’ivraie iranienne du bon grain syrien.
L’offre a été mise sur la table réunissant lundi Benjamin Netanyahou et le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Mais si elle permettrait à Israël de ne pas être directement sur le palier de l’Iran et de ses obligés en Syrie, elle le maintiendrait dans leur viseur. L’État hébreu aurait donc exigé que les armes de longue portée pouvant survoler les 100 km soient purement et simplement retirées du territoire syrien, d’après le Haaretz. Un des principaux motifs d’angoisse pour l’establishment sécuritaire israélien sont les Fateh-110, des missiles sol-sol produits et améliorés ces dernières années par l’industrie militaire iranienne. La quatrième et dernière génération de missiles Fateh-110 possède une portée d’au moins 300 km. Hassan Nasrallah a déclaré en 2015 que des Fateh-110 avaient été livrés à sa milice dans son fief libanais, tandis que des sources israéliennes ont confié cette année à l’International Crisis Group craindre que le Hezbollah stationne le même type d’armement dans les reliefs de l’Ouest syrien.
Nouveau front
« Le Hezbollah a la capacité de cibler Israël depuis n’importe où dans l’ouest de la Syrie, et les Iraniens cherchent à pousser cette portée aussi loin que la ville de Palmyre », explique Nick Heras, analyste au Center for New American Security, joint par L’Orient-Le Jour. Une courte moitié du territoire syrien, délimitée par la latitude Homs-Palmyre, serait donc opérationnelle pour attaquer Israël. « Notre problème n’est pas l’Iran à la frontière. Notre problème est l’Iran en Syrie », a déclaré la semaine dernière au journal américain The Atlantic le député israélien et ancien ambassadeur à Washington Michael Oren. Que le Hezbollah puisse jouer la seconde manche de la guerre de 2006 depuis la Syrie peut partiellement inhiber la riposte israélienne. La communauté internationale ne contesterait probablement pas le droit de l’État hébreu à se défendre s’il répondait en Syrie à des attaques orchestrées à partir de ce pays. Michael Oren affirme cependant dans le même article qu’Israël « serait forcé » de frapper le Hezbollah chez lui, sur sa base électorale, pour que la riposte soit suffisamment dissuasive. « La bataille qui commence au Liban ne se termine pas au Liban. La bataille au Liban finit à La Haye. Et le but là-bas est l’érosion systématique de notre légitimité. De notre droit à nous défendre, et ultimement de notre droit à exister », ajoute M. Oren dans le même article. « Et je dois vous le dire, honnêtement, ils (le Hezbollah) gagnent cette guerre », conclut-il.
Distinction impossible
Quelle que soit l’étendue du rayon que Moscou s’engage à stériliser de tout armement menaçant pour Israël, reste le problème de la faisabilité des promesses russes. Tout comme il est devenu quasi impossible de distinguer les forces conventionnelles de l’armée syrienne des milices pro-iraniennes, qui ont partiellement noyauté les troupes de Bachar el-Assad, différencier l’armement hostile à Israël de l’armement à usage « domestique » est illusoire. Une arme est une arme, et elle peut changer de cible du jour au lendemain. « Une zone exclusive de 100 km où les Iraniens ne seront pas autorisés à entrer n’empêchera pas les Iraniens de transférer des armes au Hezbollah. Même si les Russes y mettent de la bonne volonté, les Iraniens peuvent simplement transférer le matériel aux renseignements syriens en dehors de la zone, et ensuite le régime les livrera au Hezbollah », remarque Nick Heras. Israël se heurte aussi à ses propres contradictions : il s’est fait une raison quant au retour du régime dans l’intégralité du Sud-Ouest syrien, mais reste intransigeant quant à toute forme de présence iranienne en Syrie. Mais séparer le problème Assad du dossier iranien semble impossible, au moins à court terme. « Il y a d’innombrables brèches dans le bouclier que les Israéliens espèrent voir les Russes élever entre eux et l’Iran. Téhéran s’engouffre dans, et élargit à chaque fois, ces brèches », poursuit l’analyste.
Tout ou rien
Pour Israël, il n’y a donc pas de bonne solution intermédiaire à la présence iranienne en Syrie. La ligne maximaliste rebattue par Tel-Aviv – aucune place pour aucune présence iranienne dans aucune partie de la Syrie – est impossible dans la pratique pour le moment, mais cohérente en théorie. Imaginer des parcelles vides de toute présence iranienne sur le territoire syrien ne fait que déplacer le problème ailleurs, et Moscou ne semble même pas capable d’exécuter cette solution imparfaite. « Les Russes proposent un retrait progressif des forces encadrées par Téhéran, mais pas avant une opération potentielle à Idleb. Moscou explique qu’Assad n’a pas la capacité de maîtriser seul el-Qaëda puis de stabiliser cette région. Les Russes disent qu’ils ont besoin de temps pour regagner les zones tenues par des groupes terroristes, pour ensuite restructurer l’armée syrienne sans les milices pro-iraniennes, ce qui est une demande majeure des Israéliens, explique M. Heras. C’est tout ce que le Kremlin peut offrir à Israël. » Étant le seul acteur du conflit syrien à dialoguer avec toutes les puissances parties prenantes au conflit, Moscou est presque par défaut le réceptacle des angoisses stratégiques de Tel-Aviv. Mais le partage des tâches au sein de la coalition pro-Assad réserve le sol aux forces pro-iraniennes et le ciel aux Russes, dont les mercenaires ont appuyé, à la marge, les opérations terrestres lorsque nécessaire. Difficile pour celui qui survole le sol de dicter son agenda à celui qui l’occupe.
Source www.lorientlejour.com