La traduction partielle et sélective d’un clip de campagne en déforme le message, qui devient « Israël = fasciste » alors que la candidate Ayelet Shaked voulait justement tourner en dérision ses adversaires qui la traitent ainsi.
L’une des missions que se donne l’émission Quotidien animée par Yann Barthès est de « décrypter toutes les images qui inondent l’époque ».
Le 9 avril, journée électorale en Israël, le chroniqueur Julien Bellver s’est intéressé dans sa rubrique 20H MEDIAS à ce qu’il a décrit comme la « fin d’une campagne super-trash à coups de clips de propagande racoleurs » (à regarder à partir de 22:30).
A l’appui de cette description, Julien Bellever a choisi un extrait du clip d’Oren Hazan, habitué des provocations, qui dégommait un adversaire politique arabe israélien accusé d’être déloyal dans une parodie du film Le bon, la brute et le truand. Il a aussi sélectionné une séquence où le futur adversaire malheureux de Benjamin Nétanyahou, Benny Gantz, se vantait d’avoir maintenu le calme en tuant des terroristes de Gaza lorsqu’il était chef d’Etat-Major. Bien entendu, c’est un parti pris car il y a aussi eu des éléments plus consensuels dans la campagne.
Mais c’est le premier clip montré, celui de la ministre de la Justice sortante, Ayelet Shaked (à voir en entier ici), qui a retenu notre attention. Julien Bellver la présente d’emblée comme « la candidate d’extrême droite » – sans même dire son nom ! C’est un raccourci bien commode pour la suite de la démonstration. La ministre, effectivement très à droite, n’a pas grand chose à voir avec l’extrême droite telle qu’elle existe en France (l’extrême droite a par ailleurs récolté aux dernières présidentielles françaises bien plus de voix que tous les candidats pouvant s’apparenter à de l’extrême droite en Israël, qui sont bien peu nombreux selon les résultats définitifs).
Chez InfoEquitable, nous avons le souci de faciliter la tâche à nos lecteurs. Aussi avons-nous rajouté la traduction de l’hébreu sous chaque image. Mais la rédaction de Quotidien, elle, a diffusé ces extraits du clip sans traduction.
Tout cela, Quotidien ne l’a donc pas traduit. En revanche, la fin du clip a été traduite en grosses lettres (il y avait donc quelqu’un à la rédaction qui pouvait comprendre suffisamment l’hébreu pour savoir de quoi parlait le clip !) :
Elle n’a pas hésité à parodier une pub de parfum où elle se vaporise d’un flacon qui porte le nom « fascisme ».
La séquence fait son petit effet : on entend Yann Barthès lâcher un « Ah oui… »
Dérision
Ce que notre décrypteur n’a pas dit, c’est qu’Ayelet Shaked avait fait de la diminution de l’influence de la Cour suprême son cheval de bataille en tant que ministre de la Justice – les juges ayant à son avis accumulé trop de pouvoir par rapport aux instances politiques.
Les messages non traduits sont en rapport avec cette vision.
Le clip d’Ayelet Shaked se voulait être une manière de tourner en dérision ses adversaires, qui la traitent de « fasciste » : non pas une revendication du terme pour elle-même, mais tout le contraire !
On peut adhérer ou non aux idées d’Ayelet Shaked. Son message n’est apparemment pas très bien passé puisque son parti (la Nouvelle Droite) a manqué de peu le quorum pour que ses représentants soient élus. La ministre va perdre son portefeuille et son poste de député.
Cependant, la candidate n’était pas la cible réelle du reportage. Ni son nom, ni celui de son parti n’ont même été prononcés ! C’est, à travers ce regard déformé sur sa campagne, tout un pays que Quotidien diabolise par une simple association de mots-clés cités hors contexte. Le message : #Israël, pays où une #extrême droite décomplexée revendiquerait fièrement le #fascisme…
Un journaliste ne peut pas se permettre de supprimer le contexte et de pratiquer une traduction sélective qui déforme complètement le sujet couvert. Qui plus est dans une émission prétendant offrir des décryptages…