Tombes juives profanées : pourquoi y a-t-il autant d’actes antisémites dans le Bas-Rhin ?

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Des croix gammées ont été découvertes mardi sur 107 tombes du cimetière juif de Westhoffen. C’est la troisième fois en un an qu’un acte d’une grande ampleur se produit dans ce département alsacien, qui a connu en 2019 une hausse des faits antisémites.

107 tombes juives profanées mardi soir à Westhoffen, 96 le 19 février dernier à Quatzenheim, 37 le 11 décembre 2018 à Herrlisheim … Sans compter la découverte régulière de tags haineux, par exemple mi-avril sur les murs de la mairie de Dieffenthal.

Le Bas-Rhin a de nouveau été, cette année, le théâtre d’un grand nombre d’actes antisémites, qui sont d’ailleurs en forte hausse. Contactée par le Parisien, la préfecture du département indique en avoir recensé cette année 33, contre 14 en 2018, 16 en 2017, 9 en 2016, et 10 en 2015.

À l’échelle de la région alsacienne, ce sont 52 événements antisémites qui ont ainsi été recensés depuis le 1er janvier 2019, selon le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, qui était ce mercredi matin en visite à Westhoffen.

« C’est presque devenu du quotidien. Chaque semaine, je suis alerté d’un nouveau tag ou acte antisémite, c’est terrible », se désole auprès du Parisien Harold Abraham Weill, le Grand-rabbin du Bas-Rhin.

Environ cinquante cimetières juifs dans le Bas-Rhin

Ces incidents très localisés dans le Bas-Rhin s’inscrivent dans un contexte plus large de hausse des actes antisémites en France. 514 incidents ont été recensés en 2018, contre 311 en 2017, selon des chiffres du ministère de l’Intérieur publiés en février dernier. Mais la situation est particulièrement critique dans le Bas-Rhin, avec notamment ces profanations répétées et massives de tombes.

Cela s’explique d’abord par la sociologie du département. Le Bas-Rhin a comme particularité de comporter une importante communauté juive. Les cimetières juifs, au nombre d’une cinquantaine, y sont beaucoup plus nombreux que dans les autres départements français. Ailleurs, on trouve le plus souvent de simples carrés juifs dans des cimetières communaux multi-religieux. « Il y a dans le Bas-Rhin un véritable vivre-ensemble entre communautés, c’est symboliquement beaucoup plus fort de s’attaquer à un endroit où la cohabitation est sereine », remarque Harold Abraham Weill.

En outre, « le nationalisme tel qu’on le voit monter en Europe depuis quelques décennies est particulièrement fort dans cette région », souligne Carole Reynaud-Paligot, historienne à l’université de Bourgogne et spécialiste de l’antisémitisme et du racisme. En 2017, Marine Le Pen était ainsi arrivée en tête au premier tour de la présidentielle dans les deux départements alsaciens. « Il y a chez nous un courant d’extrême droite très bien organisé, même s’il reste minoritaire », renchérit le Grand-rabbin du Bas-Rhin. Le département « paie » notamment le fait d’être frontalier de l’Allemagne, où certains groupuscules d’extrême droite sont très implantés.

Climat social tendu

Prudence cependant, car aucun auteur des profanations commises mardi, le 19 février ou le 11 décembre 2018, n’a été interpellé ni même identifié, nous indique le parquet de Strasbourg. « Le fait de dessiner une croix gammée de façon sommaire sur une tombe ne fait pas forcément de vous un néonazi radical », nuance d’ailleurs le politologue Jean-Yves Camus.

Le spécialiste de l’extrême droite souligne également que « nous ne sommes pas dans un moment de tension particulière du conflit israélo-palestinien au Proche-Orient, alors que c’est généralement dans ces cas-là qu’il y a des pics d’antisémitisme ». En revanche, poursuit le chercheur, « l’antisémitisme augmente malheureusement aussi en période de crise sociale et de crispations identitaires ».

Et, depuis un an, avec la naissance du mouvement des Gilets jaunes, le climat social est très tendu en France. Pas un samedi ne passe sans cortèges militants dans les rues, plus ou moins garnis mais parfois émaillés de scènes de violences et de casse. On a aussi vu des manifestants scander ouvertement des slogans antisémites, qui ont notamment visé Alain Finkielkraut le 16 février dernier.

Une manifestation contre l’antisémitisme, organisée à l’appel d’associations et de partis politiques, avait rassemblé plusieurs milliers de personnes à Paris, trois jours plus tard, le 19 février. « C’est un grand classique de dire qu’il faut trouver des boucs émissaires quand un climat social est tendu. Et c’est souvent le Juif qui paie », se désole Harold Abraham Weill.

« Une société beaucoup plus tolérante globalement »

Comment éviter que de tels actes se renouvellent ? Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a annoncé ce mercredi matin la création d’un « office national de lutte contre la haine ». Parmi les pistes à explorer, le grand rabbin du Bas-Rhin cite notamment la vidéosurveillance dans les cimetières juifs, inexistante pour le moment à sa connaissance.

Carole Reynaud-Paligot appelle de son côté à « garder en tête les études de fond, qui montrent une baisse de l’antisémitisme en France ». Et la chercheuse de conclure : « On peut très bien concevoir une société beaucoup plus tolérante globalement, même si cela ne concerne pas une partie de la population qui vote pour les partis nationalistes ni une France extrême encore plus minoritaire. »

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