« Le vol de la tapisserie de Bayeux, l’incroyable projet des nazis » relate les études commandées par Heinrich Himmler, chef de la SS, pour servir l’idéologie du IIIe Reich.
Journaliste et écrivain, collaborateur de plusieurs revues d’Histoire (Moyen Âge, 39-45 Magazine, Normandie 44 Magazine), Jean-Charles Stasi est l’auteur de 25 livres, dont une dizaine consacrée à la Seconde Guerre mondiale. Originaire de la région d’Angers, il vit à Bayeux (Calvados) depuis 2013. C’est à son arrivée dans la cité médiévale qu’il s’intéresse à une œuvre sans égal : la tapisserie de Bayeux. Cette broderie du XIe siècle qui relate la conquête de l’Angleterre par le duc de Normandie, Guillaume le Conquérant.
« Une histoire extraordinaire »
Juin 1944. Heinrich Himmler, chef de la SS, ordonne le transfert de la tapisserie de Bayeux à Paris. L’insurrection de la capitale, en août 1944, sauve ce chef-d’œuvre d’un départ pour l’Allemagne. Le dessein des Nazis n’est autre que celui d’étudier de façon scientifique la tapisserie afin d’y trouver des preuves de la supériorité de la « race nordique », les Nazis se considérant comme les descendants des Vikings. C’est cet épisode de l’histoire de la broderie qui a occupé Jean-Charles Stasi durant deux ans, pour aboutir au livre Le vol de la tapisserie de Bayeux, l’incroyable projet des Nazis, paru jeudi 18 octobre 2018 aux éditions Tallandier. Il explique l’origine de ce projet :
L’idée du livre « Le vol de la tapisserie de Bayeux », m’est venue en lisant la contribution de Sylvette Lemagnen au colloque de 2004 sur la tapisserie de Bayeux.
Passionné d’histoire depuis l’enfance, Jean-Charles Stasi se régale depuis son arrivée dans la cité médiévale en 2013. « Dès mon arrivée ici, j’ai acheté ce bouquin auquel a collaboré Sylvette Lemagnen et j’ai lu cet épisode de l’intérêt des nazis pour la tapisserie ».
L’auteur, qui pige pour plusieurs revues historiques, pense d’abord à en faire un papier. Journaliste depuis 1985, son truc, c’est de creuser. « J’ai longtemps été fait diversier, j’ai suivi les affaires de justice. Je me suis rendu à la médiathèque de Bayeux, j’ai lu tout ce que je pouvais lire sur le sujet ». Ses conclusions sur le sujet sont formelles : « C’est une histoire extraordinaire ».
« J’ai creusé cette histoire au propre comme au figuré »
Jean-Charles Stasi débute alors des recherches plus poussées sur ce sujet qui touche à l’histoire contemporaine de la tapisserie et dont on parle peu. « Quand je dis creuser, c’est au propre comme au figuré, comme lorsque j’ai eu accès à l’abri bétonné sous l’hôtel du Doyen (la tapisserie y était présentée avant son installation en 1983 dans l’actuel musée, ndlr). J’allais vraiment de découverte en découverte. La municipalité de Bayeux, qui comme tant d’autres a connu la Grande Guerre, a senti la nouvelle guerre arriver dès 1938. Et a pensé à protéger son bien le plus précieux qui est la Tapisserie ».
Le maire de l’époque, Elie Dodeman, fait réaliser cet abri spécialement pour la broderie pour la sécuriser en cas de bombardement. « Dans la foulée, la municipalité fait réaliser des grandes bobines pour l’enrouler afin de la stocker dans cet abri. À l’époque, on ne prenait pas autant de précautions pour déplacer cette œuvre majeure de l’art occidental ! »
« Un sujet transversal »
Un journaliste cherche forcément à traiter des sujets inédits, ou cherche à les évoquer de manière différente. « Ce sujet est un sujet transversal : c’est l’histoire de la tapisserie, c’est la Seconde Guerre mondiale, c’est l’occupation, le régime nazi, l’emprise des nazis sur les archéologues, c’est cette recherche idéologique effrénée et complètement délirante de la fondation Das Ahnenerb, dont les archéologues ont été envoyés par Himmler au Tibet, en Iran, à Madagascar, en Islande… Pour aller chercher un peu partout des traces de la supériorité des nazis ». Parti d’un personnage principal – la t apisserie de Bayeux – Jean-Charles Stasi va imposer au deuxième rang Herbert Jankuhn, l’archéologue qui a étudié la broderie à Bayeux.
« Himmler n’a pas envoyé à Bayeux un scientifique lambda »
« Himmler, que je me permets de qualifier de plus fou d’entre les fous, a fondé Das Ahnenerb (l’héritage des ancêtres), un institut qui a envoyé des scientifiques un peu partout dans le monde dès 1935 ». Un sujet montré par le film 7 ans au Tibet, avec Brad Pitt. « Les nazis ont lancé ces études pour trouver des traces de l’origine des Aryens. Le directeur de l’Ahnenerb a été pendu en 1948 à l’issue du procès de Nuremberg, notamment à cause des expériences menées dans les camps de la mort. Parce c’est ça aussi, Das Ahnenerb ».
La mission d’étude de la tapisserie de Bayeux émane de cet institut. « Himmler n’a pas envoyé à Bayeux un scientifique lambda : il a envoyé le plus brillant d’entre eux, Herbert Jankuhn, la trentaine, archéologue aventurier ». Un personnage qui n’aurait pas inspiré que Jean-Charles Stasi. « Il se dit que Spielberg s’est inspiré de lui pour créer le personnage d’archéologue nazi dans le premier Indiana Jones. Il y a des photos où on le voit à l’étranger avec son chapeau à large bord, son manteau de cuir… ». L’archéologue, qui arrive à Bayeux le 8 juin 1941, s’est entouré des meilleurs spécialistes pour livrer une étude des plus pointues de la tapisserie. « Les nazis ont ce culte de la supériorité. Ils vont chercher les meilleurs médecins pour faire leurs horreurs dans les camps ». Dans le cas de la tapisserie, ils ont fait appel à Karl Schlabow, le plus grand spécialiste de la broderie médiévale en Allemagne dans les années 1930. « C’est pour cela qu’il ne faut rien caricaturer. Ces hommes étaient au service d’une idéologie monstrueuse mais, en revanche, d’un strict point de vue scientifique, leurs analyses étaient celles de pointures. Il y a d’ailleurs eu des polémiques à ce sujet car certains auteurs se sont déconnectés du contexte idéologique ».
« Intéresser le grand public »
Auteur d’une vingtaine de livres, dont une poignée de polars, Jean-Charles Stasi sait que l’Histoire lui offre quelque chose. « Je voulais intéresser le grand public. Il fallait que je construise ce livre comme un thriller. Mais un thriller dans lequel tout est vrai. J’ai pu le faire avec ce personnage qu’est Herbert Jankuhn ». Jean-Charles Stasi a pu s’imprégner de la vie de cet archéologue dont la correspondance est disponible dans le fonds médiathèque et tapisserie à Bayeux.
Il a tenu son journal tous les jours durant sa mission à Bayeux qui a duré deux mois. J’ai eu accès à tout cela, comme au journal de René Falue, conservateur de la tapisserie qui a assisté à toutes les séances de travail des Allemands. Je me suis entouré de cinq traducteurs pour réaliser le livre à partir d’archives allemandes. Françaises aussi. Quand on lit des carnets comme celui de Jankuhn, c’est très fort en émotions.
Une œuvre au destin mouvementé
Au cours de son histoire, la tapisserie a connu maintes péripéties. Si elle est aujourd’hui bien à l’abri derrière son sarcophage de verre, la broderie en a vu de toutes les couleurs par le passé. D’abord étudié à Bayeux pendant l’occupation, le chef-d’œuvre de l’art médiéval n’est resté en France que sur un coup du sort. « Quand on dit que ça s’est joué à rien, c’est le cas. On est fin août 1944. Deux mois plus tôt, Himmler ordonne l’enlèvement de la tapisserie du château de Sourches (Sarthe) pour la transférer au Louvre. Dans la perspective de son envoi à Berlin. Mais l’insurrection de Paris éclate, les habitants prennent leur destin en main ». Et modifient celui de la tapisserie.
Le 21 août 1944, en pleine insurrection, deux officiers SS demandent à voir Van Choltitz, le gouverneur militaire de Paris. Ils viennent prendre la broderie sur l’ordre d’Himmler. Van Choltitz leur propose, avec un sourire ironique, d’aller se servir.
Pour s’emparer de la tapisserie, les deux officiers devraient alors faire face aux insurgés. « Finalement, les officiers repartent les mains vides. Sans l’insurrection de Paris, la tapisserie partait à Berlin ». La tapisserie de Bayeux a donc failli disparaître, une fois de plus. « Comme quand les révolutionnaires ont voulu en faire une bâche pour un chariot ».
Le Vol de la Tapisserie de Bayeux, l’incroyable projet des Nazis, publié le 18 octobre 2018 aux éditions Tallandier. 20,50 €. 256 pages.