Sarajevo : les Juifs qui formaient 15 à 20 % de la population avant la Seconde Guerre mondiale sont dorénavant 700 à 800
Membre influent de la communauté juive de Sarajevo, Eli Tauber attend inquiet en ce vendredi soir l’arrivée des fidèles dans la synagogue : il faut dix hommes pour commencer la prière de début de Chabbat [mynian – le quorum de dix personnes nécessaire à la récitation de certains passages de la prière et à la lecture de la Tora].
Au soulagement de cet historien, ils seront onze, souvent âgés (et une femme), pour suivre l’office assuré par Igor Kozemjakin, représentant de la communauté au Conseil oecuménique de Bosnie : le rabbin de Sarajevo vit en Israël d’où il ne vient que pour Pessa’h et le Nouvel An.
Malgré les guerres et la Shoah, ils sont toujours là, dans cette ville dont ils ont bâti l’identité multiculturelle avec les Bosniaques musulmans, les Serbes orthodoxes et les Croates catholiques.
Récit de l’histoire des Hébreux lu à Pessa’h, c’est aussi leur destin que narre le vieux cuir de leur célèbre Haggada du 14e siècle : cet ouvrage inestimable est exposé depuis fin février deux fois par semaine au Musée national.
Les flammes de l’Inquisition
Expulsés d’Espagne en 1492, ces Séfarades avaient trouvé refuge à Sarajevo, sous tutelle ottomane.
Les signes les plus immédiats de cette présence séculaire sont les vieilles stèles du cimetière juif de Borak, que l’écrivain yougoslave Ivo Andric décrivait comme les « lions » veillant sur Sarajevo.
La Haggada en est un autre, plus discret. Rédigée vraisemblablement près de Barcelone, elle serait arrivée en Bosnie au 17e, échappant à l’Inquisition. En difficulté financière, une famille juive la vend à la fin du 19e au Musée national.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, la ville est soumise à la terreur des Oustachis pro-nazis, rejoints par de nombreux musulmans de Bosnie. Un officier allemand se présente au musée, raconte l’historien Enver Imamovic, 77 ans : « Son directeur, Jozo Petrovic, homme habile, lui répond qu’un autre officier l’a emportée la veille ».
L’ouvrage est caché sous le seuil d’une cabane de montagne, où il passe la guerre. Quant aux Juifs, ils sont regroupés dans les synagogues « avant d’être transportés vers les camps », raconte Zanka Dodig, conservatrice du Musée juif.
Les quelque 12 000 noms de ceux qui ne sont jamais revenus s’alignent dans un livre suspendu au plafond de ce bâtiment installé dans le « Grand Temple », première synagogue de Sarajevo, construite en 1581 à quelques pas de la mosquée du Bey.
En 1954, un employé endetté vole la Haggada, mettant en émoi la Yougoslavie titiste. Elle est « retrouvée à la frontière avec l’Italie », dit Enver Imamovic. C’est lui qui en juin 1992, sous les bombes serbes, met la Hagadda à l’abri dans un coffre de la banque nationale.
La paix revenue, la Haggada n’est exposée que pour les grandes occasions. Mais désormais, une vitrine sécurisée et climatisée financée par la France, permet de l’offrir aux regards.
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