«Contre l’antisémitisme, nos gouvernants doivent sortir des formules creuses de compassion et agir enfin»
Par Michael Sadoun
FIGAROVOX/TRIBUNE – Au-delà du conflit au Proche-Orient, la montée de l’antisémitisme s’explique par la lâcheté d’une partie de la classe politique, estime le chroniqueur Michaël Sadoun.
L’incendie d’une synagogue à la Grande-Motte s’inscrit dans la longue série d’actes antisémites qui explosent depuis le 7 octobre : ils ont été multipliés par quatre entre 2022 et 2023 (passant de 436 à 1676), et on observe sur le premier semestre 2024 une augmentation de plus de 200% par rapport à l’an dernier, si bien qu’aujourd’hui les deux tiers des actes antireligieux sont des actes antisémites, visant une communauté qui représente moins de 1% de la population française.
D’où provient cette augmentation soudaine ? Comment un conflit si éloigné des intérêts et préoccupations de la France a-t-il pu s’inviter au cœur de la politique française, devenant même l’un des sujets centraux de nos dernières élections ? On sait depuis au moins l’ouvrage dirigé par Georges Bensoussan, Les territoires perdus de la République (2002), confirmé par les rapports Stasi et Obin, qu’un antisémitisme culturel venu notamment du monde arabo-musulman est répandu sur le territoire (95 départements sur 101 sont touchés par la violence antisémite en 2023). Il s’est reconstitué ici à la faveur d’une immigration non maîtrisée, charriant avec elle les codes d’une société dans laquelle les Juifs ont parfois été traités en citoyens de seconde zone.
Ces inclinations culturelles se mêlent depuis une quarantaine d’années à une cause politique : celle de l’accusation systématique d’Israël, dont l’existence depuis 1948 est perçue comme une injustice ou un facteur de désordre et de violence dans la région.
Antisionisme et antisémitisme communiquent ainsi fluidement : bien sûr, certains attaquent Israël parce qu’ils visent en réalité les Juifs. Mais l’inverse est aussi vrai : il arrive maintenant qu’on attaque les Juifs parce qu’on veut viser Israël. Cela n’a rien de si neuf : l’attentat de la rue Copernic en 1980 comme celui de la rue des Rosiers en 1982 ont été commis dans le contexte des guerres israélo-arabes, avec comme trame de fond la haine d’Israël.
Sans cette mesure nécessaire, la gauche continuera à créer le pire climat d’antisémitisme depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Michaël Sadoun
On comprend dès lors la nocivité du discours – tenu par la gauche politico-médiatique – faisant d’Israël un État «génocidaire», en dépit de la rigueur théorique la plus élémentaire et même du droit international le plus biaisé. Par ce discours, les Juifs de France qui se sentent, dans leur grande majorité, attachés à l’existence et à la subsistance de cet État, ne serait-ce que comme patrie de dernier recours, deviendraient tous sympathisants d’un massacre. Comment ignorer l’impact de cette rhétorique, qui rejette dans l’inhumanité tous les soutiens actuels de l’État juif et éveille naturellement des haines criminelles ? Cet impact est d’autant plus évident que les agresseurs de Juifs cachent rarement leurs motifs : l’incendiaire de la Grande-Motte portait par exemple sur lui un keffieh et un drapeau palestinien.
L’importation des conflits du Proche-Orient a déchaîné en France une violence qui s’exprime toujours du même côté, et que la gauche ignore royalement, continuant d’asséner à l’envie des slogans sans mesure avant de dénoncer avec hypocrisie les violences qui en découlent. Après avoir minimisé l’antisémitisme – «résiduel» selon lui –, Jean-Luc Mélenchon a par exemple réalisé l’exploit de parler de la Grande-Motte sans même faire référence à l’antisémitisme. Son silence est un aveu : il sait qu’il est le catalyseur d’une haine qui lui échappe et qui porte en bandoulière les symboles politiques que son camp a mis en valeur.
Il ne s’agit pas ici d’interdire la critique d’Israël, ou d’éluder la question palestinienne qui reste entière, mais de comprendre que dans la disposition actuelle des choses, elles doivent s’exprimer dans des termes choisis, sous peine d’engendrer des violences. Sans cette mesure nécessaire, la gauche continuera à créer le pire climat d’antisémitisme depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Il serait néanmoins trop simple de la rendre exclusivement responsable de la situation. Le développement du nouvel antisémitisme (qui ne supprime pas l’ancien mais s’y conjugue) est lié à des causes très concrètes : une politique migratoire non maîtrisée ; une litanie de discours sur les discriminations donnant le sentiment que la France privilégiait certaines minorités au détriment d’autres ; une compétition victimaire entretenue par des intellectuels et des associations qui en ont fait un fonds de commerce. Autant d’éléments qui ont constitué il y a quinze ans l’antisémitisme de Dieudonné, qui a infusé comme un mauvais poison dans de nombreux quartiers, chez une certaine jeunesse dépolitisée.
L’immigration n’a jamais été aussi forte, et encore plusieurs associations proches de l’Islam politique ne sont toujours pas dissoutes. Michaël Sadoun
Cerise sur le gâteau, l’extrême droitisation de toute figure dénonçant la montée de ce nouvel antisémitisme : pour rappel, Georges Bensoussan avait subi les poursuites de la Licra, du MRAP et de SOS racisme après la publication des Territoires perdus de la République en 2002.
Politiquement, on peut aussi dénoncer les manquements d’une macronie passive face à cette situation. Outre les mesures de protection parfaitement mises en place par Gérald Darmanin – saluons-le pour cela –, elle s’est contentée de discours lénifiants sans aucun effet. L’immigration n’a jamais été aussi forte, et encore plusieurs associations proches de l’Islam politique ne sont toujours pas dissoutes. Les dysfonctionnements et lenteurs de la justice s’ajoutent à la pile, comme l’a récemment montré le renvoi à janvier 2025 du procès de l’homme qui a proféré des insultes antisémites dans le métro parisien le 16 août dernier.
La parole politique de cette majorité s’est aussi révélée faible et incohérente à plus d’une reprise : après avoir dénoncé des mois les dangereuses outrances de la France insoumise, Gabriel Attal a finalement pactisé avec elle lors des législatives, aidant des députés comme David Guiraud et Louis Boyard à se faire réélire. Emmanuel Macron ne s’est pas présenté à la marche contre l’antisémitisme, de peur d’embraser les banlieues, compensant ce manquement en allumant les bougies de Hanouka à l’Élysée, une séquence qui a remis du carburant dans la machine complotiste et antisémite pour encore des années. Les médias publics continuent quant à eux de relayer inlassablement les chiffres du Hamas et de multiplier les fausses informations, dans l’indifférence du président ou de la ministre de la
Culture. La liste est donc longue des mesures qui ne sont pas prises pour endiguer l’antisémitisme, et qui permettraient plus généralement de rétablir la sécurité et la justice pour tout citoyen français.
L’attentat de la Grande-Motte est largement tributaire du contexte de reprise des tensions au Proche-Orient, mais il faut comprendre la flambée des actes antisémites à la lueur d’un contexte bien plus général, fabriqué par une longue suite d’inexactitudes et de lâchetés quotidiennes. Cela n’a rien d’irréversible : il suffirait que nos gouvernants prennent la mesure du problème et sortent des formules creuses de compassion pour enfin agir.
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