Peu affecté sur le plan interne, le prince héritier a su jouer sur les différences au sein de la communauté internationale pour redorer son image.
Après les purges du Ritz-Carlton, la séquestration présumée du Premier ministre libanais Saad Hariri et les arrestations arbitraires d’activistes, l’assassinat du journaliste dissident Jamal Khashoggi en octobre dernier semblait être le coup de trop pour Mohammad ben Salmane (dit MBS). Surpris par le retentissement mondial de l’affaire, le prince héritier saoudien ne semblait alors pas pouvoir en sortir indemne dans les mois suivants – tant sur la scène interne qu’internationale. Les rumeurs s’enchaînent à son sujet. Les uns affirment que son père, le roi Salman, s’apprête à lui retirer son titre de prince héritier. Pour d’autres, le frère de MBS, le prince Khaled, va être nommé vice-prince héritier après avoir été rappelé en catastrophe à Riyad de son poste d’ambassadeur de l’Arabie saoudite à Washington. Une troisième catégorie d’observateurs estiment que le fils préféré du roi est intouchable, du moins tant que son père est vivant.
Le temps va donner apparemment raison à ces derniers : six mois plus tard, le dirigeant de facto du royaume wahhabite est pleinement de retour sur une scène politique qu’il n’a jamais vraiment quittée. « La réhabilitation de MBS a été inégale, mais significative », observe pour L’Orient-Le Jour Kristin Diwan, chercheuse à l’Arab Gulf States Institute à Washington.
En interne, les répercussions ont été moindres alors que « la famille dirigeante a serré les rangs pour le défendre », indique-t-elle. La presse est muselée, l’affaire Khashoggi presque passée sous silence tandis que l’accent est mis sur les réformes instaurées par le prince héritier saoudien pour s’assurer surtout le soutien des jeunes générations. « L’indignation nationaliste a été déployée contre toutes les critiques à l’intérieur du pays ou à l’étranger. Comme l’a clairement déclaré (le ministre des affaires étrangères) Adel al-Jubeir : “Nos dirigeants sont une ligne rouge”», poursuit-elle. Une stratégie qui s’est révélée efficace : si un remaniement a eu lieu au sein de l’establishment saoudien, MBS a, lui, consolidé son assise tout en conservant la bénédiction du roi Salmane.
Le soutien de Trump
L’opération de communication, réussie en interne, s’est toutefois avérée plus délicate sur le plan international alors que son image de jeune dauphin modernisateur a subi un coup sévère. Le soutien de Donald Trump a toutefois permis au prince héritier d’éviter relativement le contrecoup provoqué par l’affaire Khashoggi. Dès novembre, le locataire de la Maison-Blanche n’a pas hésité à faire fi des conclusions de l’agence centrale de renseignement américaine (CIA) selon qui MBS est responsable dans l’assassinat du journaliste saoudien. Le président américain envoie un message clair : son administration ne s’apprête pas à lâcher le prince héritier saoudien et les pétrodollars du royaume. Une relation donnant-donnant qui fait le jeu des deux alliés qui cherchent à contrecarrer un ennemi commun dans la région : l’Iran. Les deux dirigeants se sont notamment entretenus au téléphone la semaine dernière pour discuter des moyens pour « maintenir un maximum de pressions » contre Téhéran, occultant complètement l’affaire Khashoggi alors que le procès contre les tueurs présumés du journaliste s’est ouvert en janvier et est toujours en cours en Arabie saoudite.
MBS fait toutefois face à la pression du Congrès américain alors qu’un basculement a eu lieu du côté de nombreux politiques américains « en partie révoltés par le meurtre de Jamal Khashoggi, un homme connu par de nombreuses personnes à Washington, ce qui a donné un aspect personnel à son assassinat », souligne à L’OLJ Kristian Ulrichsen, chercheur sur le Moyen-Orient à l’Institut Baker pour les politiques publiques à l’Université Rice. Un élément combiné à la montée de « l’opposition à la guerre menée par les Saoudiens au Yémen et qui a été associée à MBS dès le début de celle-ci en 2015 », indique-t-il. Riyad est pointé du doigt par les organisations internationales pour des violations des droits de l’homme dans le cadre de la coalition qu’il mène avec les Émirats arabes unis au Yémen pour venir appuyer les forces loyalistes du président yéménite, Abd Rabbo Mansour Hadi, face aux houthis, soutenus par l’Iran. Malgré la position du président Trump, le Sénat américain a voté en décembre une résolution tenant MBS comme « responsable du meurtre » du journaliste saoudien. Cherchant à accentuer la pression sur Riyad, le Congrès américain a également voté une résolution au début du mois « exigeant du président de retirer les forces armées américaines des hostilités dans, ou affectant, la république du Yémen », à l’exception des opérations contre el-Qaëda. Des éléments qui pourraient sérieusement peser sur la relation entre Riyad et Washington, en dépit des efforts de l’administration Trump pour les contrer.
Complicité entre autocrates
Face à l’hostilité du côté occidental, MBS a choisi non pas de se mettre en retrait mais, au contraire, de tabler sur la solidité de ses liens avec d’autres partenaires. À peine deux mois après l’assassinat de Jamal Khashoggi, c’est tout sourire qu’il s’est rendu en Argentine pour assister au sommet du G20. Présenté comme un « paria » dans la presse internationale, MBS se retrouve – sans surprise – isolé des dirigeants occidentaux sur la photo de famille et fait les frais des remontrances d’Emmanuel Macron. « Vous ne m’écoutez jamais », lui assène le président français pendant que les deux hommes se serrent la main. « Bien sûr que j’écouterai », riposte MBS. Le bref échange et la prudence des chefs d’État occidentaux autour de lui ne le déstabiliseront pas – du moins en public.
Devant les caméras, MBS et le président russe, Vladimir Poutine, échangent une vigoureuse poignée de main avant de s’asseoir côte à côte le sourire aux lèvres. Les deux autocrates s’affichent complices, ignorant ostensiblement le reste des dirigeants. La mission est réussie pour le prince héritier qui cherche à montrer, entre autres, qu’il peut passer outre le tollé provoqué par l’affaire Khashoggi sur le plan international tout en cherchant un appui ailleurs qu’en Occident. Il continue sur sa lancée en mettant le cap sur l’Asie et entame une tournée en février qui l’emmène au Pakistan, en Inde puis en Chine. Mettant en avant l’importance de l’influence de Riyad dans la région, MBS n’hésite pas à insister sur l’importance des liens diplomatiques et économiques avec ces différents régimes. Le voyage permet au prince héritier de redorer quelque peu son blason alors que ses déplacements se déroulent sans encombre, facilités par le fait que ces partenaires soient peu regardants sur la question des droits de l’homme.
Islamabad, avec qui Riyad a signé des protocoles d’entente à hauteur de vingt milliards de dollars en février, a attribué au prince héritier saoudien le titre de « figure d’influence mondiale en 2018 » dimanche dernier. Une décision qui fait suite à ses « efforts en faveur de l’islam (…) ainsi que pour la défense des questions humanitaires clés, notamment la Palestine, le Yémen, la Syrie et la protection des minorités musulmanes », a indiqué le site prosaoudien Arab News.
Source www.lorientlejour.com