Par Jacques BENILLOUCHE – Copyright © Temps et Contretemps
Le Maroc a opté le 10 décembre 2020 pour la normalisation de ses relations avec Israël, rejoignant ainsi les Émirats arabes unis, le Bahreïn et le Soudan. La Tunisie n’a pas réagi officiellement, préférant se terrer dans un silence gêné. Son mutisme devient pesant, car aucune réaction positive ou négative n’a été publiée. Le président de la République, Kaïs Saïed, fervent défenseur de la cause palestinienne et ennemi officiel d’Israël, n’a jamais raté une seule occasion pour s’exprimer sur «l’occupation israélienne». Son silence est d’autant plus étonnant que la politique extérieure est l’une de ses prérogatives présidentielles. Il aurait pu transmettre cette tâche à son ministre des Affaires étrangères, Othman Jerandi, très opportunément souffrant. Il faut lui souhaiter un prompt rétablissement. Aucun autre fonctionnaire tunisien n’a été chargé de publier une réaction officielle à cet évènement majeur.
Ce silence tunisien n’est pas une première car aucune réaction de la diplomatie tunisienne n’a été entendue lors de l’annonce de l’accord de normalisation acté entre les Émirats arabes unis et Israël. Pour signifier son opposition, le président de la République s’est contenté de recevoir l’ambassadeur palestinien, Hayel Al Fahoum, pour lui renouveler le soutien de la Tunisie au peuple palestinien. Plus personne ne s’étonne des prises de position incompréhensibles d’un président tunisien qui fait cavalier seul au détriment de l’intérêt de son pays et de son économie chancelante. S’opposer aux États-Unis est une décision risquée. On ignore d’ailleurs les griefs de la Tunisie à l’égard d’Israël qui a eu tous les honneurs sous le régime de Bourguiba et de Ben Ali, à moins de vouloir être plus royaliste que le roi. Il faut tracer un trait définitif et mettre dans le tiroir de l’Histoire les souvenirs d’une communauté juive florissante en Tunisie.
L’Autorité palestinienne s’est aussi murée dans le silence mais le Hamas, le Djihad islamique palestinien ont, eux, condamné cet accord de normalisation le qualifiant de «péché politique et de trahison aux fondements de l’islam». Pour le Djihad islamique : «La normalisation du Maroc avec l’occupation israélienne est une trahison de Jérusalem et de la Palestine. Nous sommes convaincus que le peuple marocain refusera totalement cette normalisation». Le FPLP (Front populaire de libération de la Palestine), qui entretient des relations étroites avec le Front du Polisario, mouvement indépendantiste soutenu par l’Algérie a bien sûr critiqué la normalisation.
Alors que le Caire s’est félicité de cet accord, la position palestinienne ne s’explique pas car la cour royale marocaine avait publié une déclaration officielle précisant que le roi Mohammed VI avait appelé Mahmoud Abbas pour le rassurer de la position inchangée de Rabat à l’égard de la cause palestinienne et de la solution à deux États. Le roi a souligné que «le Maroc place toujours la question palestinienne au même niveau que la question du Sahara, et que le travail du Maroc pour consolider son unité nationale et territoriale ne sera jamais, ni aujourd’hui ni dans le futur, aux dépens de la lutte du peuple palestinien pour ses droits légitimes». 2.500 Juifs vivent encore au Maroc, y compris le ministre juif du tourisme, André Azoulay.
Les Tunisiens et les Palestiniens n’ont pas compris qu’il existe toujours une contrepartie positive, souvent sonnante et trébuchante, de ce genre d’accord parrainé par les États-Unis qui savent récompenser les bonnes volontés. Ils ont en effet décidé de reconnaître la revendication de longue date du Maroc sur la région du Sahara occidental, rejetant tous les appels du peuple sahraoui à son indépendance.
Le Maroc a toujours été modéré vis-à-vis d’Israël et il ne s’en est jamais caché ouvertement. Feu le roi Hassan II avait tenté d’être un catalyseur secret pour faire avancer le processus de paix israélo-arabe. En juillet 1986, il avait accueilli le Premier ministre israélien Shimon Peres et deux mois plus tard, il avait rencontré une délégation de Juifs marocains, incluant un membre israélien de la Knesset. En 1993, après avoir signé un accord avec l’OLP (Organisation de libération de la Palestine), le Premier ministre israélien Yitz’hak Rabin avait effectué une visite officielle au Maroc.
Le royaume va bien sûr obtenir des contreparties politiques puisque sa souveraineté sur le Sahara occidental sera reconnue par les États-Unis. Trump «a réaffirmé son soutien à la proposition d’autonomie sérieuse, crédible et réaliste du Maroc comme seule base pour une solution juste et durable du différend sur le territoire du Sahara occidental. Et à ce titre, le président a reconnu la souveraineté marocaine sur l’ensemble du territoire du Sahara occidental». Les États-Unis seraient sur le point de vendre quatre drones sophistiqués au Maroc.
La coopération économique entre les entreprises israéliennes et marocaines sera développée avec à la clef de nouveaux emplois créés au Maroc. Le tourisme attirera des Israéliens d’origine marocaine qui pourront utiliser des vols directs depuis Tel-Aviv. En fait il s’agit d’une politique gagnant-gagnant que la Tunisie refuse d’adopter. Au moins 200.000 israéliens d’origine tunisienne attendent le droit de retrouver librement leur terre natale, certains pour y passer de longues vacances. Mais ce n’est pas demain la veille. Kaïs Saïed préfère s’enfermer dans sa tour solitaire plutôt que de voir un sioniste de près.
La Turquie pourrait faire les frais de cette normalisation car elle accueillait en grand nombre des musulmans israéliens et des Druzes qui passaient leur vacances dans un pays halal. Ils trouveront au Maroc un autre décor, de nouvelles plages, et de nouveaux horizons.
On ne s’étonne plus de la position adoptée par Kais Saïed, hanté par le seul énoncé d’Israël qui d’ailleurs ne manque jamais l’occasion de se rappeler à son bon souvenir. À peine élu et novice en politique, cet universitaire avait exalté la défense de la cause palestinienne mais s’était vite retrouvé confronté à la complexité du dossier à l’ONU, multipliant les signaux contradictoires face aux exigences de la realpolitik et de son opinion publique. Il n’avait pas hésité, le soir de son élection, à arborer le drapeau palestinien dans un pays qui avait certes abrité durant de longues années (1982-94) le siège de l’OLP.
Il avait également fustigé «l’injustice du siècle et une haute trahison» après la présentation par le président américain Donald Trump, le 28 janvier, du plan pour le Moyen-Orient. Il avait cependant désavoué et limogé son ambassadeur auprès de l’ONU, Moncef Baati, diplomate chevronné, qui avait cru bon de vouloir trop en faire en portant un projet de résolution contre le «plan de paix» américain pour le Proche-Orient. Il avait été accusé d’avoir cherché à «ternir l’image de la Tunisie et de son président» sachant qu’il risquait de bloquer les aides que l’Amérique octroie à son pays.
On ignore les dessous de ce limogeage au moment où la Tunisie était devenue membre permanent du Conseil de sécurité. En effet, le remplaçant choisi, Tarek El Addab est une personnalité exceptionnelle. S’il a été ambassadeur à Oman en 2011 et à la tête de l’organisation arabe islamique, il avait travaillé aux côtés de Khemaïs Jhinaoui au bureau de liaison de Tel-Aviv du temps où des relations avec Israël avaient été ouvertes.
On se demande si la nomination d’El Addab n’était pas volontaire parce que Kais Saïd ne pouvait ignorer le « passé israélien » de son ambassadeur. Nommer un acteur tunisien de la normalisation avec Israël ne pouvait pas être fortuit. Certains y ont vu un premier pas de la Tunisie pour s’assurer les bonnes grâces des chancelleries occidentales. Cela pourrait justifier le silence de la Tunisie face à la normalisation marocaine.