Shoah : L’abandon des juifs, pourquoi ?

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L’extermination en bas de page

Le philosophe Emmanuel Lévinas, dans les années 1970, se désolait douloureusement de l’abandon des Juifs par le monde entier pendant la Shoah. « Ce qui fut unique entre 1940 et 1945, écrivait-il dans Noms propres, ce fut le délaissement. »

À son tour, le journaliste français Daniel Schneidermann, dans Berlin, 1933 (Seuil, 2018, 448 pages), revient sur l’indifférence internationale devant le sort réservé aux Juifs par les nazis.

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À l’arrivée d’Hitler au pouvoir en janvier 1933, plus d’une centaine de correspondants provenant des démocraties occidentales couvrent l’actualité allemande.

Ils sont américains, britanniques ou français. « Pourquoi n’ont-ils rien dit ? » clame le bandeau qui accompagne le livre de Schneidermann.

« De fait, précise le journaliste, ils en ont dit tellement peu qu’on peut bien considérer qu’ils n’ont rien dit. »

Comment expliquer un tel presque silence sur l’horreur nazie de la part de journalistes censés débusquer l’essentiel de la trame du quotidien ? Peut-on tous les soupçonner d’antisémitisme et de sympathies hitlériennes ?

Quelques-uns d’entre eux, confirme Schneidermann, méritent ces accusations. Mais les autres, c’est-à-dire la majorité ?

Les causes du silence

Captivante enquête sur le travail des journalistes occidentaux en poste en Allemagne pendant la montée du nazisme et son installation au pouvoir, Berlin, 1933 raconte, dans le grand style journalistique, la « déroute du reportage ».

Ce dernier a échoué à ses deux missions dans sa couverture de l’hitlérisme, c’est-à-dire « alerter sur les bourreaux, donner un visage aux victimes ».

Journaliste spécialisé en critique des médias, Schneidermann connaît les contraintes du métier et les retrouve, en concentré, dans le contexte de l’époque.

Les correspondants étrangers à Berlin ont certes, chacun, leurs propres limites, mais des éléments extérieurs entravent leur travail.

La censure nazie, d’abord, ne fait pas de quartier. Journaliste antinazi du Chicago Daily News, Edgar Mowrer, en 1933, publie un livre dans lequel il expose la persécution quotidienne des Juifs en Allemagne, avant même l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Il sera expulsé.

Sa compatriote Dorothy Thompson connaîtra le même sort, en 1934, pour avoir écrit que « le nazisme est la répudiation de l’histoire entière de l’homme occidental, une totale rupture avec la Raison, l’Humanisme et l’éthique chrétienne ».

Ceux qui restent à Berlin sont donc conscients de l’étroitesse de leur marge de manœuvre. Afin de protéger leurs sources, menacées de mort, ils doivent taire des informations cruciales, notamment sur les premiers camps de concentration.

De plus, les propriétaires des journaux pour lesquels ils travaillent, souvent des millionnaires ayant plus peur du bolchevisme que de l’hitlérisme, censurent aussi leurs textes.

Juif, A. H. Sulzberger, le propriétaire du New York Times de l’époque, craint pour sa part les accusations de communautarisme et ne veut pas trop insister sur le sort de ses semblables.

Les limites de l’objectivité

Il y a, enfin, « le refus de savoir des lecteurs eux-mêmes ». Il faudrait, pour le briser, pour éveiller les consciences, se livrer à un martèlement médiatique, mais, précise Schneidermann, la répétition lasse les lecteurs et les journalistes.

« Ce facteur accablant, ajoute-t-il, a aussi joué un rôle dans l’occultation médiatique de l’extermination », une information si irrationnelle qu’elle était presque impossible à transmettre.

Le journal communiste L’Humanité, en France, a tout fait pour alerter le monde à propos de la barbarie nazie, mais son caractère idéologique marqué le rendait « suspect de propagande ».

Dans la presse grand public, censément objective et digne de confiance, la terreur nazie, constate Schneidermann, a été livrée « en miettes », sans émotion, en pages intérieures, avec pour résultat un « décalage considérable entre les témoignages horrifiques dont les correspondants avaient connaissance […] et leurs articles raisonnables, pondérés, factuels, insipides, où l’on s’abîme les yeux à tenter de lire entre les lignes ».

Sauf exception, Schneidermann ne condamne pas ses prédécesseurs ; il témoigne avec émotion d’un tragique échec du journalisme en un temps qui aurait eu besoin de ses lumières. Il invite d’ailleurs ses collègues à ne pas désarmer devant Trump.

On se console un peu en lisant, dans La presse canadienne-française et l’extrême droite européenne, 1918-1945 (Septentrion, 2018), de l’historien Hugues Théorêt, que, rapidement, « l’Allemagne nazie ne génère que de la colère et de la réprobation dans les pages et les colonnes des revues et des journaux canadiens-français » et que Le Soleil, dès 1933, « se porte à la défense des Juifs ».

Mais le Québec-province, hier comme aujourd’hui, ne pèse pas lourd à l’échelle mondiale.

Louis Cornellier

Source www.jforum.fr

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