Le Premier ministre japonais Shinzo Abe, qui entame vendredi une tournée européenne par les pays baltes, doit rendre hommage en Lituanie au « Schindler nippon », un diplomate qui a sauvé des milliers de Juifs, il y a plus de 77 ans.
Chiune Sugihara, consul adjoint du Japon à Kaunas, capitale lituanienne entre 1920 et 1940, a aidé quelque 6.000 Juifs à échapper à la Shoah en leur donnant des visas permettant de quitter la Lituanie.
Né avec le siècle, le 1er janvier 1900, il avait été envoyé à Kaunas en octobre 1939, quelques semaines après l’attaque de l’Allemagne nazie et de l’URSS de Staline contre la Pologne. La 2e guerre mondiale commençait.
Tokyo avait vu dans la Lituanie, pays neutre et encore indépendant, un bon point d’observation pour son diplomate polyglotte, chargé de fournir des renseignements sur la situation militaire dans la région.
Fuir la guerre
Le calme n’a pas duré longtemps. En juin 1940, l’URSS a envahi la Lituanie. Des foules de réfugiés juifs venus de la Pologne occupée ont formé de longues files d’attente devant le consulat pour demander le visa japonais permettant de fuir la guerre.
« Quand l’Armée Rouge est entrée en Lituanie, les réfugiés ont compris que le pays neutre qui leur a offert l’asile un an plus tôt n’existait plus », explique l’historien Linas Venclauskas de l’université Vytautas Magnus.
« Occupée par les Soviétiques, la Lituanie devenait un lieu imprévisible et plus dangereux », ajoute-t-il, parlant dans l’ancien bureau de Sugihara, où l’on a gardé, accroché sur un mur, l’ancien drapeau japonais du temps de la Deuxième guerre mondiale.
Petras MALUKAS (AFP)
Sans perdre de temps, Sugihara a octroyé plus de deux mille visas en juillet/août, travaillant parfois jusqu’à 18 heures d’affilée et ignorant des instructions reçues du gouvernement japonais.
Il a collaboré étroitement avec le consul des Pays-Bas, Jan Zwartendijk, qui fournissait aux Juifs des documents permettant de gagner Curaçao, île néerlandaise des Caraïbes, via le Japon.
Puis les Soviétiques ont affermi leur contrôle sur la Lituanie et demandé aux diplomates étrangers de partir en septembre.
Sugihara a continué à distribuer des visas, d’abord à l’hôtel Metropolis à Kaunas, ensuite, selon certains témoignages, même dans le train pour Berlin à bord duquel il est parti pour l’Allemagne.
Ghetto de Shanghai
Leur visa en poche, les Juifs prenaient le train transsibérien pour Vladivostok, un voyage de deux semaines, puis un bateau pour le Japon.
Nombre d’entre eux ont été envoyés ensuite au ghetto de Shanghai et y sont restés jusqu’à la fin de la guerre.
Ceux qui n’avaient pas réussi à quitter la Lituanie allaient presque tous mourir. Plus de 90% des quelque 200.000 Juifs lituaniens ont péri entre 1941 et 1944, sous l’occupation nazie.
Sugihara a démissionné de la diplomatie en 1946. Certains historiens indiquent qu’il y a été obligé pour avoir transgressé le règlement en Lituanie. Il est mort en 1986, deux ans après avoir reçu le titre israélien de « Juste parmi les nations », décerné à ceux qui ont sauvé les Juifs pendant l’Holocauste.
Quelque 3.000 Juifs vivent aujourd’hui en Lituanie, pays de 2,8 millions d’habitants, membre de l’Otan et de la zone euro.
Pour leur dirigeante, Faina Kukliansky, l’héritage historique de Sugihara est « inestimable ».
« Sa détermination de fer bien japonaise et son esprit d’humanisme européen ont construit un pont de vie pour six mille Juifs et son héritage jette un pont entre les nations et les générations », a-t-elle déclaré à la veille de la visite de M. Abe.
Petras MALUKAS (AFP)
Des rues et des places portent le nom de Sugihara à Kaunas et à Vilnius et son ancien consulat a été transformé en musée. L’année dernière, quelque 14.000 touristes japonais ont visité la maison de deux étages dans un quartier élégant de Kaunas.
L’ancien consul figure parmi la quinzaine de diplomates de différents pays qui ont aide de la même manière des Juifs pendant la IIe guerre mondiale. On l’appelle parfois le « Schindler japonais », par référence à l’entrepreneur allemand Oskar Schindler qui a sauvé quelque 1.200 Juifs en Pologne, comme le raconte le film de Steven Spielberg « La Liste de Schindler ».
« La Lituanie est fière de l’héritage de Sugihara », a dit à l’AFP le chef de la diplomatie de Vilnius, Linas Linkevicius, notant avec satisfaction le nombre croissant de touristes japonais à Kaunas.
M. Abe, qui arrivera en Lituanie samedi après avoir visité l’Estonie et la Lettonie, poursuivra ensuite sa tournée européenne par la Bulgarie, la Serbie et la Roumanie.
C’est la première fois qu’un dirigeant japonais de tout premier plan se rend dans les pays baltes.
Source www.i24news.tv
NDLR : Le numéro 2 de Kountrass a été consacré à cette histoire !