A peine descendu de l’avion, à l’aéroport de Rodez, l’avocat historien, Serge Klarsfeld, est accueilli par Simon Massbaum, le président de l’association pour la mémoire des déportés juifs de l’Aveyron. Serge Klarsfeld a effectué ce voyage dans le but d’inaugurer, à Millau, une nouvelle plaque, sur laquelle figurent quatorze noms supplémentaires de Juifs raflés et déportés pendant l’Occupation. Avant de prendre la route du Sud-Aveyron, il a fait plusieurs déclarations, dont celles-ci :
« C’est une période difficile, car nous faisons face à la montée de l’extrême-droite et aux attentats des fondamentalistes musulmans. Nous sommes coincés entre ces deux ennemis. Le premier est déjà ancien et, même s’il ne fait pas campagne sur ce thème actuellement, nous présumons que son noyau reste antisémite. Le second est à l’origine des attentats qui ont visé d’une façon aveugle les Français dans leur ensemble mais qui, quelquefois, ont plus particulièrement pris pour cible les Juifs. Ces attentats ont été perpétrés par des gens qui se sont appuyés sur des réseaux basés à l’étranger, des infrastructures particulières, mais ils ne sont pas liés à la masse des Musulmans de France. Aujourd’hui, je suis inquiet ; inquiet de voir que le pays a du mal à se réformer, et que les grands partis républicains de centre-gauche et centre-droite n’arrivent pas à s’adapter. Ceci qui provoque la montée du FN. Le fait que le prolétariat vote pour ce parti est un mauvais signe et la confirmation que les temps changent et qu’il y a une sorte de volonté populaire de mettre en place un régime autoritaire.
« On en revient à une atmosphère de début des années 30. La Pologne, la Hongrie et la Croatie, par exemple, ont installé à leur tête des régimes qui font des concessions aux règles de l’Union européenne, mais qui restent des régimes de droite nationaliste. Quand on voit que _le Royaume-Uni, ce grand pays démocratique, menace de quitter l’Union européenne, on se dit que notre continent risque de devenir une sorte de citadelle de droite extrême, fermée à toute migration de masse par un mur similaire à celui de Berlin. Cela étant, la migration massive qu’il a pu y avoir est aussi mauvaise, dans le sens où tout excès entraîne, de la part des peuples, la peur de voir arriver des vagues de populations qui changent les mœurs, et possèdent des points de vue différents. Il faut garder à l’esprit qu’il faut des décennies pour intégrer les enfants issus de ces mouvements. Des erreurs ont été commises et aujourd’hui, les grands partis ont du mal à reprendre la main.
« La volonté du parti socialiste, au début de l’année, d’appliquer la déchéance de nationalité dans certains cas, est-elle réelle ?
« Les mots « déchéance de nationalité » m’ont touché en tant que membre d’une génération qui a vu de nombreuses familles se retrouver déchues de leur nationalité sans avoir rien fait, sans avoir été fichées. Aujourd’hui, ce que je regrette, c’est que des gens fichés comme dangereux n’aient pas été internés administrativement. Par le passé, ceux qui étaient déchus de leur nationalité, comme les enfants juifs, étaient placés dans des camps spéciaux. Les fanatiques islamistes enregistrés comme s’étant rendus en Syrie ou comme ayant des connexions avec des réseaux terroristes ont été laissés libres, car l’internement administratif est vu comme antidémocratique. S’ils avaient été mis à l’écart de la société, dans des conditions humaines, nous n’aurions pas eu à faire face à tous les attentats récents. La déchéance de nationalité ne me semble pas être une mesure efficace pour empêcher ces personnes de passer à l’acte. L’internement administratif, en revanche, oui. Nous pouvons adapter la démocratie aux différentes situations auxquelles elle est confrontée, et ne pas rester toujours figés dans des schémas où l’on condamne telle ou telle chose… »