Une délégation balte et polonaise étudie les questions de sécurité des frontières, de gestion des urgences et de cyberdéfense ; la relation israélo-polonaise se ranime.
Les États baltes observent, avec anxiété, l’invasion de l’Ukraine par Poutine et surveillent de près leurs propres frontières avec la Russie. Aujourd’hui, ils se tournent vers Israël pour des conseils et de l’expertise.
Pour autant, ce n’est pas le savoir-faire militaire d’Israël qu’ils recherchent.
Depuis 2004, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie font partie de l’OTAN et comptent sur l’alliance pour la défense de leur territoire dans le cas d’une invasion russe. En 2017, l’OTAN a déployé un groupement tactique de la taille d’un bataillon dans chacun des trois pays, ainsi qu’en Pologne, et ces derniers tenteront d’obtenir des déploiements plus importants lors du sommet de l’OTAN, prévu à Madrid à la fin du mois de juin.
Les pays baltes et la Pologne considèrent Israël comme un modèle en matière de défense des infrastructures, protection des civils et maintien des services vitaux, dont ils souhaitent s’inspirer en prévision d’une attaque russe.
Mardi, Alon Bar, directeur politique du ministère des Affaires étrangères, a mené une délégation à Tallinn (notre photo), qui a évoqué la sécurité régionale et l’Ukraine avec ses homologues baltes. La déclaration israélienne publiée à l’issue de la réunion met l’accent sur les échanges concernant l’Iran, les accords d’Abraham et l’antisémitisme, mais le ministère estonien des Affaires étrangères souligne le potentiel de coopération en matière de cybersécurité.
Ce n’est pas un hasard si Tallinn redoute particulièrement les cyberattaques russes. En 2007, l’Estonie et la Russie ont eu un différend au sujet d’un mémorial de guerre de l’ère soviétique, et banques, médias, parlement et ministères estoniens ont dans la foulée essuyé une série de cyberattaques. L’ampleur et la sophistication des attaques ont conduit l’OTAN à établir son centre de cyberdéfense à Tallinn.
Mais l’Estonie souhaite apprendre d’Israël bien plus que la cybersécurité. Tauno Suurkivi, directeur général adjoint des services de secours estoniens, a effectué une visite, la semaine passée, au commandement israélien du front intérieur.
« Nous développons la protection civile, mettons en place des sirènes d’alerte, des abris », a-t-il déclaré jeudi au Times of Israel avant de se rendre à l’aéroport pour son vol de retour. « D’ici un ou deux ans, nous devrons avoir renforcé nos capacités. »
Suurkivi a effectué un déplacement de trois jours en Israël, sous le patronage d’ELNET, organisation qui œuvre à établir des liens entre Israël et l’Europe. Il a été rejoint par neuf autres hauts responsables de la défense, des forces de l’ordre, de la santé et du Parlement des États baltes et de Pologne.
Ces quatre pays font tous partie à la fois de l’OTAN et de l’Union européenne.
Suurkivi, qui a dirigé l’équipe estonienne de secours après le tremblement de terre au Pakistan en 2005, a déclaré que l’Estonie avait deux modèles pour ses services de secours et de protection civile : Israël et son voisin du nord, la Finlande.
« Les Finlandais se sont préparés à tout, mais vous [Israéliens] faites l’expérience de ces menaces tous les jours, donc vous avez plus d’expérience pratique », a déclaré Suurkivi.
La ligne de front de l’Europe
Le député Rihards Kols, président de la commission des affaires étrangères du parlement letton et garde national, a estimé que la visite à la frontière entre Israël et le Liban avait été particulièrement instructive. La délégation d’ELNET a pu descendre dans un tunnel creusé par le Hezbollah et a reçu un briefing de Tsahal sur la menace à laquelle Israël est confronté de l’autre côté de la frontière.
« Jusqu’à présent, nous considérions la frontière comme une question concernant les seuls gardes-frontières », a déclaré Kols. Les tunnels et autres menaces du Hezbollah ont souligné toute l’importance d’envisager la sécurité des frontières de manière plus globale, requérant l’attention de l’armée et d’un certain nombre d’agences civiles.
La Lettonie a déclaré l’urgence à sa frontière, accusant la Biélorussie d’avoir orchestré le passage de réfugiés irakiens et afghans en représailles aux sanctions prises en réaction à la répression, par les autorités biélorusses, des militants pro-démocratie, en 2020.
Kols fait le parallèle entre Iran et Russie, qui utilisent d’autres pays pour menacer leurs ennemis. « Le Liban n’est plus un pays souverain… La Biélorussie prend le même chemin. »
Le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, est un proche allié de Poutine en Europe, mais il a néanmoins appelé à la fin de la guerre en Ukraine, qui entre désormais dans son quatrième mois.
Kols a appelé à la création d’une alliance élargie de type OTAN composée d’États démocratiques, incluant Israël.
« L’ordre international fondé sur des règles héritées de la Seconde Guerre mondiale a été remis en question », a-t-il assuré, « et cela exige que les démocraties coopèrent plus activement ».
La persistance de la guerre suscite un regain d’intérêt pour l’expertise israélienne, a déclaré Shai Bazak, PDG d’ELNET-Israël.
« L’agression russe contre l’Ukraine fait rage et l’Europe doit reconsidérer sa manière de faire face à cette guerre », a-t-il déclaré au Times of Israel. « Les États baltes et la Pologne, les pays du flanc oriental de l’OTAN, sont en première ligne de l’Europe. Il est d’autant plus important pour eux de bénéficier de l’expertise israélienne en matière de systèmes de défense, de prise en charge des traumatismes, de cybersécurité et plus encore. »
Marta Kubica, directrice exécutive d’ELNET-Pologne, a déclaré que tous les responsables du voyage avaient identifié des domaines spécifiques dans lesquels ils souhaitaient poursuivre les échanges avec leurs homologues israéliens.
« Tous m’ont dit vouloir travailler avec Israël d’une manière ou d’une autre », a-t-elle précisé, « et ils sont extrêmement pragmatiques. Ils s’intéressent aux innovations, aux infrastructures et aux procédures opérationnelles spécifiques d’Israël ».
Au-delà de la frontière libanaise et du commandement du front intérieur de Tsahal, le groupe a été accueilli par le chef de la police de Jérusalem, s’est entretenu avec des députés de la coalition et de l’opposition à la Knesset, a rencontré des experts du ministère des Affaires étrangères sur l’Europe et les cyber-affaires, et s’est vu présenter des drones et solutions optiques pour la sécurité des frontières chez Israel Aerospace Industries.
Le groupe – qui comprenait l’ex-ministre letton de la Santé et le vice-ministre lituanien de la Santé – a également rencontré des responsables israéliens de la santé et visité la banque de sang souterraine à Ramle, ainsi que le centre d’opérations COVID-19 à Airport City.
Varsovie est de retour
La visite a également été l’occasion pour Israël et la Pologne de tenter de combler le fossé diplomatique qui les sépare. Deux députés polonais faisaient partie de la délégation.
En août dernier, Israël avait procédé au rappel de son ambassadeur à Varsovie “pour des consultations”, en représailles à l’adoption par la Pologne d’une loi limitant drastiquement les demandes de restitution de l’époque de la Seconde Guerre mondiale.
Le ministre des Affaires étrangères, Yair Lapid, avait invité l’ambassadeur de Pologne en Israël à prolonger ses vacances dans son pays et demandé au nouvel ambassadeur d’Israël en Pologne, Yaacov Livne, de demeurer en Israël.
Depuis lors, les deux pays ont fait en sorte de désamorcer progressivement les tensions. Livne a pris son poste à Varsovie, en février dernier, pour coordonner l’action d’Israël pour exfiltrer des Israéliens d’Ukraine et apporter de l’aide à Kiev.
« Dans les relations entre nos deux pays, les politiciens utilisent trop souvent les questions historiques pour servir des objectifs de court terme ou influencer les sondages », a déploré le député polonais Marek Rutka. « Si nous ne faisons pas un pas en avant ensemble, nous resterons bloqués pendant longtemps, en nous accusant l’un l’autre. »