Après le forum contre l’antisémitisme – quel bilan dresser?
Problématiques liées à l’enseignement de la Shoah – surtout quand les derniers témoins auront disparu. Après le forum contre l’antisémitisme organisé dans le cadre d’une conférence internationale – quel bilan dresser? (Bref post-scriptum, au sujet de questions soulevées par le scandale d’État que représente l’affaire Sarah Halimi.)
En sa qualité de consultant pédagogique et formateur pour le Mémorial de la Shoah, Iannis Roder a longuement réfléchi à l’avenir – pas si lointain – où il n’y aura plus (hélas!) de survivants qui pourront donner des témoignages de ce qu’ils ont vécu directement. Par suite des connaissances et expériences pratiques accumulées pendant sa carrière de professeur d’histoire-géographie dans un collège ZEP de Seine-Saint-Denis, ce n’est pas indirectement qu’il connait les effets des transformations socioculturelles (dont fait état, parmi d’autres textes officiels, le rapport Obin publié en juin 2004, ainsi que l’ouvrage collectif Les territoires perdus de la République). Autant de transformations qui ont concouru à susciter dans certains milieux des résistances à l’enseignement scolaire de la Shoah – lesquelles en sont venues, progressivement, à prendre des dimensions non négligeables.
C’est ainsi que Iannis Roder présente son nouvel ouvrage, Sortir de l’ère victimaire.
« Il y a vingt ans, fraîchement nommé dans mon collège de Saint-Denis, je me lançai avec passion dans l’enseignement de l’histoire de la Shoah. Devant mes élèves, j’évoquais avec gravité le drame absolu des victimes. J’organisais des rencontres avec des survivants et insistais sur l’horreur que furent les ghettos et Auschwitz.
Mais une partie d’entre eux ne supportaient pas mon discours. Ils en avaient assez de la souffrance des juifs, me disaient-ils, car “d’autres peuples ont souffert et on n’en parle jamais!”.
Ce qui avait fonctionné pour ma génération ne fonctionnait plus.
Convaincu qu’il fallait sortir de l’approche victimaire, je décidai de renverser le prisme et d’entrer dans cette histoire par les bourreaux, par ceux qui sont les moteurs de ces processus politiques.
Il me fallait montrer en quoi l’histoire de la Shoah devait dépasser l’aspect antiraciste moralisant pour avoir une véritable utilité.»
Dans l’interview accordée à Caroline Beyer du Figaro, paru le 31 janvier 2020 – juste après la conférence internationale tenue à Yad Vashem pour marquer le 75ème anniversaire de la libération d’Auschwitz – Iannis Roder explique de façon plus détaillée, la méthode pédagogique qu’il préconise, tout en la situant dans un contexte sociopolitique de plus en plus générateur de «concurrences des mémoires» – ou même de «guerres des mémoires ». D’où des «politiques de mémoires», lesquelles instrumentalisent en même temps la «mauvaise conscience coloniale» qui, d’après Roder, « hanterait» toujours un « pan de l’opinion », et les griefs réels ou supposés de nombreux membres de ces populations.
Facilitées par les complaisances politiciennes – surtout, mais pas exclusivement de la part de représentants des élites soi-disant progressistes – vis-à-vis de l’«immense manipulation» de l’ignorance de l’histoire, ainsi que des réflexes «victimaires» répandus à l’intérieur de «certaines populations issues notamment de l’immigration maghrébine et subsaharienne», ces « concurrences mémorielles» vont de pair avec des tentatives, de plus en plus fréquentes, de faire accréditer les comparaisons les plus abjectes parmi ceux et celles qui «peuvent s’estimer, elles aussi, victimes de l’histoire». Ainsi qu’en témoignent, par exemple, les étoiles jaunes , ainsi que nombreuses affichettes jaunes, placardées sur le parcours de la manifestation, qui «rappelaient » le « génocide de Gaza » – tandis que l’étoile à cinq branches identifiaient le “génocide de Gaza” au génocide des Juifs (moins une branche) – affichées lors de la «manifestation contre l’islamophobie» qui s’est déroulée le 10 novembre 2019.
L’approche pédagogique dont Iannis Roder prône l’adoption et qu’il résume dans une interview publiée le 12 juillet 2018, «Il faut faire une histoire politique de la Shoah: expliquer que c’est une politique publique qui a été mise en œuvre par les nazis . » est expliquée, avec plus de détails, dans une interview publiée le 28 janvier 2019: « D’abord en insistant sur l’idéologie nazie. Ensuite, il faut mettre les élèves en situation de fabrication du récit historique, par le travail sur les archives, le travail de recherche, de confrontation des sources, de documents.» Il est pourtant impossible de ne pas s’inquiéter de certaines conséquences potentielles qui pourraient résulter de l’adoption de l’approche nouvelle qu’il affirme favoriser.
Comment, en effet, faire en sorte que tous les enseignants qui l’utilisent l’approche consacrent suffisamment de temps dans leurs cours à la transmission de connaissances qui permettent de comprendre l’unicité de la Shoah? De l’avis de ce spécialiste réputé lui-même, «… le problème principal, pour les enseignants, c’est le manque de temps pour travailler sur ces questions complexes». Dans le même ordre d’idées, dans le cas où le temps consacré à l’enseignement de la Shoah s’avère trop limité, comment le privilégiement d’analyses focalisées sur les bourreaux, en tant que «moteurs de la violence», ne nuirait-il pas à la capacité d’expliquer de façon suffisamment détaillée les souffrances de ces victimes et les phases des persécutions, y compris sur le plan législatif? La mention des victimes dans l’observation publiée à la fin de l’interview parue le 12 juillet 2018 – «Avant on entrait souvent dans l’histoire en parlant des victimes. Il ne faut jamais les oublier mais le premier travail c’est d’entrer par les bourreaux car ce sont eux les moteurs de la violence.» – n’est pas tout à fait rassurante.
Ce n’est nullement remettre en question tout ce que Roder a accompli en tant qu’éducateur que d’exprimer une certaine inquiétude au sujet de conséquences non voulues de ses préconisations. Il n’est pas question non plus de contester le mérite de sa méthode de travail en ce qui concerne les victimes, laquelle n’a pas manqué de faire ses preuves: «Nous encourageons le travail sur des destins individuels. En retrouvant, localement, une famille, des survivants, des photographies, en écrivant leurs itinéraires. Partir de la petite histoire pour aller vers la grande, de manière à entrer dans une réalité beaucoup plus perceptible et concrète pour les élèves que des chiffres trop abstraits.» – interview parue le 28 janvier 2019. Il y a lieu d’ajouter qu’à l’égard du «travail sur les destins individuels» et de la «petite histoire », l’utilisation de témoignages filmés va devoir jouer un rôle de plus en plus important après la disparition des derniers témoins.
Il est certes indispensable de faire comprendre les processus qui ont permis aux Nazis et à leurs alliés idéologiques d’arriver et de se maintenir au pouvoir, ainsi que tous les ressorts de la collaboration – prenant des formes variées – dans les pays occupés par les forces militaires de l’Allemagne nazie. Dans une interview parue le 13 octobre 2017, Iannis Roder répond ainsi à une question portant sur la nouvelle «manière d’enseigner» – «En quoi a-t-elle changé? Faut-il se mettre dans la tête de l’élève pour l’atteindre, le toucher?»:
«Il ne s’agit pas de le toucher mais de mener une éducation citoyenne, de faire comprendre qu’à travers le génocide des Juifs, c’est un processus politique qui est à l’œuvre et qui vise une population de manière systématique.
Je ne fais plus l’histoire de la souffrance des Juifs, je fais l’histoire du nazisme.
En outre, il faut développer l’enseignement des génocides et violences de masse pour montrer que ce sont des phénomènes qui peuvent se produire partout, chez les Arméniens, pour les Tutsis du Rwanda… Et faire comprendre à nos élèves que notre système démocratique, tout imparfait qu’il soit, est le meilleur rempart aux violences de masse.»
À condition d’être appliquée de façon intelligente et inventive, cette approche sera bien susceptible de faciliter la transmission des valeurs fondamentales qui font partie intégrante des démocraties libérales, à force d’expliquer les facteurs qui, au cours des années 1930 et au début de la décennie suivante, faisaient «sombrer» les démocraties en question. Est-ce que ce consultant pédagogique et formateur y voit également un moyen de lutter ave efficacité contre les tentatives, de la part de divers extrémistes, d’endoctriner un certain nombre d’élèves issus de l’immigration maghrébine et subsaharienne? C’est ce que semble indiquer une de ses réponses à Caroline Beyer, dans l’interview accordée au Figaro, parue le 31 janvier :
«J’explique à mes élèves que le nazisme est un système de croyance. Les nazis étaient convaincus d’être dans le juste en assassinant les Juifs. Ils étaient dans un réflexe défensif de bien contre le mal, exactement comme les tueurs du Bataclan. Cela me permet de montrer que les attentats islamistes, dans un contexte idéologique différent, reposent sur les mêmes ressorts psychologiques et intellectuels.»
Sans remettre en question l’utilité de cette approche «universaliste», il est cependant permis de craindre, dans un avenir pas si lointain, l’accentuation dans les milieux éducatifs de tendances visant à promouvoir celle-ci même aux dépens de l’enseignement des aspects spécifiquement juifs de la Shoah. Bien qu’il ne soit pas réaliste – n’ayant jamais été réaliste – de voir un «vaccin contre l’antisémitisme et contre la racisme» dans les programmes d’enseignement de la Shoah, incapables d’«immuniser» – si excellents qu’ils soient – contre des «manières de penser» racistes ou antisémites tous ceux et celles pour qui on les a élaborés, comment en nier l’impact considérable sur beaucoup de personnes qui en ont bénéficié et continuent d’en bénéficier – influencés, pour ainsi dire, dans un sens très positif?
Parmi les spécialistes plus ou moins «engagés» il y avait certes bon nombre qui croyaient à tort – ou qui affectaient de croire – que certaines généralisations et idées reçues au sujet des Juifs – surtout celles qui en sont venues à être culturellement enracinées – finiraient par prendre un caractère marginal et par représenter de ce fait des attitudes et opinions discréditées pour toujours. Surtout durant les décennies d’après-guerre où on constatait, dans une certaine mesure, une stabilité politique qui allait de pair avec une confiance plus ou moins répandue dans les institutions démocratiques les plus importantes, ainsi qu’avec des sentiments de bien-être matériel, ou tout au moins de contentement économique – de façon à rendre possible l’émergence sur le plan sociétal d’un «vivre-ensemble» authentiquement harmonieux.
Même si tous ces facteurs jouaient un rôle considérable dans l’émergence de conditions dans lesquelles la plupart des gens se sentaient de plus en plus réceptifs aux messages essentiels liés à la préservation de la mémoire de la Shoah – à la différence de périodes de crises sociales, de privations économiques plus ou moins répandues, qui, au mieux, ne sont pas de nature à encourager des sentiments d’empathie ou d’ouverture envers les membres d’autres groupes ethniques ou religieux et qui, au pire, tendent à susciter des replis identitaires, individuels ou collectifs. En revanche, parmi ceux et celles ceux et celles qui, dans une plus ou moins large mesure, trouvent crédibles, au sujet des Juifs, certaines généralisations ou idées reçues négatives, il continue à en avoir plusieurs qui sont sincèrement et profondément émus par les souffrances des victimes de la Shoah – qu’il s’agisse ou non, selon les cas individuels, d’une sorte de dissonance cognitive.
Surtout à l’heure actuelle, où la sécurité des habitants juifs de bon nombre de pays subit de plus en plus d’atteintes sérieuses, par suite de la multiplication considérable des crimes de violence et d’intimidation constatée depuis la fin des années 1990, les élites politiques et judiciaires se doivent d’être pleinement conscients des obligations morales qui font partie de leurs responsabilités officielles. Autant d’obligations collectives héritées par les successeurs des élites directement impliquées dans les crimes atroces des régimes nazis et pronazis, ainsi que dans les diverses formes de collaboration antisémite. Il est complètement légitime de leur rappeler celles-ci (il faut condamner à ce propos les détracteurs et ennemis de l’État hébreu, pour qui ces rappels servent de prétexte pour véhiculer des fausses accusations relatives aux prétendues exploitations politiciennes de la Shoah). Il y a lieu également de soutenir que celles-ci lient les successeurs des décideurs politiques qui avaient été coupables de complicité passive aux moments où il avait été bien possible de sauver au moins une partie des victimes des persécutions lesquelles finiraient par produire des meurtres de masse systématiques et génocidaires – Conférences d’Évian, des Bermudes
Il est capital que soient incorporées aux programmes d’enseignement de la Shoah des analyses, accompagnés de réfutations suffisamment détaillées et convaincantes des calomnies antijuives principales – manque de patriotisme ou «doubles allégeances », influences démesurées, ou occultes, dans les sphères économiques, politiques et culturelles, etc. – et surtout de celles dont la propagation est la plus lourde de conséquences. De telles analyse/réfutations comporteraient l’histoire de leur évolution, dans toutes leurs déclinaisons, ainsi que leurs mutations contemporaines – quelle que soit l’approche pédagogique adoptée. Il ne suffira pas que les enseignants se contentent de faire comprendre par des explications à portée générale l’instrumentalisation politique de la xénophobie, portée au paroxysme, et de boucs émissaires, par exemple, qui faisait partie de bon nombre des stratégies politiques adoptées par les Nazis et par leurs alliés idéologiques – mais non pas de toutes leurs initiatives haineuses dans les domaines de l’intoxication idéologique et de l’utilisation des médias, d’établissements scolaires et universitaires, ainsi que de mouvements de jeunesse, aux fins d’endoctrinement idéologique. (Dans l’étude approfondie des approches divergentes de manuels officiels utilisés aux diverse époques d’après-guerre, rédigée par Georges Bensoussan – un des textes qui font autorité dans l’explication de l’histoire de «L’enseignement de la Shoah dans l’Éducation nationale française (1945-1990) » (paru dans Revue d’Histoire de la Shoah 2010/2 – N° 193 – pages 129 à 150) – il insiste sur le nécessité de prendre en considération le contexte historique: « … le génocide juif est en préparation intellectuelle dans l’Europe de la fin du XIXème siècle …» – page 13).
Qui plus est, il faudra que, parmi les calomnies analysées et réfutées, soient inclus des exemples de «mutations» contemporaines de celles-ci. Y compris certaines «mutations» des accusations de meurtre rituel, qui comptent parmi les plus extrêmes des allégations infondées de crimes de guerre dirigées contre les Israéliens. On ne saurait donc omettre d’évoquer, dans l’enseignement de ces analyses/réfutations, les polémiques, dirigées contre les Israéliens juifs – source majeure de l’antisémitisme contemporain – qui vont jusqu’à démoniser l’État-nation du peuple juif, ainsi que, par extension, les Juifs qui soutiennent majoritairement leurs coreligionnaires israéliens. (On n’a que penser à l’affaire Al Dura et au cas récent où l’élue démocrate américaine, Congresswoman Rashida Tlaib et Hanan Ashrawi se sont empressées d’accuser des «colons» israéliens d’assassiner un petit enfant palestinien tombé dans un puits.) Par l’utilisation intelligente d’analyses/réfutations claires, convaincantes et suffisamment détaillées, qui se concentrent sur des exemples de propagande antijuive, il est tout à fait possible de sensibiliser les élèves ou les étudiants, le cas échéant, aux dangers des préjugés antijuifs, tout en leur instillant une solide capacité de se méfier de toutes les fausses accusations, ni vérifiables ni vérifiées – et non pas exclusivement de celles qui visent collectivement les habitants juifs des pays dont il s’agit, y compris l’État-nation du peuple juif diabolisé.
On se gardera en même temps de mettre un accent démesuré sur les «complotismes». Il y certes des idées conspirationnistes qui diabolisent certaines minorités ethniques ou religieuses et qui, de ce fait, peuvent s’avérer très dangereux, aux cas où toutes les conditions sont réunies pour la propagation de haines violentes, voire meurtrières – que celles-là soient ou non liées aux systèmes de croyances religieuses ou mystiques-(ésotériques), y compris ceux d’ordre eschatologique. En revanche les tendances «bien pensantes» qui consistent à qualifier injustement de «complotistes» des opinions et des conjectures plausibles sur l’influence – dans des situations données – de connivences et d’activités clandestines et manipulatrices sur les sphères politiques et/ou judiciaires sont également susceptibles de produire des effets pernicieux.
Les intrigues et les machinations ne sont pas rares dans le monde politique – liées aussi bien aux rivalités entre les partis, qu’à celles qui mettent aux prises des factions trouvées au sein d’un même parti – et elles peuvent devenir pratique courante à certains moments. De temps en temps, dans certaines situations, elles peuvent prendre des allures de véritables complots destinés à mettre fin aux carrières politiques. Sans parler des tentatives, de la part d’extrémistes de gauche et de droite, de noyauter les partis principaux «modérés» et de l’utilisation d’agents provocateurs, contre des individus ou des mouvements contestataires considérés comme représentant des menaces sérieuses. I
Dans le même ordre d’idées, on ne saurait ignorer les manœuvres et de manipulations, destinées à étouffer, sinon à faire oublier, des scandales politiques et/ou judiciaires, que ceux-ci aient ou non le caractère de scandales d’État – tels que l’affaire Dreyfus et, actuellement, l’affaire Sarah Halimi (l’analyse du comportement de certains juges dans la première affaire qui représente une partie importante de l’article récent de Sarah Cattan, paru le 30 janvier 2020 dans Tribune Juive , est vraiment pertinente à ce propos). S’il s’agissait dans le scandale d’État que fut l’affaire Dreyfus d’empêcher les Français d’apprendre à quel point les prétendues pièces à conviction étaient loin de constituer des preuves solides – sans parler des tentatives d’en fabriquer (le faux Henry) – dans le scandale d’État actuel, il est question de faire assurer l’impunité de l’assassin brutal.de Sarah Halimi et de protéger les policiers armés qui auraient pu, et auraient dû, sauver sa victime d’un homme qui ne représentait aucun danger pour eux.
On constate dans les mieux politiques et judiciaires une détermination qui vise non seulement à faire exclure toute prise en considération sérieuse des faits incontestables qui réfutent la conclusion de l’«abolition du discernement» supposé de son assassin au moment des crimes, mais également à faire oublier certains autres faits compromettants. Comme en rend compte un article paru le 5 janvier 2020 consacré en grande partie au discours de William Attal, le frère de Sarah Halimi, prononcé lors du rassemblement du même jour:
«Et puis, il y a le moment-clé du discours. William Attal rappelle, pour ceux qui ne le savent pas, qu’un policier se trouvait derrière la porte de Sarah Halimi pendant les vingt minutes qu’a duré la séance de torture. Vingt minutes pendants lesquelles Sarah Halimi a subi vingt-deux fractures du crâne! Vingt minutes pendant lesquelles elle a hurlé de terreur et de douleur, avant d’être jetée par la fenêtre par Traoré.
À cet instant, William Attal sort son joker: très intelligemment, très subtilement, il rappelle que la justice française a refusé d’organiser une reconstitution des faits. Et tout le monde comprend instantanément ce qu’il veut dire: il ne faut pas qu’il y ait reconstitution parce que l’État ne doit pas avoir à rendre compte de la passivité totale d’un policier parfaitement équipé pour une telle situation (William Attal a précisé plusieurs fois: “Il était armé jusqu’aux dents”), et qui a préféré ne pas intervenir.
Le sang des auditeurs les plus lucides se glace… William Attal, qui est partie prenante de l’affaire, ne peut pas aller plus loin et dire clairement ce qu’il a en tête, mais la foule le décode sans peine. Et si toute cette machinerie judiciaire délirante avait pour but de couvrir un policier? Qui est ce policier? Pourquoi a-t-il eu peur de tuer un islamiste qui tuait une juive? Sa hiérarchie est-elle impliquée?
Il reste à espérer, malgré tout, que le Forum contre l’Antisémitisme du 23 janvier 2020 organisé dans le cadre d’une conférence internationale, a servi à inspirer dans un sens positif, du moins en partie, suffisamment des décideurs politiques qui y ont assisté, faisant en sorte que tant les nouveaux séminaires de formation à l’enseignement de la Shoah que les nouveaux programmes d’études ne cessent de bénéficier – en France, comme dans d’autres états – du plein soutien des gouvernements successifs des pays en question, toutes tendances politiques confondues. Si, après l’élaboration de ceux-ci, il y a aucun risque que les approches utilisées, qui tiennent compte des problématiques analysées plus haut, soient de nature à reléguer les victimes à l’arrière-plan – à force de se concentrer trop sur les «bourreaux» – il y a aura lieu de qualifier de succès, sur le plan éducatif, l’événement international qui a rassemblé tant de chefs d’État.
Par contre, puisque le musée et les archives de Yad Vashem font de cette institution un site incontournable depuis longtemps pour beaucoup des représentants officiels d’états lors de visites diplomatiques en Israël, la participation à une conférence internationale dans l’enceinte de cette institution ne peut servir d’exemple ni d’une quelconque amélioration de la position diplomatique de l’État hébreu, ni d’un assouplissement supposé de la politique de non-reconnaissance de la souveraineté israélienne sur Jérusalem, ville réunifiée. Comment, en effet, se vanter d’une telle amélioration, à l’heure actuelle, quand ce sont bien certains décideurs et diplomates des états qui ont envoyé des délégations en Israël, à l’occasion de cette conférence internationale, qui font preuve d’une sorte de complicité subtile ou tacite avec deux initiatives susceptibles d’affaiblir l’État hébreu de façon dangereuse? C’est-à-dire l’initiative liée à la publication officielle de la liste des entreprises israéliennes (et autres) à boycotter et celle qui vise à paralyser les forces de défense israélienne par le biais de l’instrumentalisation de la Cour Pénale Internationale? (Michelle Bachelet ne le cédant en rien à la Procureure Fatou Bensouda dans sa capacité de travailler dans, et avec, des institutions politiques et judiciaires gangrénées par la corruption.)
Dans le dernier paragraphe de mon dernier article, au sujet du Forum contre l’Antisémitisme, j’ai affirmé à titre de conclusion: «Si, cependant, organisateurs et intervenants se contentent de beaux discours et, le cas échéant, de vaines promesses non suivies d’effet, de la part des chefs d’États qui seront présents, on aura manqué de profiter d’une rare occasion d’améliorer la situation, en réalisant les objectifs de «Se souvenir de la Shoah, lutter contre l’antisémitisme» Occasion qui ne se reproduira pas de sitôt.»
En ce qui concerne les plus importantes organisations internationales juives, il n’est pas trop tard de lancer les initiatives nécessaires, à titre officiel, au sujet des dérives judiciaires dangereuses constatées en France, ainsi que, dans une moindre mesure, dans d’autres pays européens. Force est de constater, cependant, que, malgré les rassemblements de solidarité impressionnants et les autres initiatives publiques organisées en France, faisant partie de la lutte contre le déni de justice monstrueux que représente l’affaire Sarah Halimi – qui s’est intensifiée après la publication de la décision inique du 19 décembre 2019 – ce n’est qu’une minorité d’organisations officielles juives non françaises qui se sont mobilisées. On ne saurait trop louer à ce sujet le Centre Simon Wiesenthal, le Centre for Israel and Jewish Affairs (CIJA), le Grand Rabbin d’Italie et la principale organisation représentative des Juifs italiens. Tout en employant des termes mesurés, la lettre adressée à l’ambassadeur de France en Italie condamne sans réserve la décision inique du 19 décembre 2019.
Quant aux initiatives courageuses – dont certaines font preuve d’une véritable inventivité – qui sont le fait de citoyens juifs de la République française, ainsi que d’un certain nombre de sympathisants non juifs, il y lieu de signaler, par exemple, la campagne de collage d’affiches et l’«initiative de cartes postales … mise en place afin de réclamer justice», qui s’est déroulée en Alsace. Sans oublier la campagne de Claude Bloch, qui consiste avec l’aide de confrères médecins et psychiatres, à mobiliser ceux et celles qui veulent lutter avec détermination contre les dérives dangereuses dont se sont montrés coupables certains «experts» dans l’affaire Sarah Halimi – ainsi que contre la généralisation de psychiatrisations abusives
Si le président Macron se sentait obligé de se prononcer publiquement au sujet de l’affaire Sarah Halimi et de faire preuve d’empathie (ou d’en donner l’impression), au cours de sa participation à la conférence internationale organisée par Yad Vashem, il convient plutôt de faire l’éloge des activités en Israël de personnes qui n’occupent pas de postes officiels – et non pas d’hypothétiques «interventions officielles» en coulisses, pour peu qu’il y en ait eues. Autant d’activités qui ont compris l’envoi de lettres, des interpellations et des questions posées au cours de la réunion organisée par la communauté française d’Israël au centre de conférences de Jérusalem. En attendant que les dirigeants des plus importantes organisations internationales juives finissent par lancer des initiatives destinées à faire adopter des mesures destinées à mettre fin aux abus judiciaires dont il s’agit – ou du moins à les minimiser – il est indispensable de déployer tous les efforts pour faire adopter la proposition de loi soutenue par la sénatrice Nathalie Goulet (Union centriste): « les dispositions de l’article 122-1 du code pénal ne s’appliquent pas lorsque l’état de l’auteur résulte de ses propres agissements ou procède lui-même d’une infraction antérieure ou concomitante » C’est là un très bon commencement. Il ne faut pas que l’administration Macron se contente de «faire évoluer ou clarifier» – sans forcément passer par la loi (c’est moi qui souligne ces mots)- «l’idée que le rapport de l’expert ne (puisse) pas préempter la décision finale du juge, même sur ce sujet».
Au lieu de faire cause commune avec leurs collègues et homologues français, les hauts fonctionnaires des organisations représentatives des communautés juives continuent à se montrer incapables même de faire des gestes publics de solidarité avec leurs coreligionnaires français, de quelque façon que ce soit. Il semble qu’après avoir été interné pendant une brève période, l’homme dangereux qui, vers la fin de l’après-midi du 4 octobre, avait brandi un couteau devant la porte d’entrée de la synagogue de Berlin située dans l’Oranienstraße se retrouve en liberté. Et, confrontés à ce qui a résulté de cet exemple de psychiatrisation abusive, que font maintenant les hauts fonctionnaires qui comptent parmi leurs responsabilités celle de défendre les intérêts vitaux des habitants juifs de la République fédérale d’Allemagne?
Si, malgré la décision prise par Moshe Kantor – à la fois un des organisateurs principaux du Forum contre l’Antisémitisme et président du Congrès Juif Européen – de dénoncer la décision inique du 19 décembre 2019, il n’y a pas d’initiative qui invoque cet événement international «rassembleur», afin de faire adopter des mesures législatives destinées à minimiser les abus judiciaires générateurs de décisions qui assurent l’impunité relative ou absolue de plusieurs antisémites dangereux, les détracteurs de celui-ci n’auront pas complètement tort d’y voir un échec plus ou moins total – sauf à l’égard de l’enseignement de la Shoah.
(À l’intention de lecteurs qui s’intéressent à en savoir plus sur les positions officielles des représentants des Juifs allemands:
Zentralrat der Juden in Deutschland
Leo-Baeck-Haus