Comment réagir à la détermination à faire «déresponsabiliser» dans les milieux judiciaires l’assassin barbare de Sarah Halimi? Certaines questions qui restent à poser.
La mise en place d’un système d’ «accommodements raisonnables» – lesquels sont destinés, dans la mesure du possible, à satisfaire les besoins religieux de minorités de citoyens de la République française qui pratiquent d’autres religions (en ce qui concerne les dates officielles fixées pour les examens publics, l’autorisation et la facilitation de livraisons de repas cachers aux hôpitaux, etc.) est pleinement conforme aux valeurs inhérentes aux démocraties libérales. De même que, pour ceux et celles qui voudraient voir interpréter et appliquer avec tolérance et avec souplesse, le principe de l’égalité des citoyens, de tels «accommodements raisonnables» ne sont aucunement susceptibles de porter atteinte à celui-là (des refus motivés de demandes d’ «accommodements» jugées peu raisonnables ne justifiant pas pour autant des attaques excessives, des accusations de «racisme»), de même une «personnalisation de la sanction pénale», une «individualisation des peines» peut être conciliable avec les principes fondamentaux de la justice.
Afin de mieux proportionner le châtiment au délit, il peut être légitime, le cas échéant, de faire compter parmi les considérations qui déterminent celui-là des circonstances atténuantes, dont l’authenticité ne fait pas de doute – même dans le cas d’actes de violence. Qu’il s’agisse d’un vrai manque de préméditation, ou bien, le cas échéant, d’un déchaînement de passions momentané liées à d’affreuses expériences personnelles vécues par la personne condamnée – ou bien d’autres facteurs individuels qu’il y a bien lieu de faire peser dans la balance. Encore faut-il que les magistrats/magistrates chargés de décider n’élargissent pas outre mesure les critères qu’ils adoptent dans ce domaine et qu’ils se gardent de faire prévaloir une indulgence dangereuse.
S’il y a lieu de justifier, comme étant en conformité avec les valeurs de la justice, la décision de ne pas procéder à des procès normaux, réguliers, dans les cas où la santé mentale et psychique de personnes inculpées est à tel point endommagée que celles-ci sont incapables de fournir des réponses ou de se défendre contre les accusations retenues contre elles, il n’en est pas de même du nombre croissant d’exemples d’applications abusives de certains concepts de psychanalyse. Les «experts» chargés d’effectuer des évaluations psychologiques ou psychiatriques ne sont pas infaillibles – comment douter que Philippe Bilger en soit pleinement conscient? – pas plus que les autres spécialistes de la psychologie qui ne se mettent pas au service de la justice. Qui plus est, cette science inexacte que constitue la psychologie a engendré bien des théories et des hypothèses de travail contestables.
Il n’avait jamais été sérieusement question ni d’altération ni surtout d’abolition du discernement au moment des crimes précédents de l’assassin brutal de Sarah Halimi, multirécidiviste souvent violent – autant de faits que Philippe Bilger (qui fait preuve ici d’un amour de la justice plutôt sélectif) passe sous silence dans son texte – publié le 21 juillet sur le site Atlantico, tout en se gardant de mentionner l’inaction des policiers armés. Quoique tout porte à croire que l’assassinat de Sarah Halimi ait été commis avec préméditation, dans une plus ou moins large mesure (soi-disant atteint de délire, il a pu essayer de faire croire que sa victime était en train de se suicider), celui qui a perpétré ce crime barbare – probablement évitable si ces derniers avaient fait leur devoir – bénéficie d’une certaine compréhension de la part de cet auteur d’un texte empreint de condescendance, sinon de mépris implicite:
« Que les parties civiles – notamment les enfants de Sarah Halimi – se sentent dépossédées d’une forme de justice qu’elles attendaient et espéraient est compréhensible… Mon désaccord (c’est-à-dire, avec la famille et avec les avocats de la famille) porte surtout sur le fait que l’irresponsabilité est perçue comme «une décharge», alors qu’elle n’est qu’une facette, mais capitale, d’un état de droit digne de ce nom. Rien n’est enlevé aux parties civiles, tout est donné à la Justice. …Même s’il s’agit là d’une démarche qui regarde la personnalité, je ne crois pas qu’il soit honnête de faire passer la déception des parties civiles avant la vérité des ressorts criminels. … Kobili Traoré déclaré irresponsable n’est pas soustrait à notre monde. L’horreur du crime n’en est pas atténuée. Ni la douleur des proches minimisée.»
Bien au contraire, on fait ici l’apologie d’un déni de justice flagrant, à force de s’abstenir de toute considération des applications infondées, voire abusives, du concept d’abolition du discernement – lesquelles sont bel et bien susceptibles de porter atteinte au principe fondamental que représente le droit à la protection égale dont devraient jouir tous les citoyens. Protection garantie non seulement pas des forces d’ordre qui font leur devoir, mais également par les représentants de la justice qui ont parmi leurs obligations celle de veiller à ce que les crimes graves soient punis avec la sévérité nécessaire, dès que la culpabilité des personnes qui les ont commis ait été prouvée de façon concluante, conformément aux exigences d’un vrai état de droit. Tant le déni de justice qui risque de se produire dans ce cas – basé sur des expertises douteuses selon laquelle une dépendance au cannabis réelle ou supposée aurait provoqué chez Traoré une abolition du discernement, laquelle s’avérera sans doute passagère – que la complaisance manifestée par tant de magistrats ne manquera pas d’intensifier dans de sérieuses proportions la douleur des proches, évoquée brièvement par Philippe Bilger.
(Pour voir réfuter de façon magistrale la thèse selon laquelle une prétendue dépendance au cannabis rend pénalement irresponsable cet assassin brutal, il fait lire le texte de Barbara Lefebvre, paru le 17 juillet dans le Causeur. Le BNVCA n’est pas le seul à demander pourquoi la consommation d’alcool, de drogue et stupéfiants, facteur aggravant dans le cas d’infractions routières, ne le serait pas dans des circonstances bien plus graves – dans son communiqué du 12 juillet 2018: « Nous relevons le paradoxe suivant, selon lequel, lorsqu’un automobiliste en état d’ébriété ou sous l’emprise de la drogue commet une infraction au code de la route, il est poursuivi pénalement et son état constitue une circonstance aggravante. Mais lorsqu’un islamiste, drogué, commet un crime antisémite, il bénéficie d’une excuse pénale absolutoire.»)
Et si, les juges en question approuvant les expertises précitées et concluant à l’impunité pénale de Traoré, celle-ci finit par être suivie tôt ou tard de sa libération. Après que d’autres «experts» auraient jugé ce dernier guéri de sa prétendue fragilité mentale et de son «abolition du discernement», pour le qualifier d’abord de réadaptable et donc, après un certain temps, apte à vivre de nouveau en société, à y participer même – sans présenter de danger pour les autres ! Dans le même ordre d’idées, on se rappellera le traitement cruel de la mère de Sébastien Sellam, ainsi que l’indulgence dont continue de bénéficier l’assassin de celui-ci. On ne saurait exagérer la pertinence des arguments mis en avance par le Centre Simon Wiesenthal, dans son communiqué du 15 juillet 2018, à l’égard de la «déresponsabilisation» de criminels animés de passions antijuives qui s’inspirent d’idées islamistes ou djihadistes, à l’égard d’une tendance dangereuse qui s’accentue de plus en plus dans les milieux policiers et judicaires ?
Les Juifs sont-ils responsables des psychoses ? C’est ce qu’implique la nouvelle expertise de l’assassin de Sarah Halimi rendue par la Justice
« Trouble psychotique chronique, schizophrénie… addiction ancienne au cannabis… incapacité à se conformer aux normes sociales, impulsivité, irritabilité, agressivité, irresponsabilité… propension à la violence… inaccessible à une sanction pénale… »
Le 28 février, la juge d’instruction chargée de l’affaire du meurtre sauvage de Sarah Halimi, une femme médecin âgée de 65 ans, avait accepté l’expertise psychiatrique estimant que le meurtrier était apte à subir son procès. Le meurtre avait été perpétré le 4 avril 2017.
En outre, l’acte de Kobili Traoré – il avait roué sa victime de coups de couteau puis l’avait défénestrée du haut de son balcon parisien du 3e étage, en criant « Allahu Akhbar » – avait été reconnu comme un acte à caractère antisémite.
Le 18 juin, le directeur des Relations internationales du Centre Simon Wiesenthal, Shimon Samuels, avait écrit au ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, déplorant que « l’actuel système de protection soit inadéquat ». Il avait protesté contre l’agression d’une jeune étudiante par trois Nord-Africains devant son école juive, constatant le retrait de la présence militaire devant les synagogues, les écoles juives et autres institutions.
La lettre avait aussi reproché la « porte tournante » accordée par les juges aux jeunes agresseurs islamistes qui s’en prennent aux Juifs et à leur propriété.
Mais ce qui est le plus grave, soulignait M. Samuels, c’est le déni du « caractère antisémite » lié au terrorisme contre les Juifs. Il faisait état de « la réticence des tribunaux à reconnaître la nature antisémite de ces actes – réticence qui a pour conséquence de protéger leurs auteurs contre des sanctions pour circonstances aggravantes – qui s’apparente à une ‘‘dissimulation’’ et qui engendrerait des délais supplémentaires ».
Le 11 juillet, la juge d’instruction présentait une deuxième expertise conclue par trois psychiatres, affirmant que le meurtrier « n’était pas conscient de ses actes au moment des faits et son discernement était donc aboli ». Ce qui revient à le déclarer inapte à être jugé… « Le sujet souffre d’un trouble psychotique chronique, vraisemblablement de nature schizophrénique, faisant suite à un épisode délirant aigu inaugural. Il souffre par ailleurs d’une addiction ancienne au cannabis. » Il dispose également d’une « personnalité pathologique antisociale » (incapacité à se conformer aux normes sociales, impulsivité, irritabilité, agressivité, irresponsabilité…) et d’une propension à la violence. Il est « inaccessible à une sanction pénale ».
Samuels, dans sa lettre à Gérard Collomb, lui avait demandé de s’entretenir avec son confrère ministre de la Justice pour que « de telles atrocités – comme ipso facto tous les crimes haineux – soient immédiatement reconnues comme telles. Toute procédure qui excuse la violence sous prétexte de troubles mentaux incitera d’autres assaillants à passer à l’acte ».
La juge a demandé qu’une troisième expertise soit réalisée, différant la procédure à l’automne prochain.
« Si tous les psychotiques ont le droit de commettre des violences contre des Juifs en restant impunis, il y a bien plus d’antisémites que nous ne l’aurions cru ! » … « Cela rend-il, indirectement, les Juifs responsables des psychoses ? », concluait M. Samuels.
Les textes rédigés sur l’affaire Sarah Halimi par l’écrivain et journaliste américaine Nidra Poller ont été les premiers à paraître en langue anglaise. Auteur d’un livre excellent sur les menaces djihadistes qui pèsent sur la République française – The Black Flag of Jihad Stalks La République (2015) – ces textes ne manquent pas d’observations et d’analyses perspicaces. Dans un article paru le 12 juillet 2017 dans le Times of Israel elle pose les questions suivantes:
«Pourquoi la police n’est-elle pas venue au secours d’une femme dont les cris retentirent dans la cour, dont l’agonie interminable s’étendait pour une éternité, qui aurait pu être sauvée en quelques minutes? … Pourquoi la police a-t-elle résisté pendant l’épreuve interminable de Sarah Halimi? Aux ordres de quoi ont-ils obéi? De quel niveau de la hiérarchie? Pourquoi attendaient-ils des ordres lorsque, en fait, l’échec du sauvetage est une infraction pénale?
Je voudrais ajouter ces questions: les policiers armés, certains des policiers armés savaient-ils déjà, ont-ils appris que Sarah Halimi était juive? Si tel est le cas, est-ce que certains des policiers étaient animés de sentiments anti-juifs?
Autant que je sache, il ne s’est produit aux États-Unis ni manifestations contre le scandale que représente le déni de justice flagrant qui devient de plus en plus probable pour la famille de Sarah Halimi, ni rassemblements de solidarité avec celle-ci. Pourquoi? Le Centre Simon Wiesenthal constituant une exception admirable, pourquoi les organisations juives américaines – telles que l’ADL (Anti-Defamation League) et l’AJC (American Jewish Committee), n’ont-elles rien fait (ou presque rien fait)? Ces organisations mondialement connues comptent parmi leurs objectifs celui de se montrer solidaires avec les Juifs d’autres pays, si besoin est, par le biais d’interventions intelligentes et vigoureuses.
Leurs décideurs auraient dû manifester publiquement leur solidarité et leur sollicitude et organiser des interventions regulières, à partir du moment où il est devenu évident à quel point est limitée la capacité des organisations représentatives des citoyens juifs de la France de soutenir seules, de façon efficace, la cause de la justice pour la famille de Sarah Halimi.
Source www.jforum.fr