Les Russes se rendront aux urnes ce dimanche, sans doute afin d’élire Vladimir Poutine pour un quatrième mandat présidentiel. Après 18 ans au sommet de l’Etat, comment l’ancien officier du KGB continue-t-il à gagner les faveurs de son peuple?
La question n’est pas de savoir si Vladimir Poutine sera réélu dimanche, mais comment le sera-t-il. L’abstention se révélera-t-elle comme le principal opposant au président sortant, après 18 ans passés à la tête de l’Etat russe? L’ancien officier du KGB atteindra-t-il l’objectif de 70-70: 70% de participation et 70% de votes en sa faveur?
Malgré les nombreuses stratégies – légales ou illégales – mises en place pour combattre l’abstention et inciter les Russes à aller voter, Vladimir Poutine reste populaire. Selon un dernier sondage daté du 9 mars, il caracole avec ses 69% en tête des intentions de vote, devant sept autres candidats.
Pourquoi donc, malgré un système de santé défaillant, une politique autoritaire et une économie toujours en récession, les Russes continuent-ils à voter pour Vladimir Poutine?
« Tout ne peut se construire qu’avec l’aval du pouvoir politique »
« Ça dure depuis tellement longtemps qu’on a la sensation qu’on ne peut faire qu’avec », avance Anna Colin Lebedev, spécialiste de la Russie contemporaine. « Les Russes ne peuvent plus se permettre d’attendre que ça passe, comme Vladimir Poutine est au pouvoir depuis 18 ans », explique la chercheuse à BFMTV.com.
Même lorsqu’ils sont contestataires, certains Russes préfèrent continuer à voter pour le pouvoir en place plutôt que d’enrayer la machine. « Tout ne peut se construire qu’avec l’aval du pouvoir politique », relève-t-elle.
« Soit on dénonce, et on n’avance pas. On est entendus à l’étranger, mais on est bloqués à toutes les étapes en Russie. Soit on décide de trouver un compromis et de s’allier avec le pouvoir en place pour pouvoir bosser sur des choses qui nous semblent importantes », résume la maîtresse de conférences à l’université de Nanterre.
Quitte à s’en servir pour pousser des projets qui n’entrent que partiellement, voire pas du tout dans la ligne du Kremlin: aide aux personnes âgées, accompagnement des enfants malades, aide dans les quartiers défavorisés, ou tout simplement projets culturels.
« C’est aussi entretenir la stabilité du pays »
Au-delà de cette mécanique, le vote des Russes s’explique aussi par le sens qu’ils donnent au vote, selon Anna Colin Lebedev. « Voter, ce n’est pas nécessairement choisir Poutine. Pour beaucoup de Russes, c’est aussi entretenir la stabilité du pays« , explique-t-elle.
« Il faut garder à l’esprit la hantise des Russes à l’égard d’une implosion du pays, dont le risque semblait réel au moment de la chute de l’URSS et à l’époque de Boris Eltsine », rappelait déjà en février 2017 la spécialiste Tatiana Katsouéva-Jean dans la revue du CERI Regards sur l’Eurasie.
« Les autorités sont très vigilantes vis-à-vis de toute action qui menacerait l’intégrité territoriale du pays », expliquait alors la chercheuse de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Arrivé au pouvoir au moment de la seconde guerre de Tchétchénie, « Vladimir Poutine (…) incarne la fusion de la direction politique et du commandement militaire », relevait-elle.
Aujourd’hui, c’est la menace des « révolutions de couleur » que le chef de l’Etat brandit de discours en discours, comme en Géorgie ou en Ukraine (2004 et 2014).
« C’est quelque chose que le pouvoir poutinien a réussi à faire croire à la population: si ce n’est pas eux, c’est le chaos », expose Anna Colin Lebedev à BFMTV.com.
Retrouver un rôle à l’international
Le sentiment d’insécurité des Russes s’explique aussi par un nombre important d’attentats dans les années 1990 et 2000. Depuis la chute de l’URSS le pays a en outre toujours été en guerre, sur son sol ou ailleurs: Tchétchénie, Daghestan, Tadjikistan, Transnistrie, Géorgie, Ukraine…
Le slogan de campagne de Vladimir Poutine, « un président fort pour un pays fort », prend donc ici tout son sens, notamment sur la scène internationale.
« La récupération du rang de grande puissance est évoquée dans les sondages comme le plus grand succès des présidences de Vladimir Poutine », notait en février 2017 Tatiana Katsouéva-Jean. Une « politique extérieure qui s’oppose à l’Occident (…), perçue comme la revanche qui suit une période d’humiliation ».
Une position que vient renforcer la tentative d’assassinat d’un ex-espion russe en Grande-Bretagne, à quelques jours de l’élection.
« Je ne pense pas que ça aura un grand impact sur les élections », nuance Anna Colin Lebedev, « mais ça renforce l’image que Poutine cherche à donner. Ça va dans le sens de la grande puissance qu’on cherche à affaiblir. »