Les tirs de deux roquettes sur Tel Aviv le 14 mars, peu après 21 heures, ont surpris l’appareil de défense israélien. À ce moment, des membres importants du Hamas étaient en réunion avec une délégation égyptienne à Gaza. ils échangeaient des messages et des opinions sur les élections israéliennes et ont également décidé de continuer à recevoir l’assistance du Qatar. Simultanément, Nadav Argaman, chef du Shin Bet, était au Caire. Il a présenté aux officiers des services de renseignement égyptiens les points de vue de l’échelon politique israélien concernant un arrangement à Gaza dans un proche avenir, ainsi que des solutions temporaires pour la bande de Gaza jusqu’à l’issue des élections israéliennes du 9 avril, date à laquelle son système politique se stabilisera.
Alors, qui a appuyé sur le bouton pour lancer les roquettes? Qui a ignoré les instructions des dirigeants du Hamas et a osé, surtout en cette période critique, lancer des missiles sur Tel Aviv? Ceux qui prétendent qu’il n’y a aucune différence entre les tirs de roquettes sur les communautés de l’enveloppe de Gaza et les tirs sur Tel-Aviv se trompent. Dans les règles déformées du jeu, vis-à-vis du Hamas, auxquelles Israël a donné son approbation tacite et balbutiante, le fait de tirer sur les populations du sud est appelé «escalade», tandis que le tir de missiles à longue portée sur Tel-Aviv n’est rien de moins qu’une déclaration de guerre.
C’est évidemment pour cette raison qu’Israël a immédiatement accepté le message du Hamas selon lequel les tirs avaient été causés par un «problème technique». C’est, bien évidemment, aussi la raison pour laquelle la réponse israélienne a été limitée à l’attaque de cibles par des drones sans pilote dans la bande de Gaza. L’important était de marquer les esprits par un geste symbolique à l’intention du public israélien.
Mais était-ce vraiment un problème technique? Selon une source de sécurité palestinienne au sein de l’Autorité palestinienne, l’appareil de sécurité palestinien, qui assure la coordination avec Israël, a reçu des informations différentes. Toutes les parties sont conscientes de la vérité, mais pour le moment, elles préfèrent jouer le jeu.
Le tir de missile n’a pas été causé par un incident technique. Cela n’a pas de sens que deux missiles puissent être tirés en même temps en raison du même incident. En octobre 2018, lorsqu’une roquette a été tirée sur la ville de Beersheba, dans le sud du pays, et a touché une maison, le Hamas a affirmé que le tir de roquette avait été causé par un coup de foudre sur le système de lancement. Puis, comme aujourd’hui, Israël s’est empressé d’accepter les explications du Hamas. Selon une source palestinienne, les deux frappes – celle d’octobre et celle de la semaine dernière – ont été provoquées par un “incident disciplinaire” au sein de l’aile militaire du Hamas.
Les gens ont tendance à penser que les dirigeants politiques du Hamas maintiennent leur aile militaire sous une discipline de fer et que tout le monde obéit à leurs diktats. Cependant, la vérité est qu’il existe de profonds désaccords entre les dirigeants politiques et militaires. La plupart des critiques s’adressent au chef du mouvement à Gaza, Yahya Sinwar, qui aspire à une solution politique avec Israël dans l’hypothèse où un tel accord mettrait fin au blocus. Une autre faction du mouvement estime qu’aucun scénario ne comportera une solution globale pour Gaza et la levée du blocus. Ils pensent donc qu’ils doivent continuer à combattre Israël jusqu’à ce que le blocus soit levé.
Jusqu’à présent, la voie tracée par Sinwar (“l’homme” des Egyptiens) n’a pas donné les résultats souhaités. La situation économique de Gaza continue de se dégrader, l’oxygène qatari (ou aide financière mensuelle) faiblit et la semaine dernière, une vague de manifestations a éclaté parmi les habitants de Gaza sous le slogan «Let us live» (Laissez-nous vivre), visant directement le Hamas. Pour la première fois depuis le coup d’Etat militaire de 2007, les membres du Hamas doivent faire face à un soulèvement important. Il est, toutefois, douteux que cela se transforme en un véritable mouvement de protestation de masse.
Selon la source palestinienne, Israël sait clairement que les tirs de missiles n’ont pas été causés par des problèmes techniques, tout comme il sait qu’aucun éclair n’a lancé la roquette sur Beersheba en octobre. Au lieu de cela, Israël considère ces problèmes comme des problèmes d’organisation. Et Israël comprend que ceux qui tirent les missiles défient ouvertement les dirigeants du Hamas.
Israël était disposé à adopter l’explication technique du problème pour plusieurs raisons.
Premièrement, le Hamas a admis que les dirigeants du mouvement n’avaient pas accepté ni ordonné les lancements et ne souhaitaient pas aggraver la situation. Au contraire : le Hamas et l’Égypte discutent sérieusement d’une trêve israélo-israélienne.
Deuxièmement, Israël n’est pas intéressé par une vaste campagne militaire si proche des élections.
Troisièmement, le concours de l’Eurovision aura lieu à Tel Aviv en mai. Un conflit armé à outrance avec le Hamas conduirait à l’annulation de la compétition.
Les informations suivantes sont apparues sur le site internet du journal britannique The Independent en arabe : pendant ces heures tendues à Gaza et Tel Aviv, Moussa Abu Marzouk, dirigeant du Hamas, et Nadav Argaman, directeur du Shin Bet, se sont rencontrés et ont dialogué directement. Ils ont conclu diverses ententes concernant les tirs de roquettes et de missiles et les facilitations du blocus à Gaza dans le cadre d’un futur accord. Les parties travaillent sur cet arrangement depuis de longs mois.
Israël et le Hamas ont nié les événements rapportés par ce reportage. Une source du Hamas a déclaré à Al-Monitor que le Hamas n’avait jamais eu de discussions directes avec Israël dans le passé et ne le ferait jamais à l’avenir. Rappel : au cours des dernières étapes des négociations autour de l’accord d’échange entre un millier de prisonniers et le caporal Shalit, les délégations israélienne et du Hamas se sont assises dans le même bâtiment (au quartier général du renseignement égyptien au Caire), mais dans des salles séparées. Ainsi, il semble que le week-end dernier, Moussa Abu Marzouk et Nadav Argaman se soient assis dans des salles séparées et se soient mutuellement transmis leurs messages via le chef des services de renseignements égyptiens, Abbas Kamel.
Selon des sources du Hamas, les discussions sur une trêve à long terme entre les parties ont considérablement progressé. Le problème est qu’à ce stade, le programme établi n’est que couché sur papier et se limite à des déclarations d’intention générales. Et il faut à présent mettre en place des mesures concrètes qui pourraient apaiser ou atténuer les problèmes sur le terrain dans la bande de Gaza en souffrance. Actuellement, personne du côté israélien ne peut prendre de décisions en raison des élections imminentes. Il semblerait que le séjour d’Argaman au Caire ne se soit effectué que pour transférer des messages positifs et pour gagner du temps. Le problème est que, pour le Hamas, le sable du sablier est épuisé depuis longtemps.
Quelques heures après le lancement des missiles à Tel Aviv, et à la lumière des messages reçus au Caire, le Hamas était effrayé par la pensée de ce qui aurait pu se passer à Gaza si Israël n’avait pas accepté l’excuse «de pépin technique»; par conséquent, ils ont décidé d’annuler les manifestations à la clôture. Les Égyptiens ont également transmis ce message à Israël. Mais après 48 heures de silence à peine, les dirigeants du Hamas ont annoncé qu’ils intensifieraient les manifestations nocturnes et les affrontements autour de la barrière de Gaza les week-ends prochains.
Est-ce que cela va maintenant catalyser un accord avec Israël? Certainement pas. Mais les pressions doivent se relâcher et le Hamas préfère les manifestations bruyantes à la clôture aux factions séparatistes insolubles qui pourraient décider que le moment est propice pour appuyer à nouveau sur le bouton lance-missile.
Adaptation : Marc Brzustowski